Vivre en période prolongée de bas taux d’intérêt
Introduction
Je tiens à remercier l’Economic Club of Canada de m’offrir cette occasion de vous faire part de mes réflexions sur les tendances économiques et financières actuelles. Bon nombre d’entre vous, j’en suis sûr, aimeraient bien que je m’arrête au titre de mon discours, « Vivre en période prolongée de bas taux d’intérêt », pour pouvoir allègrement rentrer chez eux passer les Fêtes, tout heureux du cadeau de Noël avant l’heure que je viens de leur faire en donnant une indication exceptionnelle quant à l’orientation future de la politique monétaire canadienne. Cependant, je n’apporte pas de tels présents aujourd’hui. La Banque du Canada va continuer, comme par le passé, d’établir sa politique monétaire en fonction de l’ensemble des conditions au pays et de sa cible d’inflation de 2 %.
Mes propos d’aujourd’hui porteront sur les facteurs qui ont conduit au contexte de bas taux d’intérêt dans les grandes économies avancées et les implications de ce dernier pour la stabilité financière et la croissance économique.
Les perspectives de l’économie mondiale
La turbulence que traverse l’Europe en ce moment nous rappelle que la crise n’est pas terminée, mais qu’elle vient simplement d’entrer dans une nouvelle phase. Dans un monde submergé par les dettes, l’assainissement du bilan des banques, des ménages et des pays exigera des années. Par conséquent, le rythme, le profil et la variabilité de la croissance à l’échelle du globe se modifient, et le Canada doit s’adapter.
Pour les économies touchées par la crise, la partie facile de la reprise est maintenant derrière elles. Les facteurs temporaires favorisant l’expansion en 2010 – tels que le renversement du cycle des stocks et le déblocage de la demande refoulée – ont déjà fait sentir leurs effets en grande partie. Les stimulants budgétaires se transforment en freinage budgétaire, et il s’avère urgent, pour certains pays, de s’employer rapidement à assainir leurs finances publiques. Les dépenses des ménages ne devraient se redresser que lentement. Tous ces éléments laissent entrevoir une résorption graduelle des importantes capacités excédentaires présentes au sein de nombreuses économies avancées.
Cela n’a rien d’étonnant. L’histoire nous enseigne que les récessions qui s’accompagnent d’une crise financière sont généralement plus profondes et sont suivies d’une reprise deux fois plus longue. Dans les dix années suivant une grave crise financière, le taux de croissance a tendance à être inférieur de un point de pourcentage, et le taux de chômage, supérieur de cinq points 1. La reprise actuelle aux États-Unis ne fait pas exception.
Dans pareil contexte, les taux directeurs dans les grandes économies avancées pourraient demeurer très bas pendant une période prolongée – une possibilité mise en relief par la récente reconduction de politiques monétaires non traditionnelles aux États-Unis, au Japon et en Europe.
Cette tendance vers de bas taux d’intérêt se trouve renforcée par des phénomènes structurels. L’économie du globe devient rapidement multipolaire : les pays émergents déterminent désormais les prix des produits de base et comptent pour près de la moitié de l’expansion de l’ensemble des importations et les deux tiers environ de la croissance mondiale.
Cette montée en puissance se révèle de plus en plus ardue. Les stratégies d’expansion économique qui reposent sur les exportations et une épargne nationale excessive sont insoutenables à long terme. À court terme, pour de nombreuses économies émergentes, la croissance non inflationniste s’approche de ses limites et les défis liés au fait de suivre la même orientation que la politique monétaire américaine s’accentuent. Compte tenu des tensions monétaires qui augmentent, certains craignent une répétition des dévaluations compétitives de la Grande Dépression. Cependant, la situation actuelle est en fait plus pernicieuse. Dans les années 1930, les pays ont délaissé l’étalon-or afin d’assouplir la politique monétaire, ce qui a permis au système de devenir plus flexible.
Aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit. Le système monétaire international se déplace vers une immense zone dollar. Plus d’une douzaine de pays accumulent des réserves à des taux annuels à deux chiffres, et des États représentant plus de 40 % des échanges commerciaux avec les États-Unis dirigent maintenant leur monnaie.
Cette mainmise sur le dollar américain compromet les perspectives d’un rééquilibrage de la demande mondiale. Comme la Banque du Canada l’a déjà fait valoir par ailleurs, les coûts potentiels sont astronomiques : jusqu’à 7 billions de dollars en perte de production à l’échelle du globe d’ici 2015 2.
