Réflexions sur la politique monétaire après la Grande Récession

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Introduction

Je suis ravi d’être ici pour prendre la parole devant le Cercle de la finance internationale de Montréal, au Club Mount Stephen – un endroit somptueux imprégné de l’histoire du Canada et du Québec. Fondé par des chefs d’entreprise, il est encore aujourd’hui un lieu d’une élégance raffinée où se réunissent des gens influents. Étant originaire de Montréal, je suis particulièrement heureux de revenir dans ma ville natale pour prononcer mon premier discours en tant que premier sous-gouverneur de la Banque du Canada.

Le Club Mount Stephen a ouvert ses portes durant les années folles. Dans ce lieu de rencontre de l’élite du milieu des affaires montréalais, on a dû mener de nombreuses discussions franches à propos de la bulle boursière, du krach de 1929 et de la Grande Dépression qui a suivi. Avec une certaine humilité, je me permets d’avancer que ces discussions étaient probablement semblables à des conversations plus récentes qui ont eu lieu dans ces murs concernant le boom du crédit, la crise financière et la Grande Récession.

J’ai pensé que je pourrais aujourd’hui contribuer à cette tradition de franches discussions en vous faisant part de certaines de mes réflexions sur la politique monétaire au sortir de la Grande Récession. Dans mon discours aujourd’hui, je me pencherai sur les trois points suivants :

  • ce qui a bien fonctionné;
  • ce qui a manqué;
  • et ce qui doit revenir après avoir été délaissé pendant quelque temps.

Après avoir passé de nombreuses années à la Banque du Canada, j’ai récemment travaillé au ministère des Finances, à titre de sous-ministre délégué et de représentant du Canada auprès du G7 et du G20. Durant cette période, j’ai continué de collaborer étroitement avec la Banque, de même qu’avec le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) et d’autres partenaires, à la coordination des interventions du Canada face à la crise financière.

La politique monétaire demeurait toutefois du ressort exclusif de la Banque du Canada. J’étais un spectateur, comme vous tous ici aujourd’hui. Les réflexions que je vous présente sont donc celles de quelqu’un qui a observé la situation de l’extérieur tout au long de la Grande Récession.

La croissance économique est de retour à l’échelle mondiale

Même si la Grande Récession est maintenant terminée et que l’économie mondiale a renoué avec la croissance, on n’assiste pas à une grande reprise. La croissance est inégale, et on est en présence d’un degré d’incertitude inhabituel. La crise financière a laissé des cicatrices partout sur la planète : des pertes d’emplois et de production, un recul de la richesse des ménages, des systèmes financiers fragilisés et d’importants déficits budgétaires. Étant donné que les ménages, les entreprises financières et les gouvernements réduisent tous leurs leviers d’endettement, la reprise devrait s’avérer modeste à l’échelle du globe et le chômage ne devrait diminuer que graduellement.

Dans la plupart des économies avancées, la reprise repose encore sur les mesures de relance monétaire et budgétaire. La demande privée se redresse, mais elle n’a pas encore pris le relais des mesures publiques de relance. Comme les autorités budgétaires devraient commencer à retirer leur soutien au cours de l’année qui vient, les conditions monétaires vont probablement demeurer expansionnistes pendant quelque temps encore.

À l’échelle mondiale, le caractère modeste de la reprise dans les pays avancés est contrebalancé par la vigueur soutenue de l’expansion dans la plupart des économies de marché émergentes. Les mesures prises par les autorités publiques ainsi que les cadres économiques renforcés contribuent à stimuler la demande intérieure dans les économies émergentes, bien que, dans certains cas, il faudrait l’appui d’une plus grande flexibilité des taux de change.

Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit qu’en 2011, la croissance avoisinera les 6 1/2 % au sein des économies émergentes et les 4 1/4 % à l’échelle du globe.

Comme vous le savez, le Canada a mieux résisté à la crise que la plupart des autres pays, grâce à de solides assises, bâties sur une bonne gestion et des politiques judicieuses.

