Les produits de base sont-ils victimes d’une malédiction? Leçons du passé

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Bonsoir. Je vous remercie de m’avoir invité à cette conférence où seront abordés des sujets importants et d’actualité. Je crois tout à fait opportun que celle-ci soit dédiée à Bradford Reid. Ses très nombreux anciens étudiants et collègues regretteront l’ami, le professeur dévoué et le chercheur perspicace qu’il était. Certains de ses domaines de recherche de prédilection – la politique budgétaire et la gestion de la dette publique, et leurs implications pour la macroéconomie – cadreront assurément avec les discussions que nous tiendrons aujourd’hui et demain.

Comme le titre de la conférence l’évoque, le secteur des produits de base a traversé de nombreux cycles d’expansion et de contraction. Une question évidente et fondamentale se pose : comment éviter ceux-ci à l’avenir? Pour être plus précis, comment le Canada et l’Alberta peuvent-ils se soustraire à ces cycles apparemment sans fin d’abondance ou de famine? La réponse, hélas, est qu’il n’est pas possible de les éliminer entièrement. Le mieux que nous puissions espérer est d’atténuer les effets de ces cycles en tirant des enseignements de nos expériences passées. On dit que l’histoire est un bon maître, mais les décideurs publics ne sont pas toujours de bons élèves. Ce soir, j’exposerai quelques idées sur la manière dont nous pourrions mieux mettre à profit ces leçons parfois pénibles.

L’Alberta et le Canada sont distincts

L’économie du Canada se distingue de la plupart de celles des autres pays avancés. Les matières premières – les ressources naturelles – représentent une part beaucoup plus grande de notre PIB. La taille estimative du secteur varie en fonction de la façon dont celui-ci est défini, mais si l’on se fonde sur une approche relativement prudente, on se rend compte que l’exploitation des ressources naturelles constitue environ 10 % du PIB du Canada, 5 % de l’emploi total et 45 % des exportations 1. Par comparaison, la proportion de cette activité dans le PIB des États-Unis n’est que de 5 %. Le Canada est un important exportateur net de matières premières, alors que les États-Unis en sont un gros importateur net. À cet égard, ce dernier pays est semblable à la plupart des autres économies avancées, des pays tels que le Canada, l’Australie et la Norvège faisant figure d’exceptions (Graphique 1).

L’Alberta se démarque également de la majorité des neuf autres provinces canadiennes – mais pas de toutes. En 2006, dernière année pour laquelle Statistique Canada possède des chiffres comparatifs, les matières premières comptaient pour environ 32 % du PIB de l’Alberta. Cette proportion était inférieure à celle de Terre-Neuve-et-Labrador (40 %) et à peine plus élevée que celle de la Saskatchewan (29 %.) Mais elle était nettement supérieure à celle des autres provinces. En Colombie-Britannique, par exemple, les ressources naturelles représentaient moins de 10 % du PIB de la province, et, ce qui n’est guère surprenant, elles ne constituaient qu’un maigre 2 % de celui de l’Ontario (Graphique 2). Bref, le Canada est différent et l’Alberta plus différente encore de bon nombre de ses homologues.

Les défis particuliers à une économie tributaire des produits de base

Les ressources naturelles du Canada sont un immense atout. Elles nous ont procuré des avantages matériels énormes – des revenus et une sécurité économique supérieurs à ceux de bien d’autres pays. La plupart prendrait volontiers notre place, si jamais nous nous lassions des ressources naturelles que nous avons en abondance. De fait, plusieurs provinces seraient probablement toutes disposées à changer de place avec l’Alberta.

On aurait tort de croire cependant qu’une économie tributaire des produits de base n’est confrontée à aucun problème. De fait, la présente conférence a principalement pour objet de cerner ces problèmes, ou, sur une note plus positive, les défis que présente à l’occasion notre dépendance à l’égard des matières premières. Certains économistes sont allés jusqu’à affirmer que les produits de base étaient frappés d’une malédiction 2. Ils laissent entendre qu’en réalité une dotation importante en ressources naturelles va à l’encontre du développement économique. En comparant les expériences d’un grand groupe de pays, ils constatent que les économies tributaires des produits de base ont tendance à afficher, en moyenne, des taux de croissance légèrement inférieurs à ceux des pays qui disposent de peu de ressources naturelles ainsi que des niveaux de revenu moins élevés (Graphique 3).

