L'économie canadienne au-delà de la récession
Bonjour. C'est un grand plaisir pour moi de me joindre à vous à l'occasion du colloque annuel de l'Association canadienne de science économique des affaires. Le thème de ce colloque, « gérer la reprise », tombe à point nommé : alors que nous laissons derrière nous les périls les plus graves de la crise financière et que nous nous apprêtons à vivre des jours meilleurs, notre attention se tourne vers les défis que pose la reprise sur le plan des politiques. « Gérer la reprise » pourrait se révéler presque aussi intéressant que de gérer la crise elle-même!
Si les perspectives sont obscurcies par l'incertitude, on note néanmoins des signes encourageants que la croissance redeviendra positive ce trimestre-ci. L'adoption de politiques monétaire et budgétaires expansionnistes, l'amélioration des conditions financières, le renchérissement des produits de base et le regain de confiance des entreprises et des ménages stimulent l'expansion de la demande intérieure. À l'échelle du globe, les mesures vigoureuses prises par les autorités monétaires et budgétaires semblent avoir atténué la probabilité d'une grave dégradation de la situation économique internationale. Mais d'importants risques, à la hausse et à la baisse, continuent de peser sur les perspectives de l'économie canadienne.
Au moment où nous renouons avec une croissance positive, les autorités ont des décisions difficiles à prendre : quand et comment retirer l'impulsion fournie, comment garantir la stabilité du système financier mondial, sans oublier, dans une optique à long terme, comment préparer le terrain pour un retour de l'amélioration du niveau de vie. Je reviendrai sur ce dernier enjeu un peu plus tard dans mon discours.
Dans un premier temps, j'aborderai la façon dont la reprise est susceptible de se dérouler et les facteurs qui la stimuleront, ainsi que les conséquences de cette évolution pour l'écart de production. Je me pencherai ensuite sur le profil de croissance du Canada au-delà de la reprise, en me concentrant sur deux variables essentielles qui influent à la fois sur la production potentielle et la production effective : le facteur travail et la productivité. Compte tenu des changements de grande ampleur prévus sur le marché du travail, et de leurs implications pour la production, il ne fait aucun doute que le Canada, à l'instar de beaucoup d'autres pays, doit améliorer sa productivité s'il souhaite profiter des bienfaits d'une croissance soutenue. J'évoquerai aussi le rôle important que jouent la politique monétaire et les politiques relatives au système financier dans l'établissement des assises d'une croissance durable. Enfin, après avoir conclu, je me ferai un plaisir d'entendre vos commentaires et de répondre à vos questions.
Les perspectives économiques
L'économie canadienne devrait se remettre à croître au cours du présent trimestre. Dans la livraison de juillet du Rapport sur la politique monétaire, la Banque examine les facteurs qui sous-tendent ce retour de l'expansion plus précoce que prévu. À l'échelle mondiale, on observe des signes que la reprise s'amorce. Plus particulièrement, l'économie américaine devrait commencer à se redresser ce trimestre-ci, et la croissance s'accélère à nouveau en Chine, ce pays constituant une source importante de demande de matières premières. Au Canada, la demande intérieure se raffermit à la faveur de l'amélioration des conditions financières, du regain de confiance des consommateurs et des entreprises ainsi que du renchérissement des produits de base. Nous prévoyons que le PIB du Canada se contractera de 2,3 % en 2009, pour ensuite progresser de 3,0 % en 2010 et de 3,5 % en 2011.
La reprise économique au Canada sera soutenue par un ensemble de facteurs, qui devrait la rendre un peu plus vigoureuse qu'ailleurs. Premièrement, la composition de l'activité économique aux États-Unis, au moment où celle-ci se redressera, avantagera les exportateurs canadiens, grâce à la remontée des secteurs les plus durement touchés par la récession, tels que le logement et l'automobile. Deuxièmement, le fonctionnement relativement efficace du système financier canadien permettra au crédit de répondre aux besoins d'une économie en expansion. Enfin, la solidité fondamentale du bilan des ménages, des entreprises et des administrations publiques constitue un troisième facteur positif. Ces circonstances propices devraient favoriser le retour de la croissance à moyen terme et permettre la résorption de l'écart de production d'ici la mi-2011.