Le FMI prévoit que le Canada connaîtra l’une des reprises économiques les plus vigoureuses parmi les pays du G7 au cours des deux prochaines années. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une reprise modeste par rapport à ce qu’on a observé dans le passé.

La crise a entraîné d’énormes coûts dans le monde entier. Du sommet au creux de la crise, la production économique dans les pays du G7 a chuté de presque 5 %, et les pertes de production ont atteint 2 billions de dollars pour l’économie mondiale.

Au Canada, la diminution du PIB a été supérieure à 3 %, les pertes de production se sont chiffrées à 50 milliards de dollars et 400 000 emplois ont été supprimés. Le pays a maintenant récupéré ces emplois, mais il n’a pas regagné le terrain perdu et les occasions manquées.

De nombreux correctifs doivent être apportés pour éviter la répétition de telles pertes. Ils consistent principalement à harmoniser les incitations ainsi qu’à améliorer la gestion des risques et la gouvernance dans le secteur privé, à renforcer la réglementation et la surveillance du système financier, et à consolider l’infrastructure financière de base.

Mais aujourd’hui, je veux me pencher sur les enseignements tirés de la Grande Récession pour la politique monétaire.

Ce qui a bien fonctionné

Je commencerai par ce qui a bien fonctionné. Au début des années 1990, la stabilité des prix s’est affirmée comme l’objectif premier de la politique monétaire. Cette orientation était attribuable à l’amère expérience de l’inflation élevée qui sévissait depuis le début des années 1970 et au consensus de plus en plus large voulant que la stabilité des prix soit la meilleure contribution que la politique monétaire puisse apporter au bien-être des Canadiens.

L’objectif de la stabilité des prix a été officialisé en 1991, et le Canada est devenu le deuxième pays au monde seulement, après la Nouvelle-Zélande, à cibler l’inflation. À l’époque, je venais d’obtenir mon doctorat et je travaillais à la Banque. Le passage à une cible d’inflation me donnait une occasion en or de mettre à profit mon investissement dans mes études en formulant de véritables conseils stratégiques sur la façon de mettre en oeuvre ce nouveau régime de ciblage de l’inflation.

C’était une époque fascinante, malgré les difficultés rencontrées au début. Il y avait beaucoup de scepticisme quant à la capacité de la Banque du Canada à maîtriser l’inflation et à atteindre les cibles.

De plus, dans la première moitié des années 1990, la dette publique du Canada était élevée et ne cessait d’augmenter. Si bien que lorsque la propension pour le risque a reculé à l’échelle mondiale par suite du déclenchement de la crise du peso mexicain, bon nombre d’investisseurs étrangers se sont départis de leurs actifs en dollars canadiens. Et la prime de risque souverain toujours plus forte exigée par les investisseurs étrangers pour détenir des actifs en dollars canadiens minait la capacité de la Banque du Canada de fixer les taux d’intérêt à un niveau qui permettrait d’atteindre la cible d’inflation.

Cela peut servir d’avertissement à d’autres pays aux prises avec une dette élevée qui ne cesse d’augmenter. Mais c’est là le sujet d’un autre discours.

Compte tenu du redressement spectaculaire des finances publiques canadiennes qui s’est amorcé au milieu des années 1990, les défis que présentait le ciblage de l’inflation à ses débuts se sont dissipés. Il en a résulté une expansion économique incroyable qui a duré 16 ans.

En 2006, la dernière fois que la cible d’inflation a été reconduite, il était clair que cette stratégie donnait d’excellents résultats, encore plus que ne l’avaient prédit ses plus ardents défenseurs. L’inflation au Canada était beaucoup plus faible et plus stable qu’elle ne l’avait été au cours des deux décennies précédentes. La progression du PIB était plus élevée et plus stable, et le chômage avait diminué.

Or, le Canada n’est pas le seul à avoir obtenu un tel succès. La mise en oeuvre d’un régime de ciblage de l’inflation dans d’autres pays – au nombre de 26 en 2009 – a produit des résultats similaires. Beaucoup considèrent que le ciblage de l’inflation a joué un rôle de tout premier plan dans la période prolongée de forte croissance et de faible inflation, qu’on a appelée la Grande Modération.

