Réforme financière au Canada et dans le monde : analyse rétrospective et prospective
Introduction
Comme le dit le vieil adage, « la connaissance est fondée sur l’expérience, et l’expérience est fondée sur les erreurs ». Au Canada, nous avons commis nos erreurs tôt et souvent dans les années 1970 et 1980. Notre situation budgétaire s’est fortement détériorée, l’inflation a franchi la barre des 10 % et quelques petites banques régionales ont fait faillite.
Le principal enseignement que nous avons tiré de ces années difficiles a été l’importance de cadres de politique cohérents et fondés sur des principes. De tels cadres contribuent à discipliner les décideurs publics et à accroître la crédibilité. Au Canada, cette approche est à l’origine de plusieurs éléments qui ont aidé le système financier à résister à la tempête, à savoir :
- un engagement envers des fonds propres accrus et de meilleure qualité;
- un régime de surveillance actif et une collaboration étroite entre les autorités;
- un marché hypothécaire bien réglementé;
- un secteur bancaire parallèle limité.
Dans mon discours aujourd’hui, j’ai l’intention d’examiner ces éléments plus à fond, dont bon nombre sont en train d’être incorporés dans les nouvelles normes internationales en matière de réglementation et de surveillance. Je traiterai également d’autres mesures – visant notamment une infrastructure de marché plus robuste et de meilleurs mécanismes de résolution et instruments macroprudentiels – qui sont susceptibles de rehausser l’efficience et la résilience de l’ensemble de nos systèmes.
Leçons tirées de la crise
La crise a fait ressortir l’importance des incitations, les dangers de la conformité, la nécessité du fonctionnement continu des marchés essentiels et la valeur de la prise de risques en fonction de la capacité de les supporter. Elle a mis en évidence le sophisme de composition selon lequel des institutions financières robustes garantissent collectivement la fiabilité et la solidité du système dans son ensemble.
La crise a aussi clairement mis en lumière l’interdépendance fondamentale au sein de l’économie internationale. Les tensions qui sont apparues dans certains pays se sont rapidement propagées dans le monde et ont provoqué une récession profonde et synchronisée. Il est dans notre intérêt à tous de mener à bien les réformes proposées. Voilà pourquoi il est primordial de mettre en commun nos expériences, comme celles du Canada, et je suis reconnaissant au Centre international d’études monétaires et bancaires de l’occasion qui m’est offerte de le faire.
L’objectif fondamental des réformes devrait être de créer un système qui soutient efficacement la croissance économique tout en offrant des choix aux utilisateurs de produits financiers. Ce système doit résister aux chocs et atténuer – plutôt qu’amplifier – l’effet de ces chocs sur l’économie réelle.
Un tel système doit être constitué d’institutions financières résilientes et de marchés robustes, puisque les uns et les autres jouent un rôle central comme sources de financement et que, bien structurés, ils peuvent s’appuyer réciproquement. Les nouvelles mesures doivent favoriser la concurrence plutôt que la concentration et renforcer la résilience du système plutôt que consolider les institutions indispensables.
Les cadres dont nous disposions à l’époque ont permis au Canada d’atteindre largement ces objectifs. Grâce à la perspective acquise en raison de la crise, de nouvelles avenues prometteuses s’offrent à nous pour pousser plus loin cet avantage.
Même s’il a été plongé dans une récession courte et prononcée, le Canada s’en est sorti relativement bien. Le PIB réel a enregistré une baisse cumulative de 3,4 % au pays, comparativement à plus de 4 % aux États-Unis, 5 % dans la zone euro et 8 % au Japon. À l’heure actuelle, l’emploi et l’activité économique au Canada ont regagné leurs niveaux d’avant la crise – une situation unique au sein du G7.
La meilleure tenue de notre pays pendant la crise est attribuable à deux facteurs. Premièrement, grâce à une politique monétaire hautement crédible et au fait que notre situation budgétaire est la plus solide au sein du G7, les autorités canadiennes ont été à même de réagir rapidement et efficacement en prenant des mesures expansionnistes exceptionnelles.
Deuxièmement, le système financier robuste du Canada a continué à fonctionner tout au long de la période. Les meilleurs résultats obtenus par notre pays ne s’expliquent pas seulement par le fait qu’aucune banque canadienne n’a fait faillite ou n’a fait appel aux fonds publics, ou que les liquidités exceptionnelles octroyées chez nous ne représentaient qu’une fraction de celles qui ont été injectées dans d’autres pays 1. Ils tiennent au fait que le crédit a continué de croître tout au long de la crise et pendant la reprise 2.