Avant que vous ne vous inquiétiez outre mesure ou que vous vous opposiez vivement à cette affirmation, je tiens à préciser que la relation statistique que je viens de décrire est plutôt faible et qu’elle est en grande partie imputable aux pays en développement, pour qui la gestion de leurs ressources naturelles est plus problématique. Les résultats qu’obtiennent les pays avancés producteurs de matières premières, dont le Canada, sont en général beaucoup plus favorables. Là encore, nous faisons exception.

Les raisons invoquées pour expliquer la prétendue malédiction des produits de base ont une dimension à la fois politique et économique. Les chercheurs ont constaté que de nombreux pays riches en ressources naturelles souffrent d’une faible gouvernance et d’un déficit démocratique. Les gouvernements sont souvent despotiques et ces pays sont davantage sujets aux conflits armés et aux troubles civils. Les droits de propriété ne sont pas respectés et les cadres institutionnels sont fragiles.

De toute évidence, une telle situation ne s’applique pas à des pays comme le Canada, l’Australie,
la Nouvelle-Zélande et la Norvège. Le Canada et l’ensemble des autres pays tributaires des produits de base sont néanmoins susceptibles de connaître de graves problèmes économiques, liés principalement à l’extrême volatilité des cours des matières premières.

La volatilité des prix à court et à long terme

Certains pays sont des producteurs (ou des consommateurs) de matières premières suffisamment importants pour que leurs actions influent de façon sensible sur les prix de ces produits à l’échelle du globe. L’Arabie saoudite en serait un exemple. Cependant, ces pays constituent  certainement l’exception. Pour la plupart, les pays producteurs de matières premières se voient imposer les prix. Ils vendent des produits relativement homogènes sur un marché très concurrentiel et leurs actions exercent peu d’influence sur leurs prix.

Malheureusement pour des pays comme le Canada et des provinces telles que l’Alberta, ces prix sont le plus souvent volatils et très incertains. Cette volatilité tient dans une large mesure à la nature inhabituelle des courbes de demande et d’offre à court terme associées à la plupart des marchés des matières premières. Les produits vendus par les économies tributaires des matières premières sont caractérisés généralement par une élasticité extrêmement faible de la demande à court terme (autrement dit, la demande n’est pas très sensible aux variations de prix). L’offre est tout aussi inélastique, car il faut souvent du temps pour accroître la production en cas de hausse soudaine des prix ou pour la réduire en cas de chute subite des prix 3. Par conséquent, tout déplacement de la courbe de l’offre ou de celle de la demande est susceptible de provoquer d’énormes variations des cours mondiaux.

Ce comportement erratique est manifeste dans le mouvement des prix de la majorité des produits de base au fil du temps (Graphique 4). Les cours des matières premières sont habituellement beaucoup plus volatils que ceux des autres biens et services, et le pétrole est l’un de ceux qui  affichent la plus grande volatilité (Graphique 5). Voilà une bien mauvaise nouvelle pour les producteurs d’énergie, car cette situation complique nettement la planification et l’investissement. À l’heure actuelle, le pétrole et le gaz naturel représentent la plus grande part de la production de matières premières au Canada (Graphique 6).

Une autre importante caractéristique mérite d’être soulignée, à savoir l’élasticité généralement beaucoup plus élevée de la demande et de l’offre à long terme de la plupart des produits de base. Lorsque les cours des matières premières restent vigoureux, les consommateurs trouvent des moyens de réduire leur demande ou recherchent des produits de substitution et, peu à peu, l’offre s’accroît, tous ces facteurs poussant les prix à la baisse. En ce sens, un mécanisme d’autocorrection entre en jeu. De fait, à très long terme – et j’entends par là pendant des décennies –, le prix réel moyen de la plupart des matières premières a été étonnamment stable 4 (graphiques 7 et 8). Les économistes appellent ce phénomène la « stationnarité ». Si l’on était persuadé que cette évolution en dents de scie se répéterait sans cesse – des pics à court terme suivis d’une chute marquée et d’un retour à la moyenne de long terme –, on éviterait bien des coûts superflus et des déceptions.