En définitive, l’accumulation excessive de réserves est vouée à l’échec. Les changements structurels apportés à l’économie mondiale donneront lieu à des ajustements importants des taux de change réels. Si les taux de change nominaux ne changent pas, l’ajustement s’opérera par la voie de l’inflation dans les économies émergentes et de la désinflation dans les grandes économies avancées.
Cet ajustement plus douloureux a déjà commencé, et accroît le risque de déflation par la dette et celui d’une demande mondiale insuffisante. À tout le moins, cette dynamique renforce les stratégies de bas taux d’intérêt mises en oeuvre par les grandes économies avancées et pourrait nécessiter de nouvelles phases d’assouplissement quantitatif.
Alors, qu’est-ce que tout cela signifie pour les pays coincés au milieu, comme le Canada? Pour répondre à cette question, j’examinerai trois éléments :
- l’effet de la deuxième phase d’assouplissement quantitatif aux États-Unis;
- les implications pour la politique monétaire canadienne;
- les conséquences possibles d’une période prolongée de bas taux d’intérêt pour la stabilité financière.
La deuxième phase d’assouplissement quantitatif et ses implications pour le Canada
Le mois dernier, la Réserve fédérale des États-Unis a lancé un nouveau programme visant à acheter pour 600 milliards de dollars américains de titres d’État à long terme d’ici la fin du deuxième trimestre de 2011 3.
La Réserve fédérale a pris cette décision parce que, même si son taux directeur s’établit de facto à zéro depuis deux ans, il lui manque toujours les deux volets de son double mandat, qui consiste à favoriser la stabilité des prix et le plein emploi. L’inflation fondamentale se situe à un plancher historique et le chômage est inhabituellement élevé. Le spectre d’un chômage structurel important plane.
Cette deuxième phase d’assouplissement quantitatif vise à soutenir l’économie en facilitant les conditions financières. En théorie, en exerçant une pression à la baisse sur les taux des titres d’État américains à long terme, le programme a pour effet de stimuler les secteurs de l’économie sensibles aux taux d’intérêt tels que le logement et les investissements des entreprises. Le rééquilibrage des portefeuilles devrait inciter les investisseurs à se tourner vers des actifs plus risqués comme les actions et les titres de créance de sociétés. Il en résulte un accroissement de la richesse financière, lequel favorise la dépense. Toutefois, certains placements financiers pourraient se déplacer vers des actifs plus tangibles, tels que les produits de base, ce qui réduirait le revenu disponible des Américains.
Le taux de change constitue un autre canal important. À mesure que le rendement des actifs libellés en dollars américains diminue, les investisseurs pourraient chercher d’autres types de placements à l’extérieur du pays, ce qui affaiblirait la monnaie, stimulerait les exportations et ralentirait les importations.
Enfin, et surtout, les attentes d’une croissance plus élevée devraient aider à faire monter les anticipations d’inflation vers une fourchette compatible avec le mandat de la Réserve fédérale. Les taux d’intérêt réels demeurent ainsi bas, ce qui encourage les investissements et la dépense.
Bien entendu, il est difficile de mesurer l’incidence exacte du programme, étant donné que la deuxième phase d’assouplissement quantitatif n’était pas le seul élément d’information nouveau sur les marchés financiers. Depuis que la politique a d’abord été évoquée par le président de la Réserve fédérale, M. Bernanke, en août dernier, tous les effets attendus se sont manifestés, et ont étayé le raisonnement de la banque centrale. Depuis l’annonce faite en novembre, les conditions financières aux États-Unis se sont légèrement améliorées, sous l’influence des forces conflictuelles que sont des données américaines plus favorables, une aversion accrue pour le risque causée par la tourmente en Europe, des attentes probablement révisées concernant la taille définitive du programme ainsi que l’annonce d’un important nouveau train de mesures budgétaires. L’incidence globale de la deuxième phase d’assouplissement quantitatif pourrait s’avérer plus modeste que celle des interventions précédentes, effectuées à un moment où les marchés étaient plus fortement perturbés 4.
La Banque du Canada, dans sa projection publiée en octobre, avait anticipé la plus récente mesure de la Réserve fédérale (ce qui n’était pas bien difficile vu la transparence dont celle-ci a fait preuve en discutant de ses intentions). Dans l’ensemble, la Banque s’attend à ce que l’incidence nette sur le PIB canadien soit positive mais faible. Ce résultat reflète les répercussions de la hausse de la croissance aux États-Unis sur la demande de biens et de services canadiens, ainsi que sur nos termes de l’échange, contrebalancées en partie par la possibilité d’un nouvel effet modérateur sur les exportations hors produits de base issu de la vigueur persistante du dollar canadien.