On se demande évidemment pourquoi.
À notre avis, cette situation est due à une combinaison de bonnes politiques et, avec le recul, à une certaine dose de chance. Permettez-moi de préciser ma pensée.
En rétrospective : certaines leçons à tirer de l’expérience canadienne
Des fonds propres accrus et de meilleure qualité
L’existence de normes d’adéquation des fonds propres tenant compte du risque – liant le niveau et la qualité des fonds propres et les niveaux de risque et de ratio de levier – s’est révélée une précieuse source de stabilité au coeur de la tourmente.
Les banques canadiennes étaient tenues de respecter les cibles de surveillance quant au niveau et à la qualité des fonds propres qui excédaient largement les normes minimales internationales. Elles devaient respecter un ratio minimal de fonds propres de catégorie 1 de 7 % et un ratio total de fonds propres de 10 %, au lieu de 4 % et 8 % respectivement selon la norme de Bâle II.
Dans les faits, les banques détenaient généralement davantage de fonds propres. Toutes les institutions financières étaient dans l’obligation d’établir des cibles internes afin de se doter d’une marge de précaution leur permettant de se prémunir contre les fluctuations et les pertes imprévues découlant des risques inhérents – et de veiller à ne pas transgresser les cibles de surveillance.
Le niveau de fonds propres adéquat est fonction des risques auxquels la banque s’expose, risques que le dispositif de Bâle II cherche à mesurer. Bâle II prévoyait un niveau d’actifs pondérés en fonction des risques supérieur pour les opérations plus risquées, mais l’organisme de surveillance des banques du Canada, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), exigeait également que les banques dont le niveau de risque était plus important compensent ce risque en détenant davantage de fonds propres.
La quantité mais aussi la qualité des fonds propres devaient augmenter. Le BSIF insistait pour que le capital-actions ordinaire représente la part dominante (au moins 75 %) des fonds propres de catégorie 1 3.
Comme la détermination des exigences de fonds propres tient compte du risque, les banques exposées à un niveau de risque plus important disposaient de davantage de réserves pour faire face aux pertes imprévues durant les bouleversements. Au moment de la faillite de Lehman, le ratio moyen de fonds propres de catégorie 1 des banques canadiennes atteignait 10 %, et le ratio total de fonds propres presque 13 %. Durant la tourmente, toutes les grandes banques canadiennes sont parvenues à maintenir leur niveau de fonds propres au-dessus des cibles de surveillance, sans réduire les dividendes et sans que le gouvernement n’ait à injecter de fonds. Encore une fois, ce qui est crucial, c’est que les capitaux propres corporels en actions ordinaires constituaient la plus grosse part de ces fonds propres.
Pendant la panique, les investisseurs ont, à juste titre, perdu confiance dans la pondération des risques selon les accords de Bâle. Ce qui est exaspérant, c’est que le jour précédant leur effondrement, chacune des banques qui ont fait faillite (ou ont été sauvées par l’État) affichait un niveau de fonds propres qui dépassait de beaucoup la norme de Bâle II. À l’automne 2008, les investisseurs avaient déjà été témoins des pertes subies par beaucoup trop de grandes institutions sur des titres supposément sans risque, comme des tranches de tout premier rang de produits titrisés. De nombreux investisseurs ont plutôt eu recours à des ratios de fonds propres simples pour évaluer l’adéquation des fonds propres des banques.
Les banques canadiennes étaient déjà soumises à un test aussi rigoureux. Pour compléter Bâle II, elles devaient conserver un ratio actifs / fonds propres (ratio de levier) équivalant tout au plus à 20. En pratique, les banques devaient maintenir leur ratio bien en-deçà de ce niveau.
Comme les autorités suisses le savent bien, un ratio de levier permet de parer aux carences fondamentales et constitue un complément utile aux exigences de Bâle. Il tient compte des limites de notre connaissance et nous protège des risques sous-estimés en fonctionnant de façon totalement indépendante de l’évaluation et de la modélisation des risques sophistiquées (et sujettes à l’erreur). Il s’agit d’une mesure objective complémentaire du dispositif de Bâle II fondé sur le risque, qui en définitive est subjectif.
Dans un monde idéal, il faudrait tenir compte du degré de risque des actifs des banques dans l’établissement du ratio de levier. Or, qui vit dans un monde où les risques sont connus avec certitude et peuvent être mesurés avec précision?