Bien entendu, de nombreuses incertitudes subsistent, et – c'est bien connu – les prévisionnistes ont davantage tendance à se tromper aux alentours des points de retournement du cycle économique. Dans le Rapport de juillet, on cernait comme risque à la hausse le fait que le dynamisme de l'activité au Canada pourrait être plus marqué et plus soutenu qu'on ne s'y attend. Les principaux risques à la baisse, quant à eux, proviennent surtout du secteur extérieur. Le retour à des conditions financières normales sera peut-être plus lent qu'escompté et on ne peut exclure de nouveaux revers. Deux risques à la baisse méritent d'être approfondis.
Premièrement, il ne faut surtout pas oublier qu'une bonne part de l'impulsion fournie en vue de la reprise, au Canada et ailleurs dans le monde, provient du secteur public, c'est-à-dire des mesures adoptées par les gouvernements et les banques centrales. L'expansion budgétaire a atteint une ampleur considérable. Les autorités ont également assoupli la politique monétaire de manière énergique et, dans la plupart des pays avancés, ont abaissé les taux directeurs près de leur valeur plancher. Au Canada, le taux cible du financement à un jour, à 1/4 %, se trouve renforcé par l'engagement conditionnel de la Banque à le maintenir à son niveau actuel jusqu'au milieu de l'année prochaine. Cette détente monétaire a pour effet de neutraliser d'autres facteurs (comme le resserrement des conditions de prêt et les écarts de rendement plus grands qu'à l'accoutumée sur les obligations de sociétés) qui autrement auraient provoqué un durcissement général des conditions financières. D'autres banques centrales, vu la conjoncture propre à leur pays, sont même allées plus loin en donnant une impulsion additionnelle à l'économie au moyen d'un assouplissement quantitatif ou d'un assouplissement direct du crédit. Dans de nombreux pays, les autorités ont également dû apporter une aide directe substantielle aux institutions financières en difficulté. Si le Canada a été épargné à cet égard, cette aide a tout de même procuré un essor important à la reprise mondiale. Malgré leur mise en oeuvre rapide et leur efficacité, ces mesures impliquent que la reprise naissante dépend pour une très large part de l'intervention de l'État. À quel moment la demande privée sera-t-elle suffisamment robuste pour rendre la reprise durable? De toute évidence, nous n'en sommes pas encore là.
Le second risque concerne la possibilité que la vigueur du dollar canadien persiste, ce qui viendrait contrecarrer les facteurs positifs que j'ai mentionnés un peu plus tôt. La hausse récente du dollar tient en partie aux mêmes facteurs qui alimentent la reprise au Canada, notamment la remontée des cours des produits de base. Elle est également liée à un affaiblissement plus généralisé de la devise américaine, étant donné la normalisation des conditions financières dans le monde. Toutes choses égales par ailleurs, une vigueur persistante du dollar canadien réduirait la croissance réelle et retarderait le retour de l'inflation à la cible visée. Si une appréciation du dollar devait modifier la trajectoire du taux d'inflation projeté par rapport à celle qui a été présentée dans le Rapport sur la politique monétaire de juillet, il nous faudrait en tenir compte. Je le rappelle : même si le taux directeur se situe à sa valeur plancher, nous conservons une flexibilité considérable grâce aux instruments de politique monétaire non traditionnels à notre disposition, y compris l'assouplissement quantitatif.
L'écart de production et l'évolution de la production potentielle
Passons maintenant à l'écart de production et à la production potentielle. L'écart de production correspond à la différence entre la production effective et la production potentielle, cette dernière se définissant comme le niveau de production pouvant être atteint au moyen de la main-d'oeuvre, du capital et des technologies disponibles sans qu'il s'exerce de pression persistante à la hausse sur l'inflation. Ce concept est souvent décrié, en partie parce qu'il ne constitue pas une variable observée et qu'il est sujet à des problèmes de mesure considérables. L'écart de production demeure toutefois un moyen pratique de caractériser schématiquement les pressions fondamentales s'exerçant sur l'inflation et de mettre en rapport la conjoncture courante et les facteurs qui conditionneront la croissance économique à moyen terme, à mesure que se résorbera cet écart. L'actuel contexte d'offre excédentaire (qui se traduit par un écart de production négatif) implique, toutes choses égales par ailleurs, que l'inflation mesurée par l'indice de référence devrait diminuer pour ensuite remonter, lorsque le rythme d'accroissement de la production effective dépassera celui de la production potentielle et que la production retournera à son niveau potentiel.