La politique monétaire canadienne
Bien que notre économie soit grandement influencée par l’évolution de la conjoncture chez notre plus important partenaire commercial, la Banque du Canada établit sa politique monétaire en fonction de l’ensemble des conditions au pays et de sa cible d’inflation de 2 %. Étant donné que les États-Unis se trouvaient à l’épicentre de la crise financière et que le système financier canadien a continué de bien fonctionner, il n’est pas étonnant que nos deux économies aient affiché une tenue très différente. Il est tout à fait convenable que nos politiques monétaires aient quelque peu divergé.
Considérons les résultats des mesures exceptionnelles de relance monétaire et budgétaire prises dans la foulée de la crise.
- La production canadienne a maintenant dépassé son sommet d’avant la crise (un cas unique parmi les pays du G7).
- La demande intérieure finale au Canada a augmenté de 5,7 % depuis le creux de la crise, ce qui correspond à plus du double du taux enregistré aux États-Unis (2,6 %).
- L’économie canadienne a récupéré tous les emplois perdus au cours de la récession et en a créé 23 700 autres; aux États-Unis, on n’en a regagné que le dixième, alors que plus de 40 % des chômeurs sont sans travail depuis plus de six mois.
- Le crédit aux ménages a crû d’environ 7 % au Canada depuis que le PIB a touché son creux, tandis qu’il a chuté de 3,5 % aux États-Unis.
- Les plus récents chiffres de l’inflation fondamentale sont de 1,8 % au Canada, contre 0,6 % aux États-Unis.
Mais il n’y a pas que de bonnes nouvelles. Les maillons faibles de l’économie canadienne sont la modeste croissance de la productivité et la compétitivité en baisse des exportations. Ainsi que la Banque l’a souligné ces derniers mois, un déplacement de la demande des dépenses des ménages vers les investissements des entreprises et les exportations nettes sera essentiel à une expansion soutenue de l’économie canadienne. Il reste beaucoup à faire à cet égard.
Depuis le printemps, la Banque s’est désengagée de ses dernières mesures exceptionnelles d’octroi de liquidités, a mis fin à son engagement conditionnel et a relevé le taux cible du financement à un jour pour le faire passer de 0,25 à 1 %. La semaine dernière, elle a décidé de le maintenir à ce niveau. Cette décision laisse en place un degré de détente monétaire considérable, compatible avec l’atteinte de la cible d’inflation de 2 % dans un contexte caractérisé par une offre excédentaire importante au Canada. Toute nouvelle réduction du degré de détente monétaire devra être évaluée avec soin.
Des taux directeurs à un niveau historiquement bas, même s’ils sont propices à la réalisation de la cible d’inflation, créent leurs propres risques. Abstraction faite de la politique monétaire, les autorités canadiennes devront demeurer aussi vigilantes qu’elles l’ont été par le passé devant la possibilité de déséquilibres financiers dans un contexte de taux d’intérêt encore bas et de stabilité des prix relative.
J’aimerais consacrer le reste du temps qui m’est alloué à la question plus générale de savoir comment la perception d’une période prolongée de bas taux d’intérêt pourrait éventuellement fausser le comportement des secteurs public et financier ainsi que des secteurs des entreprises et des ménages.
Les implications d’une période prolongée de bas taux d’intérêt pour les emprunteurs souverains
Dans certains pays, les bas taux d’intérêt peuvent retarder l’assainissement nécessaire des finances publiques 5. En modifiant le profil de leur endettement pour favoriser le financement à court terme, les gouvernements réduisent leurs paiements d’intérêt. Les achats substantiels d’obligations d’État à long terme par les banques centrales étrangères et nationales pourraient retarder les signaux du marché concernant la soutenabilité de la dette publique 6. Si les bas taux d’intérêt actuels créent une flexibilité sur le plan budgétaire à court terme, ils exposent les budgets à une hausse des taux directeurs et à des changements subits de l’opinion des marchés privés. Il serait judicieux que les pays tiennent compte des leçons apprises par le Canada au cours des années 1990 : la demande d’obligations ne peut être tenue pour acquise.
Les implications pour le secteur financier
La conviction que les taux d’intérêt vont demeurer bas longtemps peut induire divers types de comportements risqués au sein du secteur financier.