Dans la période qui a précédé la crise, lorsque les préoccupations entourant les risques étaient au plus bas (et que les risques eux-mêmes étaient de fait au plus haut), les banques canadiennes étaient limitées par le ratio de levier.
Ailleurs, le niveau absolu de levier financier s’est envolé. De 2002 à 2007, les ratios actifs / fonds propres simples des banques d’investissement américaines, des banques du Royaume-Uni et des grandes banques européennes sont passés de 10 à 15 de plus. Le levier réel, incluant les activités hors bilan, était même plus élevé. Dans bien des cas, la hausse du levier financier correspondait entièrement à l’augmentation du rendement des capitaux propres des banques. Cela s’est révélé un mirage, car les actifs financés par la hausse du levier financier ont contribué en grande partie aux pertes ahurissantes dévoilées pendant la crise.
Lorsque la panique financière s’est intensifiée, les investisseurs ont eu de plus en plus recours à des méthodes simples pour juger de l’adéquation des fonds propres. En fin de compte, seuls comptaient les fonds pouvant absorber les pertes et les tests simples visant à mesurer l’effet de levier. Sous cet éclairage, bien des empereurs financiers de par le monde se sont retrouvés, semble-t-il, sans habits. Par comparaison, les banques canadiennes étaient drapées dans leurs plus beaux atours d’hiver.
Bâle III englobe de nombreux avantages du système canadien, notamment un ratio de levier ainsi qu’une quantité, une qualité et une transparence accrues des fonds propres de catégorie 1.
En plus de rendre le système mondial plus comparable au système canadien, Bâle III ajoute d’importantes innovations, à savoir :
- une définition plus restrictive des actifs incorporels
- de nouvelles normes de liquidité mondiales;
- une réserve de fonds propres de précaution au-delà des exigences réglementaires minimales pour faire en sorte que les banques et les organismes de surveillance prennent rapidement des mesures correctives et que les banques puissent absorber les pertes durant les périodes de tensions financières et économiques;
- une réserve contracyclique complémentaire, qui varierait au fil du temps et contribuerait à atténuer les fluctuations du cycle économique.
Un régime de surveillance actif et axé sur la collaboration
Bien entendu, la résilience systémique ne repose pas uniquement sur les fonds propres. Parallèlement, la bonne tenue du système financier canadien est attribuable à des facteurs fondamentaux macroéconomiques robustes et à une solide gestion des risques par les banques elles-mêmes, favorisée par un régime de réglementation et de surveillance efficace. Quatre aspects de ce régime se sont révélés particulièrement importants.
Premièrement, la surveillance était ciblée. La surveillance centralisée était axée sur la surveillance prudentielle et n’était pas encombrée d’autres objectifs comme la promotion de l’accession à la propriété ou du réinvestissement dans la communauté. Elle a aussi fait en sorte que le ratio de levier et d’autres tests soient appliqués également aux opérations des banques et banques d’investissement, ce qui a aidé à limiter l’arbitrage réglementaire.
Deuxièmement, la surveillance était active. À la suite de la faillite de certaines petites banques régionales dans les années 1980, un cadre d’intervention rapide a été instauré. Cette intervention, qualifiée de graduelle, a permis aux organismes de surveillance de collaborer avec les institutions à la correction des problèmes à un stade précoce alors qu’ils étaient encore gérables. L’interaction au niveau des conseils d’administration, les sanctions au titre des fonds propres et les restrictions sur les opérations ont toutes contribué à inciter les dirigeants à s’attaquer rapidement aux problèmes.
Troisièmement, la surveillance était concertée. Les institutions sous surveillance faisaient l’objet d’un examen régulier de la part d’un comité conjoint microprudentiel composé de l’organisme de réglementation des banques, de la banque centrale, de l’assureur-dépôts, de l’agence de protection des consommateurs et du ministère des Finances. Cette concertation est au coeur de notre régime. En général, il existe une collaboration étroite entre toutes les entités responsables de la stabilité financière, qui sont tenues de mettre en commun l’information qu’elles possèdent 4.
Enfin, l’ensemble du cadre financier était examiné et mis à jour régulièrement. Au Canada, la loi nous oblige à revoir le cadre législatif et réglementaire de notre système financier tous les cinq ans. Cela s’est révélé inestimable étant donné le rythme de changement au sein du système financier. En outre, notre système fait régulièrement l’objet d’un examen externe rigoureux dans le cadre du Programme d’évaluation du secteur financier dirigé par le Fonds monétaire international, et les autorités canadiennes soumettent régulièrement le système à des simulations de crise.