Cependant, le véritable succès d’une politique se mesure non pas dans les périodes fastes, mais dans les périodes de tensions.

La conduite de la politique monétaire durant la crise

Même si la crise financière a pris naissance à l’extérieur de nos frontières, nous avons tout de même été touchés par la fermeture quasi complète des marchés mondiaux du crédit et avons senti ses effets sur l’économie réelle. Au Canada, la production industrielle a reculé de 15 %, et ce sont les exportateurs qui ont souffert le plus de la chute marquée de l’activité aux États-Unis.

La première mesure de politique monétaire prise par les banques centrales pendant la crise a été de réduire leur taux directeur 1. La Banque du Canada a commencé à abaisser les taux d’intérêt en décembre 2007. Cette intervention a été suivie d’une série de réductions énergiques jusqu’à ce que, en avril 2009, le taux directeur atteigne 1/4 %, soit son niveau plancher et le niveau le plus bas qu’il ait connu au cours des 75 ans d’histoire de la Banque.

En outre, la Banque a donné des indications extraordinaires quant à la trajectoire probable des taux d’intérêt nécessaire pour atteindre la cible d’inflation, et ce, afin de maximiser le degré de détente monétaire créé par son taux directeur. L’accent mis sur la maîtrise de l’inflation par la politique monétaire tout au long de la crise financière et de la récession mondiale a servi à la fois de phare et d’ancre aux interventions audacieuses menées par les autorités.

L’ensemble des décisions qui ont mené à la réduction du taux directeur à pratiquement zéro reflétait l’engagement symétrique de cibler un taux d’inflation de 2 %. Cette mesure d’intervention, conjuguée à l’engagement conditionnel de maintenir le taux directeur à un niveau aussi bas pendant une période déterminée, a permis aux taux d’intérêt réels de devenir négatifs et contribué à rétablir la confiance des entreprises et des ménages.

La Banque du Canada a pris un engagement conditionnel de maintenir le taux directeur à 1/4 % d’avril 2009 au milieu de 2010 afin d’accentuer la détente monétaire en influençant les taux d’intérêt à plus long terme. Cet engagement était conditionnel aux perspectives en matière d’inflation. Autrement dit, il était fondé sur l’opinion de la Banque selon laquelle cette trajectoire du taux directeur était compatible avec la réalisation de la cible d’inflation.

Selon des recherches préliminaires sur l’incidence de cet engagement conditionnel, le fait d’avoir précisé la période d’application s’est avéré particulièrement efficace. Il semble que l’engagement conditionnel pris par la Banque du Canada a fait baisser les taux d’intérêt canadiens à long terme par rapport à ce que leur relation passée avec les taux d’inflation et de chômage aurait laissé présager 2.

Toutefois, si le régime de ciblage de l’inflation du pays a bien servi les Canadiens, cela ne veut pas dire que nous pouvons compter sur l’engagement envers la stabilité des prix pour assurer la stabilité financière. De fait, il se peut que la stabilité de l’inflation et la modération du cycle économique qui lui est associée aient encouragé la prise de risques excessifs. La crise nous rappelle que, si on ne peut pas assurer la stabilité financière, on ne peut pas non plus atteindre la stabilité des prix. Voilà qui m’amène à mon deuxième point.

Ce qui a manqué

La Grande Récession nous a forcés à nous pencher beaucoup plus attentivement sur la prévention des crises. Comment faire pour empêcher que l’histoire se répète? La question nous oblige à élargir nos horizons afin d’examiner l’interaction entre la stabilité des prix, la stabilité du système financier et le rôle de la politique monétaire et d’autres outils d’intervention. En particulier, la politique monétaire devrait-elle être activement mise à contribution pour freiner l’accumulation de déséquilibres financiers ou d’autres instruments seraient-ils mieux adaptés à cette tâche?