Mais l’espoir est éternel, et bon nombre des mouvements de prix durent juste assez longtemps pour convaincre les investisseurs et les gouvernements que « cette fois-ci, les choses sont différentes ». Et il y a toujours une possibilité qu’un jour elles soient bel et bien différentes. Dans l’intervalle, des investissements sur longue période auront peut-être été engagés, de nouvelles installations construites et des travailleurs relocalisés, initiatives qui devront toutes être annulées une fois les corrections de prix opérées. Cela ne pose pas toujours problème, cependant. Lorsque  les prix demeurent élevés (ou bas) suffisamment longtemps, cette redistribution du capital et de la main-d’oeuvre peut être tout à fait justifiée et donner de bons résultats, même si les prix finissent par retourner à leur niveau tendanciel.

Le hic, c’est que les entreprises, les ménages et les décideurs publics sont souvent pris par surprise. Ils réagissent de manière exagérée et ont du mal à procéder à un ajustement harmonieux une fois que les conditions changent. La difficulté inhérente au fait de vouloir prédire la durée d’une expansion (d’une contraction) des prix et l’ampleur de l’augmentation (de la diminution) de ceux-ci rend le processus extrêmement risqué. Les critiques craignent qu’une économie tributaire des produits de base ne soit toujours en mouvement et qu’elle ne se stabilise jamais vraiment. Lorsque cette agitation constante se conjugue à des changements de prix volatils, les coûts permanents et la probabilité d’une importante erreur de calcul peuvent être élevés.

Le serment d’Hippocrate des décideurs publics : premièrement, s’abstenir de tout mal

L’un des rôles les plus importants que peuvent jouer les décideurs publics est d’éviter d’aggraver le mal. À cet égard, l’expérience canadienne des années 1970 peut livrer des enseignements utiles. Même si les cycles d’expansion et de contraction des ressources naturelles ont tous leurs particularités, ils présentent suffisamment de traits communs pour que l’on puisse malgré tout tirer des leçons instructives de cette période.

Les responsables de la politique budgétaire qui étaient en poste dans la décennie 1970 présumaient que le boom des produits de base se prolongerait indéfiniment, ou du moins très longtemps. D’après eux, les revenus accrus qu’ils recevaient soudain sous forme de redevances et de recettes fiscales continueraient d’augmenter. D’ambitieux programmes gouvernementaux ont ainsi été instaurés, ce qui a amplifié l’élan déjà spectaculaire de l’économie, mais aucune réserve n’a été constituée en prévision des mauvais jours.

Les autorités monétaires de l’époque ne bénéficiaient pas d’un cadre de politique ancré sur une cible d’inflation explicite. Elles ont également commis la double erreur de sous-estimer les effets de la flambée des prix des ressources naturelles sur la demande et de surestimer le potentiel d’offre de l’économie. Plus précisément, elles n’ont pas mesuré la gravité des conséquences d’un renchérissement des matières premières – surtout de l’énergie – sur la capacité de production. Les hausses de prix généralisées qui ont été observées par la suite dans l’ensemble de l’économie ont tout d’abord été reléguées au rang d’effets ponctuels qui ne tarderaient pas à s’effacer des chiffres de l’inflation.

L’appréciation du taux de change qui a été provoquée par l’amélioration des termes de l’échange du Canada au cours de cette période, et qui aurait aidé à contenir les pressions inflationnistes, a été fermement contrée par les autorités en raison des craintes entourant ses éventuelles répercussions sur d’autres secteurs de l’économie et l’emploi. Résultat : lorsque les prix des ressources naturelles se sont effondrés ultérieurement, l’économie a plongé dans une spirale ininterrompue de déficits budgétaires croissants et de taux d’inflation dépassant la barre des 10 %. Cette situation, qu’il a fallu nombre d’années pour corriger, a été extrêmement coûteuse sur le plan des pertes de production et d’emplois.