Comme cela vient de nous être chèrement rappelé, une période prolongée de stabilité engendre un excès de confiance chez les participants aux marchés financiers, qui sont alors portés à prendre des risques en fonction du nouvel équilibre perçu 7. En fait, les risques semblent au plus haut lorsque leurs indicateurs sont au plus bas. Une faible variabilité de l’inflation et de la production (fait diminuer la valeur exposée au risque financière et) favorise une plus grande prise de risques (en fonction de la valeur exposée au risque prospective). Les activités des investisseurs s’étendent des marchés liquides vers des marchés moins liquides, et les asymétries importantes entre les actifs et les passifs s’étendent sur les marchés du crédit et les marchés des changes.
Cette dynamique a contribué à comprimer les écarts et à pousser les prix des actifs à la hausse dans la période qui a précédé la crise. Elle a aussi rendu les institutions financières de plus en plus vulnérables à une réduction soudaine de la liquidité de marché et de la liquidité de financement 8.
La crise a provoqué un renversement brutal dont le point culminant a été la panique de l’automne 2008.
La période à venir sera quelque peu différente. Plus particulièrement, le fait que les perceptions du risque macroéconomique soient plus volatiles devrait aider à limiter l’excès de confiance 9. Néanmoins, une partie de la dynamique risquée associée aux perceptions d’une période prolongée de bas taux d’intérêt pourrait encore jouer un rôle.
Par exemple, au cours de la dernière année et demie, les banques ont profité des taux de financement à court terme peu élevés pour reconstituer leur capital, en investissant dans les obligations d’État à long terme 10. Cette stratégie est efficace dans la mesure où les institutions ne pèchent pas par excès de confiance pendant que les taux directeurs sont bas. Le fait de mener systématiquement des opérations de portage positives peut diminuer le sentiment d’urgence qu’éprouvent les banques à réduire leur levier financier ou à déprécier leurs actifs de mauvaise qualité. Les institutions financières peuvent aussi aller trop loin en sous-estimant les risques. Cela est particulièrement inquiétant car les banques ont raccourci de façon notable la structure de leurs taux de financement au lendemain de la crise. Les banques auraient intérêt à se rappeler que les rajustements minimes des taux d’intérêt ont des effets non négligeables lorsque le levier financier est élevé.
Une période prolongée de bas taux d’intérêt a aussi des implications importantes pour les compagnies d’assurance et les caisses de retraite, à cause des rendements ou des prestations garantis à plus long terme. Parce qu’elle a pour effet de diminuer les rendements des actifs et d’augmenter la valeur actualisée nette des passifs, une telle période rend ces garanties plus difficiles à respecter. Afin d’éviter les manques à gagner potentiels, les investisseurs en quête de rendement pourraient transférer leurs fonds dans des actifs plus risqués ou raccourcir leur durée afin de limiter les asymétries entre les actifs et les passifs 11.
L’ampleur de ces stratégies dépendra du traitement comptable des passifs et de la réglementation. De nouvelles propositions, comme les modifications que le Conseil des normes comptables internationales a dernièrement suggéré d’apporter à la norme s’appliquant au traitement comptable des contrats d’assurance (IFRS 4), pourraient avoir des conséquences systémiques considérables. En conséquence, la Banque accueille favorablement la récente décision du président du Conseil d’étudier d’autres options visant à améliorer la transparence et la comparabilité entre pays de la comptabilité d’assurance.
Les implications pour le secteur des entreprises
Dans une période prolongée de bas taux d’intérêt, les banques sont moins incitées à faire respecter les modalités des prêts, et les entreprises elles-mêmes, moins enclines à s’ajuster.
L’expérience passée nous a montré que des taux directeurs bas permettent la reconduction de prêts non viables. L’exemple classique est celui du Japon dans les années 1990, où les banques permettaient à des débiteurs de reconduire des emprunts pour lesquels ils étaient en mesure de rembourser les paiements d’intérêt à des taux presque nuls mais non le principal. En optant pour la reconduction de prêts plutôt que leur radiation, les banques préservaient leur capital, mais cette pratique retardait la restructuration nécessaire de l’industrie. Qui plus est, la présence d’entreprises non viables limitait la concurrence, diminuait les investissements et empêchait l’entrée de nouvelles entreprises 12.