L'écart de production est surtout utile en complément d'une analyse plus détaillée et fondée sur des données microéconomiques, en particulier celle obtenue à l'aide de modèles plus formels. Par exemple, la structure de notre principal modèle de projection pour l'économie canadienne, appelé TOTEM, repose sur des hypothèses explicites au sujet des objectifs des entreprises en matière de profits et des contraintes auxquelles elles sont soumises lorsqu'elles établissent leurs prix. Par conséquent, l'écart de production ne constitue pas un déterminant direct de l'inflation dans TOTEM, en ce sens que les entreprises ne tiennent pas explicitement compte de l'écart de production au moment de déterminer leurs prix. De façon plus générale, nous surveillons toute une série d'indicateurs des pressions inflationnistes, tels que l'inflation mesurée par l'indice de référence, les courbes de rendement et les indicateurs du crédit 1. Je tiens à préciser que nous n'utilisons aucun de ces indicateurs isolément ou de façon mécanique. Nous usons d'une bonne dose de jugement quand il s'agit d'interpréter l'évolution de l'économie et de prendre des décisions au regard de la politique monétaire.
Aujourd'hui, trois trimestres après le début d'une grave récession, l'écart de production s'est considérablement creusé. On le constate au fait que la production se situe désormais en deçà de son niveau tendanciel, comme l'indiquent la mesure dont se sert habituellement la Banque pour estimer l'écart de production ainsi que d'autres indicateurs de l'offre excédentaire 2. Par exemple, selon les résultats de l'enquête de la Banque sur les perspectives des entreprises parus cet été, la proportion des firmes ayant déclaré qu'elles auraient de la difficulté à faire face à une hausse inattendue de la demande est demeurée à un niveau exceptionnellement bas. La plupart des indicateurs du marché du travail reflètent aussi la faiblesse des marchés des produits, et les pertes d'emplois continuent. Après avoir passé en revue tous les indicateurs des pressions sur la capacité de production et pris en considération la restructuration actuelle de l'économie canadienne, la Banque estimait que celle-ci fonctionnait tout récemment à environ 3,5 % en deçà de son plein potentiel.
Si l'on postule comme d'habitude que l'écart de production se résorbera au fil du temps, la question qu'il est intéressant de se poser est de savoir comment ce processus se concrétisera. Dans le contexte actuel, nous croyons que ce sera à la fois par une baisse de la production potentielle et par une hausse de la production effective.
Plusieurs raisons incitent à croire que la production potentielle se ressentira d'une récession majeure, notamment les suivantes :
- Une partie du recul de l'emploi pourrait se révéler persistante, du fait, par exemple, que le taux de chômage élevé pourrait décourager les travailleurs de chercher un emploi ou que ces derniers risqueraient de se déqualifier pendant une longue période de chômage. Le déplacement de la main-d'oeuvre associé aux fermetures d'entreprises et aux licenciements massifs a tendance à s'accentuer durant les récessions, contribuant du coup au chômage structurel, surtout parmi les travailleurs plus âgés mis à pied.
- La réduction du niveau d'investissement pendant la récession se traduit par un recul de la capacité de production. En outre, les fermetures d'usines entraînent la perte effective d'une partie du capital (bien que ce phénomène ne se reflète pas entièrement dans le stock de capital mesuré).
- La productivité totale des facteurs peut soit augmenter, soit diminuer, du moins temporairement. Elle pourrait diminuer du fait que les dépenses en recherche-développement fléchissent, et que le capital humain spécifique des travailleurs se perd, ceux-ci se trouvant de l'emploi dans des secteurs différents. Elle pourrait aussi augmenter si, par exemple, la récession fait disparaître les activités moins productives associées à la bulle économique d'avant la crise, ou favorise les gains d'efficience par une modification des pratiques de travail.
- Il semble également que les récessions liées aux crises financières soient plus graves et plus longues que les autres récessions, et que les crises financières se répercutent négativement et de façon permanente sur la production potentielle, comme le montrent Carmen Reinhart et Ken Rogoff dans un article publié dernièrement 3.
Ces forces agissent partout sur la planète, alors que les économies absorbent les effets de la récession mondiale. Dans une récente étude, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) analyse les facteurs qui influent sur la production potentielle au sein des économies avancées et en tire les implications pour la croissance jusqu'en 2017 4. Elle en arrive à la conclusion que celle-ci ralentira, à des degrés divers, dans la plupart des pays.
Des facteurs similaires sont à l'oeuvre au Canada. Dans la livraison d'avril du Rapport sur la politique monétaire, nous avons revu à la baisse notre estimation de la production potentielle pour la période 2009-2011. L'une des principales considérations avait trait aux changements structurels en cours dans les secteurs clés de l'économie canadienne, notamment l'automobile, l'énergie et les produits forestiers. Nous avons aussi tenu compte de la brusque chute des investissements qui s'est produite, en particulier au chapitre des machines et du matériel. En conséquence, nous nous attendions à ce que la croissance de la production potentielle ralentisse pour passer à 1,1 % cette année avant de se redresser graduellement pour s'établir à 1,5 % en 2010 et à 1,9 % en 2011 5. Nous allons revoir cette estimation dans le Rapport d'octobre.