Comment les décideurs publics peuvent redresser la situation

Permettez-moi maintenant de parler de certains enseignements d’ordre plus général qui peuvent être tirés en matière de politiques. Les décideurs publics peuvent apprendre des erreurs du passé, et ils disposent de trois grands moyens pour aider à améliorer la tenue de l’économie. Premièrement, les autorités budgétaires doivent s’abstenir d’agir de manière procyclique, c’est-à-dire éviter les fortes augmentations de dépenses et les réductions d’impôt qui alimenteraient la surchauffe. Il est vrai que des dépenses d’infrastructure additionnelles peuvent s’avérer nécessaires pour soutenir l’investissement privé dans certains secteurs, mais, en renforçant leur situation budgétaire pendant les périodes fastes, les gouvernements peuvent contribuer à alléger les pressions inflationnistes et à lisser les dépenses de consommation. Telle est la raison d’être du Sustainability Fund et du Heritage Savings Trust Fund de l’Alberta. L’assainissement des finances peut également aider à abaisser la pression à la hausse qui s’exerce sur le taux de change.

La deuxième façon dont les décideurs peuvent être utiles consiste à maintenir une politique monétaire rigoureuse. Les autorités monétaires doivent garder le cap sur leur mission première, à savoir préserver la stabilité des prix, en aidant les entreprises et les ménages à traverser les cycles économiques et en favorisant la prise de décisions judicieuses par le maintien de l’inflation à un niveau bas, stable et prévisible. C’est précisément ce qu’assure le cadre actuel de conduite de la politique monétaire au Canada : une focalisation accrue, une reddition de comptes accrue et une rigueur accrue. Ce cadre s’articule autour de deux pivots : a) un objectif explicite de politique monétaire – la cible d’inflation de 2 %; b) un taux de change flexible.

Le régime de changes flexibles du pays donne à la Banque du Canada l’indépendance dont elle a besoin en matière de politique monétaire pour atteindre son objectif d’inflation. Il sert aussi de protection à l’économie en amortissant automatiquement les effets des chocs des matières premières. Tenter de résister à de tels mouvements du taux de change ne fait en général qu’imposer des coûts encore plus élevés à l’économie, car les pressions sous-jacentes ne disparaissent pas; elles se manifestent simplement sous d’autres formes, comme une flambée des salaires et des prix intérieurs dans le cas d’un boom des produits de base et, au bout du compte, une baisse de l’emploi et de la production. Les ajustements nécessaires se trouvent retardés, ce qui intensifie encore plus le cycle dans l’ensemble de l’économie.

Une autre leçon importante qui a été tirée concerne la capacité de production de l’économie. La Banque du Canada est maintenant davantage sensible aux effets d’offre négatifs qui sont associés aux grandes variations des prix relatifs et à la restructuration économique qui s’ensuit. Elle ajuste donc ses estimations de la production potentielle de manière à éviter de trop stimuler l’économie involontairement.

Le troisième et dernier moyen par lequel les gouvernements peuvent aider l’économie à composer avec les cycles des produits de base est de mener des réformes structurelles. Même si l’économie canadienne affiche normalement une assez bonne tenue générale, il n’en reste pas moins qu’elle est soumise à des frictions et à des obstacles qui nuisent à sa résilience et à sa capacité de surmonter les chocs. Il devient alors difficile de réaffecter les ressources avec souplesse et efficience. Le pays a accompli des progrès notables au cours des trois dernières décennies en facilitant la circulation des biens et des services. Il serait souhaitable de poursuivre les efforts de réduction des barrières commerciales entre les provinces – par exemple, en élargissant l’excellent accord sur le commerce, l’investissement et la mobilité de la main-d’oeuvre conclu entre la Colombie-Britannique et l’Alberta et le nouveau partenariat économique signé par la Colombie-Britannique, l’Alberta et la Saskatchewan.

Bien entendu, les gouvernements ne sont pas les seuls responsables du bon fonctionnement de l’économie. Ce ne sont même pas les acteurs les plus importants. Ce rôle revient plutôt au secteur privé, qui doit être comptable de ses actions, et voir au-delà des hauts et des bas de l’économie et tempérer tout excès d’exubérance ou de pessimisme.