Dans la mesure où les déséquilibres financiers ont des répercussions sur les perspectives en matière d’inflation, la politique monétaire permet effectivement d’atténuer les déséquilibres financiers. La cible d’inflation du Canada est exprimée en fonction du taux de variation de l’indice des prix à la consommation (IPC). Par conséquent, si des déséquilibres financiers influent sur les perspectives d’évolution de l’inflation mesurée par l’IPC, soit directement par leur influence sur les prix de certaines composantes de l’IPC (comme les prix des maisons), soit indirectement par leurs effets sur le revenu et la richesse et, donc, par les pressions qu’ils exercent sur le niveau général des prix, ils sont pris en compte lorsque la Banque établit le taux directeur. En contexte de ciblage de l’inflation, la politique monétaire doit nécessairement prendre en considération tout ce qui influe sur les perspectives en matière d’inflation.

Ainsi, la vraie question n’est pas de savoir si la politique monétaire tient compte des déséquilibres financiers, mais si elle devrait les atténuer au-delà de ce qui est nécessaire pour maintenir l’inflation à la cible à l’horizon habituel de deux ans de la politique monétaire. Ou, de façon plus directe, dans quelles circonstances vaudrait-il la peine d’accepter des déviations plus importantes de l’inflation par rapport à la cible à l’horizon habituel pour permettre à la politique monétaire d’atténuer les déséquilibres financiers et possiblement de mieux réussir à garder un taux d’inflation bas et stable à un horizon plus éloigné?

Avant la crise, de nombreuses personnes se disaient en faveur d’une approche orthodoxe, selon laquelle la politique monétaire ne devrait pas servir à corriger les déséquilibres financiers en formation, mais plutôt se limiter à réparer les dommages après coup. Cette approche semble moins convaincante au lendemain de la crise.

Au moment d’examiner le rôle de la politique monétaire, la première étape consiste à comprendre la gamme d’outils disponibles pour favoriser la stabilité financière et les types de risques que chacun des outils est le mieux en mesure de contrer.

Une surveillance et une réglementation efficaces institution par institution forment le premier rempart contre les déséquilibres financiers. Au Canada, les institutions financières fédérales sont supervisées par le BSIF. Comme la surintendante Julie Dickson se plaît à le dire, « un système financier solide est constitué d’institutions financières solides ». Un cadre réglementaire approprié et appliqué avec rigueur est donc gage d’entreprises financières résilientes.

À cet égard, l’accord conclu récemment par le Comité de Bâle visant à accroître de façon notable les fonds propres que les institutions financières doivent détenir en contrepartie de leurs actifs pondérés en fonction des risques, calculés selon des règles plus strictes, ainsi qu’à plafonner le levier financier constitue un renforcement très important des règles et un atout. Grâce à ces règles plus rigoureuses, le reste du monde ressemblera davantage au Canada. Mais, chez nous, les entreprises financières devront également s’ajuster.

La réglementation systémique représente le deuxième rempart contre les déséquilibres financiers. Il s’agit d’une responsabilité que partagent le ministère des Finances et tous les organismes fédéraux de réglementation financière, dont naturellement la Banque du Canada, le Bureau du surintendant des institutions financières et la Société d’assurance-dépôts du Canada. Une leçon importante tirée de la crise est que l’application d’une réglementation institution par institution ne suffit pas. Le risque entourant le système financier est plus grand que le risque moyen qui pèse sur chaque institution. Cette constatation fait ressortir la nécessité de compléter la réglementation prudentielle institution par institution par une perspective globale. Pour ce faire, il faudra se doter de nouveaux instruments de politique d’envergure systémique.

Les réserves de fonds propres contracycliques dont fait état le nouvel accord du Comité de Bâle représentent un excellent exemple d’un tel instrument. Ces réserves permettent d’accumuler des fonds additionnels au cours des périodes de poussée excessive du crédit qui sont associées à l’intensification des risques systémiques et de constituer un coussin supplémentaire qui servira à absorber les pertes en cas de correction. Les réserves de fonds propres contracycliques devraient également modérer la croissance excessive du crédit.