Bon nombre de ces éléments sont maintenant adoptés à l’échelle internationale. Le G20 a rendu le Programme d’évaluation du secteur financier obligatoire et de nombreux pays mettent en place des comités chargés de la surveillance de leur système financier 5. En s’appuyant sur le rapport d’un groupe de travail présidé par la surintendante des institutions financières du Canada, le Conseil de stabilité financière proposera aux dirigeants du G20 réunis à Séoul une série de recommandations visant à renforcer la surveillance et la supervision 6.
Un marché hypothécaire bien réglementé
Étant donné l’origine de la crise – les prêts hypothécaires à risque aux États-Unis – et son potentiel de discrédit pour tout ce qui touche les prêts hypothécaires et la titrisation, la structure du financement hypothécaire au Canada s’est aussi avérée un atout considérable. Entre autres caractéristiques qui relèvent du simple bon sens, notons la responsabilité personnelle des emprunteurs à l’égard de leurs dettes et l’impossibilité de déduire les intérêts hypothécaires du revenu imposable. De plus, les principaux critères d’octroi de prêts sont, en pratique, établis en fonction des modalités de l’assurance hypothécaire garantie par l’État 7. Les banques sont tenues d’assurer les prêts hypothécaires dont le rapport prêt-valeur est supérieur à 80 %. Tous les emprunteurs doivent satisfaire à des critères de revenu, et les primes d’assurance varient selon le rapport prêt-valeur et la période d’amortissement.
Durant la période qui a précédé la crise, les problèmes de type mandant-mandataire qui sont apparus dans les modèles d’octroi puis de cession du crédit ne se sont pas posés au Canada. Les banques ont en grande partie gardé les risques liés aux prêts souscrits, maintenu leurs critères et conservé leurs compétences en matière de crédit. Comme la plupart des prêts hypothécaires qu’elles accordaient s’inscrivaient dans leurs bilans, les critères de souscription sont demeurés élevés. La diversification géographique de leur portefeuille de prêts s’est faite naturellement par l’intermédiaire de leur réseau national de succursales, les banques ayant ainsi un motif de moins pour titriser leurs créances.
Seulement environ 30 % des créances hypothécaires au Canada sont titrisées. Qui plus est, les produits titrisés sont composés essentiellement de titres adossés à des créances hypothécaires garantis par l’État (quelque 85 % avant la crise). Par conséquent, le marché canadien des titres hypothécaires a continué de bien fonctionner pendant la crise.
D’autres marchés de la titrisation, du secteur privé, étaient moins développés. Par ailleurs, on a eu peu recours aux swaps sur défaillance pour couvrir le risque d’entreprise au Canada. Comme les banques canadiennes ont gardé une large part de leurs expositions dans leur bilan, elles sont demeurées des banques au lieu de se convertir en agences d’hébergement de titres ou en opérateurs.
Examinons ce qui s’est passé ailleurs.
La suppression de la relation entre l’initiateur de titres et le preneur de risque s’est traduite par un relâchement des normes de souscription et de surveillance. Par surcroît, le transfert du risque même était souvent incomplet, puisque les banques conservaient d’importants volumes de tranches de premier rang supposément sans risque de produits structurés.
Ces risques ont été aggravés par l’expansion rapide des banques sur les marchés des produits dérivés de gré à gré. Essentiellement, les banques ont souscrit une série d’options de grande taille hors du cours 8. Comme l’évaluation et la gestion des risques étaient en décalage par rapport à la réalité, la mauvaise répartition des capitaux a été généralisée. Lorsque les normes de crédit se sont dégradées, les risques extrêmes intrinsèques à ces stratégies se sont matérialisés.
Cette situation a pris une ampleur remarquable. Dans les dernières années de la période de croissance intense, lorsque l’excès de confiance dans les liquidités a atteint son apogée, l’activité du système bancaire parallèle a acquis des proportions démesurées. La valeur des véhicules d’investissement structurés, par exemple, a triplé entre 2004 et 2007. Les swaps sur défaillance, quant à eux, ont été multipliés par six. Juste avant la crise, les actifs du secteur bancaire parallèle aux États-Unis étaient à peu près équivalents à ceux du secteur réglementé 9.
