Les mécanismes d'octroi de liquidités de la Banque du Canada : le passé, le présent et l'avenir
Introduction
Je vous remercie de m'avoir invité ici aujourd'hui. C'est un plaisir d'être avec vous. Cet après-midi, j'aimerais vous parler de liquidité et du rôle de la Banque du Canada. Comme l'a démontré hors de tout doute la crise financière mondiale, il est crucial que les institutions financières reconnaissent et gèrent le risque de liquidité et, ultimement, il est essentiel que les banques centrales interviennent en cas de pénurie de liquidité systémique. Les banques centrales sont très bien placées pour le faire. Elles peuvent créer de la liquidité à un coût pratiquement nul. Lorsqu'elles procèdent à des injections de liquidités tout en prenant soin de se prémunir contre le risque de crédit – ce que fait la Banque du Canada –, elles n'alourdissent pas le fardeau fiscal des contribuables. Qui plus est, les apports de liquidités ne sont pas assimilables à une politique monétaire inflationniste, parce que les banques centrales peuvent gérer leur bilan de manière à maintenir les taux directeurs aux niveaux appropriés sans que d'autres sources de tensions inflationnistes n'entrent en jeu.
Aujourd'hui, je vous parlerai des principes qui ont gouverné les mécanismes de soutien à la liquidité de la Banque du Canada 1, y compris les nouvelles mesures que celle-ci a adoptées durant la crise. J'expliquerai comment la Banque continuera de s'inspirer de ces principes pour mettre un terme à ses mécanismes exceptionnels d'octroi de liquidités. Je m'attarderai sur l'un de ces principes afin d'examiner comment une banque centrale peut fournir des liquidités en limitant au maximum l'aléa moral, c'est-à-dire la possibilité que les interventions des décideurs publics incitent les acteurs du marché à prendre de plus gros risques qu'ils ne l'auraient fait autrement. Enfin, je discuterai de ce que cela peut impliquer pour la conception et l'utilisation de nos mécanismes à l'avenir.
Je suis sûr que personne n'a oublié cette journée de septembre 2008 où Lehman Brothers a fait faillite, ni les séquelles désastreuses qui en ont résulté les jours suivants. L'aspect le plus frappant a été la hausse encore jamais vue des coûts du financement interbancaire, qui s'est propagée ensuite dans d'autres marchés. Les institutions financières à l'échelle du globe sont devenues réticentes à se consentir des prêts entre elles, ce qui a aggravé une situation déjà difficile. Des intermédiaires clés ont commencé à accumuler des réserves d'actifs liquides, certains allant même jusqu'à cesser temporairement leurs activités de tenue de marché. À différents moments, les marchés du crédit interbancaire et des autres prêts à court terme, y compris pour les banques, ont arrêté de fonctionner en dehors du segment des prêts à un jour. Il était clair qu'il s'agissait d'un choc d'importance systémique.
Pour faire face à la situation, les banques centrales et les gouvernements du monde entier ont pris des mesures sans précédent en vue de restaurer la stabilité du système financier et d'atténuer la gravité de la récession mondiale. La Banque du Canada est intervenue à maintes reprises pour fournir des liquidités aux acteurs des marchés financiers de façon à limiter les risques d'importantes perturbations du système.
Au début de la crise, les banques, partout sur la planète, affichaient un levier financier très élevé 2 et elles avaient surestimé la capacité des marchés à fournir des liquidités en périodes de tensions. Elles étaient très dépendantes des sources de financement, la titrisation par exemple, qui ont disparu lorsque la crise s'est intensifiée. Au même moment, leurs besoins de financement étaient en hausse parce qu'elles étaient obligées de réintégrer davantage d'actifs dans leurs bilans et qu'elles devaient répondre à une poussée de la demande de crédit de la part de leurs clients qui avaient des marges de crédit bancaire et qui comptaient auparavant sur les marchés pour se financer.
Il est important de souligner que la diminution de la liquidité des marchés du financement bancaire n'est pas sans rapport avec celle qui a touché les marchés des actifs en général. Comme la crise l'a démontré de façon éloquente, la liquidité des marchés des actifs est étroitement liée à la capacité des institutions financières d'obtenir des fonds sur les marchés monétaires. Un dysfonctionnement au sein d'un marché augmente la probabilité de dysfonctionnement dans d'autres. En effet, la liquidité des marchés et la liquidité de financement des banques qui effectuent des opérations de négociation se renforcent mutuellement, ce qui peut entraîner la liquidité dans une spirale descendante ou ascendante 3.