L’élaboration de cet instrument et d’autres outils d’envergure systémique est un pas en avant très important. Ces instruments n’existaient pas ou du moins ils n’étaient pas au point, et ils viendront combler une grande lacune dans l’arsenal de politiques. Il reste beaucoup de travail à accomplir pour les mettre en pratique et leur mise en oeuvre dans les années à venir permettra de tirer bien des enseignements.

Toutefois, même avec une meilleure surveillance prudentielle et des instruments efficaces d’envergure systémique, la question demeure : existe-t-il des circonstances où la politique monétaire devrait « prévenir » et complémenter ces outils? Comme les coûts de la récente crise l’ont clairement démontré, voilà une importante question à prendre en compte en prévision du renouvellement de l’entente relative à la cible d’inflation que la Banque du Canada doit conclure avec le gouvernement fédéral à la fin de 2011.

À l’heure actuelle, nous pouvons avancer que l’efficacité du recours à la politique monétaire dans le but d’atténuer les déséquilibres financiers dépendra de la cause du choc ou de la défaillance des marchés dont ils sont issus ainsi que de la nature des instruments réglementaires existants.

Si les déséquilibres sont limités à un secteur ou à un marché et qu’on dispose d’un outil prudentiel bien ciblé, la politique monétaire n’aura guère de rôle à jouer. Mais si les déséquilibres apparus dans un marché donné risquent de se propager à l’ensemble de l’économie ou que la portée de l’outil prudentiel est trop vaste, une action de la banque centrale est davantage susceptible d’être nécessaire. Dans ces cas, une coordination des instruments monétaire et prudentiel s’imposera probablement 3.

Ce qui doit revenir

Je terminerai mes réflexions sur la politique monétaire après la Grande Récession en disant qu’une partie de ce que nous pensions être du passé des banques centrales redevient d’actualité.

Lorsque j’ai commencé à travailler à la Banque du Canada en 1984, la recherche était centrée sur le ciblage non pas de l’inflation, mais d’un agrégat monétaire. En 1981, la Banque a abandonné la cible de croissance de M1 – ou, comme le gouverneur Bouey l’a dit à la blague – « c’est M1 qui nous a abandonnés ». Par la suite, une grande partie des travaux de l’institution ont été axés sur la recherche d’un nouvel agrégat monétaire qui présenterait une relation stable avec les prix, les revenus et les taux d’intérêt.

Nous n’avons pas trouvé ce que nous cherchions, mais nous avons beaucoup appris sur la façon dont les mouvements d’expansion et de contraction de la monnaie et du crédit passent par le système financier pour se répercuter sur les dépenses des ménages et les investissements des entreprises.

En outre, le régime de cibles monétaires que j’ai connu à mes débuts à la Banque avait laissé en héritage une grande attention portée au suivi des flux financiers ainsi qu’à l’accumulation et à l’utilisation de la monnaie et du crédit chez les différents acteurs du système financier et de l’économie réelle.

Mais comme le ciblage de l’inflation a pris de l’importance dans les années 1990, cette analyse a été reléguée à l’arrière-plan. Notre centre d’attention s’est déplacé vers le taux directeur et son incidence sur les autres taux d’intérêt, les prix des actifs, le taux de change et ces influences sur la production et l’inflation. La monnaie et le crédit sont devenus invisibles dans une bonne partie de notre analyse économique.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est dans les moments de tension qu’on peut voir si une politique est efficace. Se concentrer sur la transmission des variations des taux d’intérêt aux dépenses et à l’inflation fonctionne bien en temps normal, mais la crise nous a rappelé la complexité du système financier mondial. Quand le système financier ne fonctionne pas normalement, nous ne pouvons pas emprunter le raccourci qui va des taux d’intérêt à la production et à l’inflation. Il nous faut comprendre plus en profondeur comment le bilan de la banque centrale agit sur l’intermédiation financière et sur le crédit et les encaisses monétaires des entreprises et des ménages.