Un secteur bancaire parallèle limité
Cela m’amène là où le Canada, avec le recul, a eu de la chance. Doté d’une finance solide beaucoup plus centrée sur les banques qu’aux États-Unis, le Canada a été nettement moins exposé à l’érosion de la titrisation privée et à l’effondrement du secteur bancaire parallèle 10.
Le système bancaire canadien est très concentré, puisque six grandes banques détiennent près de 90 % de l’actif du secteur bancaire au pays. Les banques sont les principaux fournisseurs de crédit. Le financement bancaire direct et indirect représente 58 % de l’offre de crédit, les autres institutions financières réglementées, 14 %, et les instruments traditionnels du marché, 28 %.
Les grandes banques dominent également la prise ferme de titres et les services bancaires d’investissement au Canada, et comptent parmi les plus gros gestionnaires d’actifs au pays – preuve que les services bancaires commerciaux et les services bancaires d’investissement peuvent coexister harmonieusement à l’intérieur d’une même institution. À la suite de fusions réalisées à la fin des années 1980 au Canada, les opérateurs ont commencé à ressembler davantage à des banques commerciales plutôt que le contraire.
La structure des marchés canadiens du financement a aussi eu une influence. Les banques canadiennes dépendaient moins que leurs consoeurs américaines ou universelles des opérations interbancaires non garanties et des opérations de pension à court terme. Ainsi, la taille du marché des pensions au Canada équivaut au cinquième de celle d’autres pays et le marché du papier commercial est relativement petit.
Par contraste, le tiers de la hausse du levier financier brut des banques d’investissement américaines, des banques du Royaume-Uni et des banques européennes a été financé principalement par les marchés monétaires à court terme. Il est un fait que le recours des banques au financement de gros garanti s’est accru, se chiffrant à 200 milliards de dollars il y a dix ans pour atteindre un sommet de 4 billions aujourd’hui. En empruntant sur les marchés de gros à court terme pour financer la croissance de leurs actifs, les banques sont devenues plus dépendantes d’un accès continu à des liquidités sur les marchés monétaires et les marchés de capitaux. L’exposition du système au risque de confiance des marchés était énorme.
Que faut-il d’autre pour aller de l’avant?
L’effondrement de la confiance a nécessité quantité de mesures extraordinaires et de sauvetages bancaires, motivés par une même crainte, celle d’une contagion passant par les relations bilatérales entre contreparties sur les marchés du financement et des produits dérivés. Les banques d’investissement américaines étant au coeur de nombreux marchés essentiels, comme celui des opérations de pension tripartites, le système était profondément fragile.
Finalement, l’engagement historique pris par le G7 de recourir à tous les moyens à sa disposition, y compris les fonds publics, pour soutenir les institutions financières d’importance systémique et prévenir leur défaillance était nécessaire pour assurer le fonctionnement du système. Il en a résulté un énorme aléa moral, qui, s’il n’est pas contenu, va fausser le comportement du secteur privé et gonfler les coûts du secteur public.
Une série de mesures concertées devront être adoptées afin de bâtir des marchés de financement et de produits dérivés résilients toujours ouverts et de ramener les institutions financières à la discipline de marché.
Pour que les marchés demeurent ouverts en continu, il faut des politiques et une infrastructure qui favorisent la création de liquidité par le secteur privé en temps normal et facilitent l’apport d’un soutien par la banque centrale en temps de crise. La pierre angulaire est constituée de contreparties centrales de compensation des opérations de pension et des opérations sur dérivés de gré à gré. Lorsqu’elles sont bien protégées contre les risques, ces contreparties jouent un rôle de pare-feu, empêchant la propagation des chocs liés aux défaillances parmi les principaux participants aux marchés. Dans le cadre de la compensation centralisée, les autorités peuvent aussi imposer le recours à des dispositifs de marge en fonction du cycle intégral, ce qui réduirait les spirales de liquidité, qui, ainsi, contribueraient moins aux cycles d’expansion et de contraction abruptes.
Pour développer un marché du financement à court terme garanti qui soit robuste, la Banque du Canada appuie la création d’une contrepartie centrale de compensation nationale pour les opérations de pension en dollars canadiens.
La Banque collabore avec ses partenaires nationaux et internationaux à l’élaboration d’une infrastructure similaire pour les marchés des produits dérivés de gré à gré. Les efforts déployés actuellement par le G20 pour transférer les produits dérivés de gré à gré standardisés aux chambres de compensation peuvent grandement réduire la contagion liée au risque de contrepartie et améliorer la transparence ainsi que l’évaluation et la gestion des risques.