Les mesures de soutien à la liquidité de la banque centrale avant la crise
Avant la crise, la Banque du Canada procurait des liquidités à l'ensemble du système financier à l'aide de mesures destinées principalement à renforcer sa cible pour le taux du financement à un jour 4. Ces instruments faisaient – et font encore – partie de son cadre opérationnel usuel de mise en oeuvre de la politique monétaire. Le principal mécanisme à sa disposition est l'offre d'encaisses de règlement dans le système de paiements de gros – le Système de transfert de paiements de grande valeur (STPGV) –, à laquelle viennent s'ajouter, le cas échéant, des prises en pension spéciales et cessions en pension sur le marché 5.
La Banque peut recourir à deux mécanismes pour consentir des liquidités à des institutions financières particulières 6. Il s'agit premièrement du mécanisme permanent d'octroi de liquidités au taux officiel d'escompte, qui est étroitement lié à la mise en oeuvre de la politique monétaire, à l'atteinte du taux cible du financement à un jour et au règlement des transactions au sein du système de paiement. Ce mécanisme permet de procurer des liquidités, au besoin, à des institutions qui participent au STPGV et dont le solde de règlement est temporairement déficitaire en fin de journée 7. Le deuxième est l'aide d'urgence, qui a très peu servi et qui fournit un apport exceptionnel en liquidités à des institutions solvables confrontées à d'importants et persistants problèmes de liquidité.
Ces quelques dispositifs ont pendant longtemps bien servi la Banque et le système financier, et ils continuent de le faire.
La liquidité et la politique monétaire
En temps normal, comme c'était le cas tout juste avant la crise, les mesures de soutien à la liquidité de la Banque sont axées sur le maintien de l'orientation de la politique monétaire. Ces mesures visent à agir sur le niveau global des liquidités (souvent le même jour) de manière à atteindre le taux cible du financement à un jour, plutôt que sur la distribution des fonds au sein du système. La Banque procède ainsi parce que le bon fonctionnement du système financier permet généralement de répartir efficacement les liquidités, ce dont une banque centrale a absolument besoin pour faciliter la transmission efficace de la politique monétaire.
La crise n'a pas détourné l'attention de la Banque de la politique monétaire. Tant avant que durant la crise, la Banque a favorisé le maintien du taux du financement à un jour près du niveau visé en effectuant des prises en pension spéciales et des cessions en pension à un jour ainsi qu'en fixant, à la fin de la journée, le niveau cible des soldes de règlement pour le lendemain. Et elle est intervenue énergiquement à l'aide de ces mesures dès le début de la crise 8.
Les cinq principes directeurs des interventions exceptionnelles en matière de liquidité
Lorsque les perturbations se sont intensifiées sur les marchés financiers mondiaux à l'été 2007, les banques centrales de par le monde se sont rendu compte qu'il fallait probablement recourir à des mesures inhabituelles d'injection de liquidités pour assurer la stabilité financière. La Banque du Canada a élaboré puis publié au printemps 2008 cinq principes qui allaient guider ses interventions en la matière. Ces principes l'ont aidée à orienter la conception et l'application de ses mécanismes exceptionnels d'octroi de liquidités 9. Permettez-moi de vous les présenter plus en détail.
- Premièrement, les interventions doivent être ciblées, la banque centrale devant tenter de parer uniquement aux défaillances du marché qui sont d'envergure systémique, qui ont des conséquences macroéconomiques et qu'elle est à même de corriger en fournissant des liquidités.
- Deuxièmement, les interventions doivent être graduées, autrement dit dosées en fonction de la gravité du problème.
- Troisièmement, les interventions doivent être bien pensées, c'est-à-dire que la banque centrale doit utiliser des instruments adaptés à la situation. Les problèmes de liquidité de marché doivent être réglés au moyen d'opérations sur le marché faisant appel à un mécanisme d'adjudication, tandis que les pénuries de liquidité dont souffrent des institutions particulières doivent être palliées par l'octroi de prêts.
- Quatrièmement, les transactions doivent être effectuées aux prix fixés par le marché, afin que les distorsions soient réduites au maximum, et à des conditions conformes à celles des marchés, pour que la banque centrale soit moins susceptible de nuire à une reprise des marchés.
- Cinquièmement, la Banque doit limiter l'aléa moral associé à ses interventions. Au nombre des mesures qui en découlent figurent une intervention limitée et sélective, la promotion d'une surveillance rigoureuse de la gestion du risque de liquidité et l'application de taux dissuasifs selon le cas.