Autrement dit, nous devons mieux comprendre les flux de monnaie et de crédit à plus petite échelle et nous devons bâtir des modèles qui intègrent la monnaie, le crédit et les principales caractéristiques institutionnelles des marchés bancaires et des marchés de capitaux.

Si nous regardons seulement les taux d’intérêt, l’inflation et la production, nous risquons de ne pas voir les bulles et les autres éléments du risque systémique lorsqu’ils se développent. Et si nous voulons commencer à examiner le rôle de la politique monétaire dans l’atténuation des déséquilibres financiers, nous devons avoir une meilleure compréhension de l’effet qu’ils ont l’un sur l’autre.

Depuis le début de la crise financière, la Banque a intensifié ses efforts pour inclure les flux de crédit et la monnaie dans son analyse des politiques. Nos travaux de recherche récents sont de grands pas en avant dans l’intégration des bilans de banques aux modèles macroéconomiques standards. Cela nous permettra d’étudier comment l’évolution des secteurs financiers influe sur la transmission de la politique monétaire et d’analyser comment la politique monétaire doit composer avec les chocs financiers, aussi bien nationaux qu’internationaux. Enfin, nous élaborons actuellement des outils de détection des déséquilibres financiers en formation, qui ont une incidence sur la création de crédit.

Nos efforts de recherche se poursuivent. La Grande Récession et la reprise « pas si grande que cela » nous montrent clairement que la conduite de la politique monétaire nous réserve des défis intéressants.

Conclusion

Permettez-moi de conclure. La crise nous a enseigné de nombreuses leçons et nous rappelle certaines approches du passé qui devraient être dépoussiérées et recevoir l’attention qui leur est due. À ce jour, le régime monétaire qui a le mieux fonctionné est celui où la politique monétaire est centrée sur la stabilité des prix, réalisée au moyen d’une cible d’inflation.

Ce régime nous a donné la période de la Grande Modération, ou la décennie que le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mervyn King, a qualifiée de « NICE » (« non-inflationary and consistently expansionary », c’est-à-dire à inflation nulle et à croissance continue), et il a bien résisté aux tensions tout au long de la crise.

La crise a cependant révélé un certain nombre de trous béants dans notre système de réglementation, notre infrastructure financière de base et nos instruments de politique. Bien qu’il ne soit pas réaliste de s’attendre à ce qu’une combinaison de politiques microprudentielles, systémiques et monétaires élimine la procyclicité dans le système financier et le cycle économique en général, notre objectif est de rendre le système plus résilient face aux ralentissements économiques et aux autres chocs globaux et de modérer l’accumulation des risques financiers.

Nous avons beaucoup appris du passé en mettant au point les mesures exceptionnelles qui ont été prises au plus fort de la crise. Même si les premiers membres du Club Mount Stephen ont sans doute été nombreux à vivre de sérieuses difficultés durant la Grande Dépression des années 1930, cette fois-ci, l’ampleur des dégâts économiques a été nettement moins considérable pour les Canadiens. La combinaison d’une politique monétaire axée sur la stabilité des prix et de mesures audacieuses de relance budgétaire et de stabilisation financière a permis d’éviter un désastre beaucoup plus grave. Nous devons maintenant être tout aussi diligents dans la mise à profit des leçons du passé pour prévenir de futures crises. Relever ce défi suppose que nous ayons le bon arsenal d’analyses et de politiques.

  1. 1. La première réaction des banques centrales à la crise a été d’injecter des liquidités dans le système financier, mais cette mesure visait à régler les problèmes de stabilité financière tout en protégeant le taux directeur.[]
  2. 2. Z. He (2010), Evaluating the Effect of the Bank of Canada’s Conditional Commitment Policy, document d’analyse no 2010-11, Banque du Canada.[]
  3. 3. Pour un examen plus approfondi du rôle que la politique monétaire pourrait jouer dans l’atténuation des déséquilibres financiers, voir J. Boivin, T. Lane et C. Meh (2010), « La place de la politique monétaire dans la lutte contre les déséquilibres financiers », Revue de la Banque du Canada, été.[]