Ici au Canada, le risque que présente un tel report de l’ajustement est relativement modeste à l’heure actuelle, puisque la tenue de la plupart des bilans des entreprises canadiennes est remarquable. Le levier financier des sociétés a diminué au troisième trimestre de 2010 – au point d’avoisiner son plus bas niveau en deux décennies – et il demeure bien en deçà de ce qu’il est aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans la zone euro. Il est toutefois possible qu’apparaisse une forme atténuée de ce comportement dans certains secteurs, tels que la construction résidentielle, où la valeur des terrains pourrait mettre un certain temps à s’ajuster aux nouvelles réalités. Pour l’heure, les frais d’intérêt peu élevés incitent fortement les promoteurs immobiliers à patienter en attendant que la détente actuelle prenne fin.
Malheureusement, le secteur qui est le plus comparable en ce moment aux entreprises japonaises non viables est probablement celui des ménages aux États-Unis. Les problèmes liés au processus de saisie immobilière, les programmes publics et l’indulgence manifestée par les prêteurs ont tous pour effet de retarder les ajustements 13. En l’absence d’une restructuration plus énergique, l’incidence de la situation de valeur nette négative du quart des propriétaires américains se fera sentir sur la consommation dans un avenir prévisible.
Les implications pour les ménages
Soutenu en partie par les bas taux d’intérêt, le crédit aux ménages canadiens s’est accru rapidement pendant la récession et tout au long de la reprise. Par conséquent, la proportion de ménages qui ont alourdi leur bilan a augmenté de façon considérable.
Dans une série d’analyses menées au cours de la dernière année, la Banque a constaté que les ménages canadiens sont de plus en plus vulnérables à un choc négatif et que cette vulnérabilité s’accroît plus rapidement qu’on l’avait prévu auparavant 14 15.
Même si on observe des signes encourageants de modération du rythme de l’accumulation de la dette des ménages, le crédit continue à croître plus rapidement que les revenus. Dans certaines régions, l’avoir net des ménages a commencé à se ressentir de la baisse du prix des maisons. Sans un changement appréciable de comportement, la proportion de ménages susceptibles de subir de graves tensions financières à la suite d’un choc négatif augmentera encore davantage.
La Banque a mené une simulation de crise partielle pour mesurer l’incidence sur les bilans des ménages d’un choc hypothétique sur le marché du travail. Selon les résultats, la hausse des tensions financières découlant d’une augmentation de trois points de pourcentage du taux de chômage ferait doubler la proportion de prêts en souffrance depuis au moins trois mois. Étant donné la diminution de l’accessibilité à la propriété et la situation financière de plus en plus tendue des ménages, un choc négatif sur les prix des maisons semble plus probable également.
Même si la progression de l’endettement continue de ralentir, il est peu probable que la vulnérabilité des ménages canadiens s’estompe rapidement, puisqu’on s’attend à une croissance modeste des revenus. Il y a en outre peu de chances que la consommation privée future soit stimulée par les gains au chapitre des prix des maisons.
Les lignes de défense
L’expérience donne à penser que des périodes prolongées de taux inhabituellement bas peuvent embrouiller l’évaluation des risques financiers, provoquer une quête de rendement et retarder les ajustements des bilans. Il existe plusieurs lignes de défense.
La première est fondée sur les décisions des particuliers, des sociétés, des banques et des gouvernements.
Le message de la Banque aux Canadiens est resté le même : nous avons traversé une grave crise, à laquelle il fallait réagir par des mesures budgétaires et monétaires exceptionnelles. De telles mesures sont seulement un moyen de parvenir à une fin. Le retour à la normale finira par se faire et s’accompagnera de taux d’intérêt et de coûts d’emprunt plus normaux. Il incombe aux ménages de veiller à ce que dans l’avenir, ils aient la capacité de rembourser les dettes qu’ils ont contractées aujourd’hui.
De la même façon, les institutions financières ont la responsabilité de voir à ce que leurs clients soient à même d’assurer le service de leurs dettes.
De façon plus générale, les participants au marché devraient résister à l’excès de confiance et réévaluer constamment les risques. Ce n’est pas parce que les taux sont bas aujourd’hui que ce sera nécessairement le cas demain. Lorsqu’elle se produit, la réévaluation des risques peut être impitoyable : plus l’excès de confiance est grand, plus l’heure des comptes est brutale.
La deuxième ligne de défense consiste en un renforcement de la supervision des activités comportant des risques. Les simulations de crise dans les grandes économies devraient être axées sur les asymétries excessives d’échéances et de monnaies, la recherche de signes d’indulgence (comme des industries vulnérables qui reçoivent une part disproportionnée de prêts ou un assouplissement des normes visant les débiteurs existants) et l’analyse de l’incidence de déplacements importants le long des courbes de rendement.