Les mesures de soutien à la liquidité visant à contrer les effets de la tourmente financière
Guidée par les principes qu'elle venait d'établir, la Banque a progressivement élargi son cadre de liquidité en ce qui concerne les échéances, les montants, les contreparties et les titres admissibles 10, 11.
Le processus s'est enclenché vers la fin de 2007, lorsque la liquidité des marchés de crédit s'est tarie à l'échelle mondiale, y compris au Canada, et que les écarts de crédit se sont fortement creusés pour un large éventail d'actifs. Le processus normal de création de liquidité entre les participants au système s'est bloqué, ce qui a eu des répercussions sur l'ensemble du système financier. Pour apaiser ces vives tensions, en décembre 2007, la Banque du Canada a conclu avec des négociants principaux des prises en pension à plus d'un jour visant un éventail élargi de titres assortis d'échéances allant au-delà de la fin de l'année. C'était la première fois que de telles opérations étaient menées pour plus d'un jour ouvrable en vue de soutenir la liquidité de financement 12. Conformément à ce qui allait devenir son premier principe, la Banque n'est passée à l'action qu'au moment où il est devenu clair que les problèmes de liquidité devenaient systémiques. En appliquant cette mesure, elle a élargi son rôle afin de fournir de la liquidité de financement directement aux principaux acteurs des marchés, dans le but de rétablir la stabilité du système financier et de limiter les retombées de la crise sur l'économie en général.
En mars 2008, en réponse aux pressions entourant l'affaire Bear Stearns, la Banque a réinstauré les prises en pension à plus d'un jour, mais à raison d'une fois toutes les deux semaines. Elle a en outre élargi l'éventail des titres qu'elle acceptait en nantissement des engagements intrajournaliers dans le cadre du STPGV – et, par le fait même, des prêts consentis aux termes du mécanisme permanent d'octroi de liquidités. Elle a permis de substituer certains types de papier commercial adossé à des actifs (PCAA) 13 à des titres plus liquides remis en garantie dans le cadre du STPGV, ces derniers pouvant ainsi être utilisés pour mobiliser des fonds sur les marchés. Plus tard, en juin la même année, elle a ajouté les titres du Trésor américain à la liste afin de procurer plus de souplesse. Ces mesures illustraient les deuxième et troisième principes, à savoir que les interventions doivent être dosées en fonction de la gravité du problème et faire appel à des instruments adaptés à la situation.
Au cours du printemps 2008, les conditions de financement sur les marchés monétaires canadiens s'étaient améliorées par rapport à celles observées dans d'autres pays. Par conséquent, le 10 juillet, conformément au principe selon lequel une intervention doit être dosée selon la gravité du problème, la Banque a annoncé qu'elle ne renouvellerait pas les prises en pension à plus d'un jour venant à échéance.
À l'automne 2008, vous le savez, les marchés financiers ont été en proie à une soudaine récurrence de fortes tensions, provoquées par une série de défaillances ou quasi-défaillances d'institutions financières aux États-Unis et en Europe. La faillite de Lehman Brothers, quoique la plus visible, n'était pas la seule. Comme je l'ai indiqué il y a quelques instants, la capacité des entreprises tant financières que non financières à se procurer du financement sur les marchés était sérieusement mise à mal. La détérioration des marchés financiers s'est néanmoins révélée beaucoup moins grave au Canada que dans d'autres pays, même si la liquidité était limitée pour toutes les échéances et que les transactions étaient peu nombreuses.
Les mécanismes de prise en pension à plus d'un jour ont été réactivés selon les modalités préalablement établies 14. En quelques semaines, la Banque a vigoureusement accru son apport en liquidités à mesure que la crise s'aggravait. Elle a augmenté la fréquence des prises en pension à plus d'un jour, les faisant passer de toutes les deux semaines à toutes les semaines; elle a allongé la liste des contreparties admissibles afin d'y intégrer les participants au STPGV en plus des négociants principaux; et elle a commencé à offrir des prises en pension à trois mois. En outre, la Banque a provisoirement élargi la gamme des titres pouvant être pris en pension au-delà d'un jour pour y englober le PCAA que les banques avaient émis elles-mêmes.