Parallèlement, les pays membres du G20 devront veiller à ce que les liens entre les contreparties centrales de compensation n’aient pas pour effet d’accroître le degré de concentration du marché parmi les opérateurs. Des critères d’accès et d’interopérabilité doivent être conçus avec soin pour que cette importante réforme procure le maximum d’avantages systémiques.
S’attaquer au problème des institutions trop grosses pour faire faillite et réinculquer la discipline de marché
Il se dégage une ferme conviction parmi les décideurs publics que, dans les crises à venir, les pertes devront être assumées par les institutions mêmes. C’est-à-dire par les dirigeants, les actionnaires et les créanciers, et non par les contribuables.
Une infrastructure de marché améliorée ne suffira pas à elle seule à réinculquer la discipline de marché. Fondamentalement, une série de mesures, dont des testaments biologiques et de meilleurs mécanismes transfrontaliers de résolution des défaillances bancaires, devront être prises pour soumettre pleinement les entreprises à la sanction ultime du marché.
Les pays ont tous besoin d’outils d’intervention sûrs et rapides afin 1) de s’assurer que les entreprises continuent d’exercer leurs fonctions essentielles et 2) de pouvoir vendre, transférer ou restructurer des entreprises en tout ou en partie et répartir les pertes. Un pouvoir légal de mise à contribution des investisseurs pourrait combler une grave lacune de la panoplie de mécanismes de résolution et devrait pousser le secteur privé à trouver des solutions de rechange au processus de restructuration.
Un exemple de mécanisme prometteur fondé sur le marché consiste à intégrer des dispositifs de fonds propres conditionnels et de mise à contribution des investisseurs aux émissions de titres de dette négociables non garantis et d’actions privilégiées des institutions financières. Les fonds propres conditionnels sont des titres qu’une institution financière convertit en fonds propres lorsqu’elle éprouve de sérieuses difficultés; elle reconstitue ainsi son capital sans que l’on ait recours à l’argent des contribuables. On pourrait intégrer les conversions conditionnelles dans toutes les nouvelles émissions de titres de créance de premier rang non garantis et de titres de créance subordonnée et créer de la sorte une approche globale de mise à contribution des investisseurs. Une telle approche permettrait aussi de discipliner les dirigeants, puisque les actionnaires ordinaires seraient incités à faire preuve de prudence pour éviter l’effritement de leurs intérêts par suite d’une conversion.
Conclusion
À voir l’ampleur et la complexité de la crise ainsi que les points de défaillance multiples, il est évident qu’il n’existe pas de panacée. Des réformes massives de la réglementation, des changements de politique et une modification du comportement du secteur privé s’imposent. Nous devrions tous nous atteler à la tâche avec une certaine dose d’humilité.
L’expérience du Canada à cet égard fournit d’importantes leçons (sur les fonds propres, le levier financier, le financement hypothécaire et la surveillance), mais nous reconnaissons que nous n’avons pas toutes les réponses.
Compte tenu des défis éprouvants qu’elles ont su relever, les autorités suisses, en particulier le président Hildebrand, doivent être félicitées pour leur vision et leur leadership concernant de telles innovations mondiales que sont les fonds propres conditionnels, la mise à contribution des investisseurs et les cadres de surveillance transfrontaliers.
Tous les décideurs publics devraient redoubler d’efforts pour réformer l’infrastructure et ainsi atteindre l’objectif de marchés concurrentiels ouverts en continu.
Enfin, bien que ces initiatives officielles soient essentielles, la résilience systémique repose avant tout sur la surveillance des acteurs privés, qui vont des investisseurs aux dirigeants d’entreprises en passant par les conseils d’administration. Au bout du compte, le secteur privé restera la première ligne de défense. Il faut donc s’employer à améliorer ces fonctions de surveillance.
Au moment où nous faisons un retour en arrière pour mieux aller de l’avant, nous ferions bien de tous nous rappeler que l’arrogance précède la ruine. Les risques sont habituellement à leur niveau le plus élevé lorsqu’ils nous semblent insignifiants, et les participants au marché financier sont les plus vulnérables lorsqu’ils pensent qu’ils ont réponse à tout. Dans un système financier dynamique, tous les participants doivent accorder une attention constante au dépistage des vulnérabilités et à l’amélioration de la résilience. Notre travail vient à peine de commencer.