Ces efforts seront renforcés par l’imposition des nouvelles règles de Bâle III. Ces mesures, dont un ratio de levier, de nouvelles règles de calcul des fonds propres au titre des portefeuilles de négociation et des normes en matière de liquidité, contribueront à empêcher un recours excessif au levier financier et à la transformation des échéances.
La troisième ligne de défense est l’élaboration et l’utilisation sélective de mesures macroprudentielles. Dans les marchés de financement, l’adoption du calcul des marges en fonction du cycle intégral peut contribuer à empêcher les cycles de liquidité 16. Dans les marchés d’actifs plus vastes, les réserves de fonds propres contracycliques peuvent être utilisées pour contrer la création excessive de crédit. Fait important à noter, à la suite de l’entente des dirigeants des pays du G20 à Séoul, le Comité de Bâle a approuvé la proposition portant sur ce cadre soumise par le Canada 17.
Dans le marché du logement, le gouvernement canadien a déjà pris des mesures décisives pour s’attaquer à l’endettement des ménages. Il a ainsi établi des critères de solvabilité plus rigoureux, qui prévoient que tous les emprunteurs soient en mesure d’assumer un prêt à taux d’intérêt fixe sur cinq ans, abaissé le ratio prêt-valeur maximal pour le refinancement des prêts hypothécaires résidentiels et relevé le montant minimal de la mise de fonds dans le cas des prêts relatifs à des propriétés qui ne seront pas occupées par leur propriétaire. En outre, les relèvements des taux d’intérêt par la Banque du Canada ont rappelé aux ménages les risques de taux d’intérêt auxquels ils sont confrontés. Ces mesures commencent à porter leurs fruits.
Les autorités canadiennes travaillent en étroite collaboration et continueront à suivre de près la situation financière du secteur des ménages.
Ces lignes de défense devraient contribuer fortement à limiter le risque d’excès financiers. Mais il reste à savoir si des situations exigeront encore que nous fassions jouer à la politique monétaire un rôle de soutien, afin de réaliser le mieux possible la stabilité des prix à long terme, en prenant des mesures préventives contre le développement de déséquilibres financiers. La Banque se penche sur cette question dans le contexte de sa recherche axée sur le renouvellement de l’entente concernant le cadre de maîtrise de l’inflation. Même si la barre est haute quand il s’agit d’apporter de nouveaux changements au cadre de conduite de la politique monétaire, il incombe à la Banque de tirer les leçons appropriées de l’expérience d’autres pays qui, dans un environnement caractérisé par la stabilité des prix, ont été plongés dans un désastre financier.
Conclusion
La période que nous vivons est exceptionnelle. Une réduction massive du levier financier commence à peine dans l’ensemble des pays industrialisés.
Le Canada est entré dans cette crise en extrêmement bonne position. Étant donné les sacrifices consentis par les Canadiens et la prévoyance des gouvernements qui se sont succédé, notre niveau d’endettement public était le plus faible des pays du G7. Grâce au courage de mes prédécesseurs, la politique monétaire avait énormément de crédibilité. En raison de la qualité de la surveillance des autorités publiques et de la gestion des risques par le secteur privé, l’assise de fonds propres de nos banques était l’une des plus solides du monde. Et après plus d’une décennie de succès, nos entreprises étaient dotées de bilans extrêmement robustes.
En combinant ces forces à des mesures de politique décisives, nous avons fait très bonne figure tout au long de la tourmente. Mais les défis à relever ne font que commencer à apparaître.
Des conditions de financement bon marché ne représentent pas une stratégie de croissance à long terme. La politique monétaire continuera d’être formulée en fonction de l’atteinte de la cible d’inflation. Nos institutions ne devraient pas être leurrées par un faux sentiment de sécurité provoqué par les bas taux d’intérêt actuels.
Les ménages doivent se montrer prudents au moment de contracter des emprunts et tenir compte du fait que, pendant la durée d’un prêt hypothécaire, les taux d’intérêt seront souvent beaucoup plus élevés.
Le poids de l’ajustement au-delà de nos côtes se traduit par une faible demande de nos produits et une concurrence féroce. Nous devons accroître notre compétitivité. Une reprise suivant une récession exige une réallocation du capital et de la main-d’oeuvre. L’essor des investissements des entreprises qui s’est amorcé l’été dernier ne peut être que le début.
Ce n’est pas le moment de baisser la garde.
Je vous remercie.