Alors que la crise s'intensifiait au long de l'automne 2008, la Banque a pris de nouvelles mesures. En octobre, elle a temporairement allongé la liste des garanties admissibles pour inclure les portefeuilles de créances non hypothécaires en dollars canadiens des participants directs au STPGV 15. Ces actifs étaient acceptés en nantissement des engagements intrajournaliers dans le STPGV ainsi que des prêts consentis dans le cadre du mécanisme permanent d'octroi de liquidités. Toujours en octobre, le mécanisme habituel de transmission de liquidité étant inopérant, la Banque a introduit un nouveau mécanisme de prise en pension à plus d'un jour visant directement d'importants acteurs du marché monétaire, afin de lutter contre les pénuries de liquidité touchant des contreparties situées hors de sa sphère habituelle. Pour concevoir et mettre en oeuvre ces outils, elle s'est inspirée en particulier de son troisième principe, qui prévoit d'utiliser des moyens d'intervention adaptés à la situation.
En novembre, la Banque a créé une nouvelle facilité de prêt à plus d'un jour, à un taux dissuasif, à laquelle les participants directs au STPGV pourraient faire appel contre la remise en garantie de leurs portefeuilles de créances non hypothécaires en dollars canadiens. Ce mécanisme offert par voie d'adjudication permettait aux participants directs au STPGV d'utiliser des actifs en grande partie non négociables et non liquides en nantissement de ce type d'opérations et d'employer ainsi des sûretés négociables, plus liquides, ailleurs. Nous avons ainsi pu mettre des liquidités à la disposition des établissements financiers qui pouvaient avoir eu du mal à gérer leurs bilans, mais pas au point de justifier l'octroi d'une aide d'urgence.
Plus tard, en février 2009, le mécanisme de prise en pension à plus d'un jour d'instruments des marchés monétaires a également été offert aux opérateurs des marchés canadiens des obligations privées. La liste des titres admissibles a donc été allongée pour inclure les obligations de sociétés de bonne qualité.
Pour établir les modalités de la facilité de prêt à plus d'un jour et des prises en pension à plus d'un jour de titres privés, la Banque du Canada s'est appuyée sur le quatrième principe, qui recommande de réduire au maximum les distorsions sur les marchés. Les liquidités offertes étaient réparties par voie d'adjudication, de sorte que leur prix était déterminé de façon concurrentielle par les parties intéressées au lieu d'être fixé par la Banque. La facilité de prêt à plus d'un jour et le mécanisme de prise en pension à plus d'un jour de titres privés étaient conçus comme des outils de dernier ressort et assortis de taux de soumission minimaux appropriés, afin que la Banque puisse se retirer du processus quand les sources de liquidités du marché représentaient une solution plus économique pour les participants éventuels. En outre, ces deux dispositifs préservaient les structures existantes du marché. Enfin, les interventions de la Banque visaient à diminuer le risque de liquidité qu'elle jugeait non justifié par les données fondamentales, et non pas à agir sur le risque de crédit.
Le cinquième principe – qui vise à limiter l'aléa moral associé à nos interventions – a guidé notre programme d'octroi de liquidités à tous les niveaux, et il continue de le faire. La Banque du Canada a pris plusieurs précautions pour éviter la création d'incitations contre-productives susceptibles d'influer négativement sur le comportement des acteurs des marchés. D'abord, comme je l'ai mentionné plus tôt, elle n'est intervenue qu'aux moments où des problèmes de liquidité particuliers ont atteint une ampleur exceptionnelle. Ensuite, elle a dès le départ souligné le caractère temporaire des dispositifs créés afin que les participants ne soient pas incités à modifier leur comportement. Elle travaille en étroite collaboration avec le ministère fédéral des Finances, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) et d'autres organismes nationaux en vue de surveiller les conditions de liquidité des marchés et des établissements financiers ainsi que la gestion du risque de liquidité des grandes institutions financières. De plus, la Banque suit de près les résultats de chacune de ses opérations d'injection de liquidités. Enfin, lorsqu'il y avait lieu, les taux de soumission minimaux pour les nouvelles facilités étaient fixés de façon à ne pas dissuader les opérateurs de conclure des transactions sur les marchés privés.
Le présent : les mécanismes d'octroi de liquidités
Au printemps de l'année dernière, alors que les conditions des marchés financiers continuaient de s'améliorer, la participation à nos opérations d'octroi de liquidités avait diminué, laissant entrevoir un recul probable de la nécessité du soutien de la Banque. De fait, le montant des apports de liquidités avait atteint un sommet de 41 milliards de dollars en décembre 2008. (Il se chiffre actuellement à quelque 23 milliards de dollars.)