Notre bilan des dernières années

Les dernières années ont été exceptionnelles à de nombreux égards, et elles ont eu au moins ceci d’utile qu’elles ont permis de vérifier si les recommandations que je viens de décrire sont mises en pratique. Le super cycle des matières premières et la pire crise financière de l’après-guerre que nous avons connus représentent un test de tension déterminant. Heureusement, les résultats préliminaires sont encourageants.

Il existe de profondes différences entre les décennies 1970 et 2000. Les cycles d’expansion et de contraction des années 1970 ont été provoqués par un choc d’offre sans précédent, que sont venues aggraver des politiques budgétaire et monétaire exagérément incitatives. Pour maîtriser la situation macroéconomique, il a fallu porter les taux d’intérêt à plus de 20 % au début des années 1980, en plus d’imposer des mesures d’austérité budgétaire draconiennes au début de la décennie suivante. Par opposition, la phase d’expansion du cycle des produits de base qui a eu lieu vers 2006-2008 résultait d’une augmentation de la demande de ces produits, principalement attribuable à l’Asie. Elle a aussi été alimentée par un recours excessif à l’effet de levier et une montée des prix des actifs sur les marchés financiers. Lorsque la bulle financière a éclaté, les cours des matières premières se sont effondrés, et les autorités publiques ont dû intervenir avec une rapidité et un esprit de concertation inégalés pour composer avec les retombées.

Contrairement à ce qui avait été observé dans la décennie 1970, l’inflation mesurée par l’IPC est demeurée relativement stable dans les cinq dernières années, malgré l’ampleur des chocs qui ont frappé l’économie au cours de la récente crise mondiale (Graphique 9). En outre, les attentes d’inflation sont restées solidement arrimées durant la crise, si bien que la Banque du Canada a pu opérer une forte détente de la politique monétaire sans perdre la confiance des agents du secteur privé. En définitive, les pertes d’emplois et de production, quoique graves et douloureuses, ont été inférieures à ce que beaucoup craignaient.

À cet égard, la mesure IPCX, que la Banque utilise pour estimer l’inflation fondamentale, s’est révélée d’une valeur inestimable. IPCX exclut huit des composantes les plus volatiles de l’indice global des prix à la consommation – dont les prix de plusieurs produits de base –, ce qui donne à la Banque de même qu’aux entreprises et aux ménages une mesure davantage fiable de l’importance des pressions inflationnistes sous-jacentes.

Le taux de change flexible a également pu remplir sa fonction pendant cette période. Malgré des variations à court terme parfois excessives – comme en novembre 2007, lorsqu’il a atteint 1,10 $ É.-U. –, il a tout compte fait contribué à amortir les mouvements à la hausse ou à la baisse de l’économie, en s’appréciant puis en se dépréciant. Les autorités budgétaires fédérales et provinciales ont aussi agi de façon responsable dans les années qui ont précédé la « contraction » de la fin de 2008 et du début de 2009, en atténuant quelque peu le mouvement d’expansion et en se laissant une marge de manoeuvre adéquate pour pouvoir fournir une impulsion additionnelle au moment voulu. Comme je l’ai indiqué précédemment, des progrès encourageants ont en outre été accomplis au chapitre des réformes structurelles, quoiqu’il y ait encore beaucoup à faire.

L’orientation future des prix des produits de base

Alors, comment se dessine l’avenir maintenant? J’aimerais conclure mon exposé en parlant brièvement du comportement à court terme des prix des produits de base et de la projection que la Banque a publiée il y a deux semaines dans les pages de son Rapport sur la politique monétaire d’avril.

Avant de discuter de nos prévisions des cours des matières premières, je dois admettre que nous recourons régulièrement à des hypothèses simplificatrices pour les élaborer. À défaut d’un guide plus fiable, nous nous basons généralement sur les prix incorporés aux cours à terme de bon nombre de ces produits, surtout le pétrole et le gaz naturel 5. Nous sommes conscients que les cours à terme ne sont pas un instrument de prévision très fiable, mais ni nous ni les autres prévisionnistes n’en avons encore trouvé de meilleur. Ces cours donnent tout de même une mesure des attentes des investisseurs bien informés. Chaque institution et chaque investisseur qui cherchent à anticiper l’évolution future des prix des produits de base sont confrontés à des défis semblables. Ainsi que je l’ai mentionné plus tôt, ces prix sont par nature volatils et difficiles à prévoir.