Il est important de souligner qu'à la date d'annonce préétablie d'avril 2009, la Banque a annoncé l'introduction de prises en pension assorties d'échéances de six et douze mois, à un taux de soumission minimal de 25 points de base et un taux de soumission maximal de 50 points de base, afin de renforcer son engagement conditionnel à maintenir le taux cible du financement à un jour à sa valeur plancher, soit 1/4 %, jusqu'à la fin de juin 2010. C'était la première fois qu'on utilisait le mécanisme de prise en pension à plus d'un jour à cette fin.
À la fin de juin, la Banque a annoncé à quel moment elle envisageait de mettre fin à ses injections exceptionnelles de liquidités. Je tiens à souligner que les cinq principes qui avaient gouverné la création des mécanismes extraordinaires d'octroi de liquidités nous ont également guidés pour y mettre un terme, notamment le second et le troisième principes qui veulent que les mesures prises soient dosées en fonction de la gravité du problème et adaptées à la situation.
À la fin de juillet, la Banque a réduit les montants minimaux préalablement annoncés pour les adjudications des prises en pension ordinaires à plus d'un jour et des prises en pension à plus d'un jour de titres privés ainsi que de sa facilité de prêt à plus d'un jour. Le mécanisme de prise en pension à plus d'un jour de titres privés et la facilité de prêt à plus d'un jour ont été supprimés à la fin d'octobre. La fréquence des adjudications de prises en pension ordinaires à plus d'un jour est passée d'une fois la semaine à une fois toutes les deux semaines, puis à une fois par mois. Au début de ce mois-ci, nous avons commencé à resserrer le pourcentage des créances non hypothécaires admissibles en nantissement dans le cadre du mécanisme permanent d'octroi de liquidités, qui est passé de 100 % à 20 % 16.
La crise financière mondiale s'est calmée et les conditions financières se sont grandement améliorées au cours des dix derniers mois, non seulement au Canada, mais aussi à l'échelle internationale. Tout au long de la crise, le mécanisme ordinaire de prise en pension à plus d'un jour a été largement utilisé et semble avoir contribué à alléger les tensions qui s'exerçaient sur les marchés monétaires et favorisé le rétablissement de ceux-ci. À l'opposé, la demande de financement ou les besoins d'emprunt au titre des dispositifs de soutien mis sur pied (le mécanisme de prise en pension à plus d'un jour visant des titres du marché monétaire, le mécanisme de prise en pension à plus d'un jour de titres privés et la facilité de prêt à plus d'un jour) sont demeurés relativement faibles. Cela dit, le maintien de ces outils – notamment des deux derniers jusqu'à la fin d'octobre 2009 – a concouru à réduire l'incertitude au sein des marchés quant à la disponibilité du financement.
L'avenir : concilier aléa moral et octroi de liquidités
J'aimerais revenir sur la question de l'aléa moral. Rappelez-vous que notre cinquième principe exige que nous limitions l'aléa moral associé à nos interventions. Après avoir traversé une crise financière, nous pouvons être encore plus clairs sur la manière d'y parvenir. Comment faire, donc, pour réduire au maximum la possibilité que nos interventions n'incitent les acteurs du marché à prendre des risques accrus?
Pour limiter l'aléa moral découlant de ses interventions en cas de crise, une banque centrale peut adopter trois lignes de conduite fondamentales. Elle peut, en premier lieu, se borner à n'intervenir qu'en cas de crise systémique importante, comme nous l'avons fait; deuxièmement, elle peut encourager le développement d'une infrastructure et la mise en place de réformes réglementaires qui renforcent la résistance du système financier aux chocs systémiques et réduisent ainsi la fréquence et la répétition des tendances pouvant entraîner des événements systémiques; troisièmement, elle peut s'en tenir à une stratégie d'intervention flexible qui s'attaque à des types de problèmes systémiques spécifiques quand ils se manifestent. Cette flexibilité, qui tient compte de l'incertitude inhérente aux crises systémiques quant au moment où elles surviennent et à leur ampleur, fait en sorte que les participants au système ne sauront pas à l'avance comment transférer le risque à la banque centrale à un coût artificiellement bas 17. Le recours aux adjudications pour fixer les prix et établir la répartition des liquidités peut être utile à cet égard.
Examinons de plus près le second élément qui stipule de rendre le système financier plus résilient aux chocs. Pour atténuer la probabilité d'une crise, la banque centrale et l'organisme de surveillance ont des moyens à leur disposition. La Banque du Canada a notamment pris ou prend actuellement les mesures suivantes :
- Elle appuie et surveille la mise en place d'un mécanisme pouvant assurer la création de liquidité, comme une contrepartie centrale pour les opérations de pension, qui aide les acteurs des marchés à s'autoassurer contre les chocs idiosyncrasiques 18.
- Elle maintient, même en dehors des périodes de crise, ses outils permanents – tels le mécanisme permanent d'octroi de liquidités et l'aide d'urgence – assortis soit de taux dissuasifs soit d'un discrédit, qui permettent aux institutions clés de déterminer quand elles doivent faire appel à la Banque à titre de prêteur de dernier ressort 19. Ces outils pourraient empêcher que des chocs idiosyncrasiques de grande ampleur ne dégénèrent en événements systémiques 20, 21.
- Elle assure la surveillance des institutions financières sur le plan des liquidités en appliquant des critères plus rigoureux (en collaboration avec le BSIF).
Pour sa part, l'organisme de surveillance peut aussi contribuer à accroître la résilience du système financier et limiter ainsi l'aléa moral, notamment par les moyens suivants qui sont en cours d'application ou qui ont été proposés :
- établir des normes qui incitent les institutions financières à conserver des liquidités suffisantes pour résister aux chocs idiosyncrasiques ou aux petits chocs systémiques auxquels elles peuvent s'attendre à faire face, et instaurer des politiques favorisant des pratiques saines en matière de gestion des liquidités 22;
- renforcer la réglementation des fonds propres par des mesures appropriées d'atténuation des risques, sans imposer aux établissements financiers un fardeau réglementaire excessif ni exacerber l'aléa moral par des politiques visant à les empêcher de faire faillite 23;
- veiller à ce que les parties intéressées ayant une responsabilité en matière d'atténuation des risques subissent des conséquences importantes lorsque leurs stratégies à cet égard échouent, notamment en recourant à un mécanisme de résolution clair et transparent ou aux « testaments biologiques », qui permettent de procéder à la liquidation ou à la restructuration rapide des institutions financières touchées 24, 25;
- exiger l'utilisation de fonds propres subordonnés, ou titres convertibles en fonds propres, peut-être sous la forme d'un type particulier de dette subordonnée, afin d'aider à absorber les pertes et de réduire ainsi la possibilité de voir une institution d'importance systémique faire faillite 26.
Ces mesures constituent aussi des éléments qui peuvent servir à réduire la probabilité d'une crise. Le but est de parvenir à ce que les institutions, l'infrastructure et les marchés financiers jouent des rôles déterminants – et complémentaires – à l'appui de la prospérité économique à long terme.
À l'avenir, il est important que les participants au système ne présument pas que nos interventions en périodes de crise impliquent que nous sommes disposés à intervenir en temps normal. Il est également important que nous continuions de disposer d'une latitude considérable pour décider du moment et de la méthode d'intervention dans la prochaine crise, de manière à accomplir notre mandat de fournisseur de liquidités de dernier ressort du système financier en cas de choc systémique.
La Banque doit garder dans sa panoplie d'outils les principaux instruments dont elle s'est servie pendant la crise, à savoir les mécanismes de prise en pension à plus d'un jour et la facilité de prêt à plus d'un jour ainsi que le dispositif d'aide d'urgence. Lors d'une crise caractérisée par une pénurie de garanties de bonne qualité, la Banque envisagerait aussi de mettre en place un dispositif de prêt de titres à plus d'un jour qui permettrait d'échanger des garanties de bonne qualité contre des garanties de qualité inférieure – au prix approprié – afin de soutenir le fonctionnement des marchés de financement essentiels. Compte tenu des changements que pourraient connaître les infrastructures à la base des marchés clés (par exemple, l'instauration de contreparties centrales), il convient d'effectuer des études plus poussées afin d'établir quels sont les bons outils pour remédier à de futurs problèmes de liquidité.
Conclusion
En conclusion, les principes que nous avons adoptés au début de la crise ont été profitables à la Banque et, surtout, au système financier. Tout au long de la tourmente, la Banque s'est montrée novatrice et souple 27. Actuellement, alors que nous mettons un terme aux mécanismes temporaires, nous procédons de manière délibérée et réfléchie, notamment en annonçant à l'avance ce que nous allons faire et en réduisant progressivement les montants et la fréquence des adjudications. Nous maintiendrons cette ligne de conduite alors que nous prenons des mesures pour renforcer la stabilité et la résilience du système financier – et nous continuerons de nous conformer à ces principes pour orienter nos interventions, à court et à long terme.