Alors, me demanderez-vous, qu’est-ce qui ressort des cours à terme et de la projection de la Banque en ce moment? Dans son scénario de référence d’avril, ses projections concernant les prix des ressources naturelles sont demeurées essentiellement les mêmes qu’en janvier. D’après le profil des courbes des cours à terme du pétrole et du gaz naturel, les prix de ces produits devraient augmenter très légèrement dans les trois prochaines années, tandis que ceux des produits non énergétiques devraient s’accroître de 30 % au total. Ce renchérissement est attribuable au raffermissement de la reprise à l’échelle mondiale, surtout en Chine et dans les autres économies émergentes d’Asie. Depuis dix ans, d’ailleurs, la majeure partie des pressions à la hausse qui s’exercent sur les prix des matières premières sont dues aux économies émergentes (Graphique 10). Ces économies devraient poursuivre leur essor, à moins d’un choc imprévu. Cela annonce-t-il un autre super cycle des matières premières?

La tentation est grande d’extrapoler le passé récent dans l’avenir. À elles seules, la Chine et l’Inde comptent plus de 40 % de la population mondiale. Si ces deux économies continuent de progresser à des taux de 8 à 10 % par année, comme elles l’ont fait dernièrement, elles ne tarderont pas à détrôner même les économies les plus avancées, et leur demande de matières premières pourrait atteindre des sommets vertigineux. Ajoutons à cela que beaucoup des ressources mondiales sont non renouvelables ou en quantité limitée, et nous avons là les ingrédients d’un scénario qui a de quoi nous couper le souffle et faire de nous tous des partisans du malthusianisme.

Avant de tirer cette conclusion hâtive, cependant, nous devons nous rappeler les problèmes que nous avons rencontrés dans le passé en présumant que les prix des produits de base allaient augmenter de façon continue, ou du moins se maintenir à un niveau considérablement accru. Il est toujours tentant de penser que le prochain cycle de matières premières sera différent des autres. Nous avons déjà entendu cela quelque part, n’est-ce pas? Le scénario que je viens d’évoquer n’est pas invraisemblable, et c’est ce qui le rend si séduisant. Je ne saurais affirmer catégoriquement que les cours des matières premières ne vont pas atteindre des niveaux sans précédent mais, si le passé est garant de l’avenir, il est peu probable que les prix réels (corrigés de l’inflation) – qu’il s’agisse de ceux du pétrole ou des autres matières premières – connaissent une ascension rapide continue, ou le niveau des prix réels, une forte hausse permanente. L’histoire nous enseigne que nous devons faire preuve de prudence et, pour reprendre un cliché plutôt éculé, ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué.

En conclusion, permettez-moi de signaler que la Banque du Canada publiera demain un nouvel indice des prix des produits de base (IPPB). C’est une nouvelle qui mérite d’être soulignée car, comme nous venons d’en discuter, les prix des produits de base au Canada ont de grandes implications pour l’économie, et il est important pour la conduite de la politique monétaire de savoir interpréter l’évolution des marchés de ces produits. À l’évidence, nous avons besoin de la mesure la plus précise possible des mouvements de l’ensemble des prix des matières premières. Ce nouvel indice, qui fait appel à une nouvelle méthodologie, sera plus précis, représentatif et flexible.

  1. 1. Statistique Canada[]
  2. 2. Pour une enquête détaillée, voir Jeffrey A. Frankel, The Natural Resource Curse: A Survey, document de travail, Faculté de recherche de la Harvard Kennedy School, février 2010.[]
  3. 3. Certains produits de base sont également sujets à des perturbations fréquentes de l’offre, qui ont pour effet d’accentuer la volatilité des prix.[]
  4. 4. D. Coletti, « L’évolution à long terme des prix de certains produits de base non énergétiques clés du Canada : 1900 à 1991 », Revue de la Banque du Canada, hiver 1992-1993, p. 47-56.[]
  5. 5. R. Alquist et I. Kilian, « What Do We Learn from the Price of Crude Oil Futures? », Journal of Applied Econometrics, vol. 25, no 4, à paraître en juin 2010.[]