Voilà donc les perspectives à moyen terme. Permettez-moi maintenant d'examiner l'évolution de la croissance de la production potentielle à long terme. Je me pencherai sur chacune des deux composantes, soit la progression tendancielle du facteur travail et celle de la productivité du travail, en insistant sur les tendances à long terme et en réfléchissant sur la façon dont celles-ci se sont ressenties de la récession actuelle.
Le facteur travail : un frein à la croissance de la production potentielle
Au cours des 30 dernières années, le Canada, comme d'autres pays, a profité de vents favorables. La production potentielle s'est accrue de façon relativement constante à un rythme annuel d'environ 2,7 %, en bonne partie grâce aux augmentations à long terme du facteur travail, c'est-à-dire le nombre total d'heures fournies par la main-d'oeuvre. Depuis 1977, la progression tendancielle du facteur travail – qui est fonction de la population, du taux d'emploi de la population active et de la variation du nombre moyen d'heures travaillées par semaine – a avoisiné 1,6 % par année. Parmi les facteurs déterminants en cause ici, mentionnons la croissance de la population en âge de travailler, les baby-boomers atteignant cet âge, et, dans une moindre mesure, l'intégration accrue des femmes sur le marché du travail.
Au cours des prochaines années, ces tendances commenceront à s'estomper. Les plus âgés des baby-boomers sont maintenant dans la soixantaine. La croissance de la population en âge de travailler ralentit et les taux d'activité se replient. À mesure que ces changements se propageront au sein de la population, ils exerceront un effet modérateur sur le taux de croissance tendancielle du facteur travail 6. En outre, le ratio de dépendance devrait doubler d'ici les 20 prochaines années 7. Les défis sur le plan démographique dont nous nous préoccupions depuis des années commencent à se matérialiser.
Il est peu probable que l'immigration diminue sensiblement l'ampleur de ce défi. Même un afflux d'immigrants ne suffirait vraisemblablement pas à contrebalancer de façon marquée la croissance tendancielle à la baisse du facteur travail qui est projetée 8.
Quelle incidence la crise financière et la récession auront-elles sur ces tendances? L'un des facteurs atténuants possibles a trait à l'effet de richesse négatif que les ménages ont subi cette dernière année. Cette perte de richesse pourrait amener certains travailleurs plus âgés à reporter leur départ à la retraite ou même à revenir sur le marché du travail – certaines observations donnent à penser que c'est effectivement ce qui est en train de se produire. Selon nos estimations, cependant, cet effet devrait être limité, soit peut-être 0,1 ou 0,2 point de pourcentage sur une à trois années. De façon générale, il y a donc peu de chances qu'il compense de manière appréciable la baisse à long terme prévue du facteur travail.
À l'inverse, la récession s'est traduite par une hausse abrupte du chômage, dont une partie pourrait persister. Durant une récession, les longues périodes de chômage se font plus courantes et peuvent nuire à la capacité des travailleurs à se trouver un autre emploi. Certains d'entre eux se découragent et quittent la population active. D'après les scénarios de l'OCDE, ce chômage à long terme bridera la croissance de la production potentielle au Canada et dans d'autres pays au cours des prochaines années.
En somme, la récession n'a pas modifié le contexte fondamental : les conditions favorables dont nous avons profité au cours des dernières décennies n'existent plus – de fait, nous nous apprêtons à essuyer des vents contraires. Étant donné le sombre profil d'évolution présumé pour le facteur travail, il reste une autre possibilité pour stimuler la production potentielle : l'amélioration de la productivité du travail.
La productivité du travail : la clé de l'amélioration du niveau de vie
Au Canada, la croissance de la productivité du travail au cours de la dernière décennie a été décevante par rapport à celle d'autres pays. Après avoir affiché certains signes prometteurs d'amélioration à la fin des années 1990, la croissance moyenne de la productivité du travail enregistrée entre 2000 et 2008 n'a été que de 1 % environ, soit un niveau nettement inférieur à celui de 2,6 % observé aux États-Unis pendant la même période. Le niveau de productivité au Canada est passé du troisième rang des 20 pays de l'OCDE en 1960 au dix-septième rang des 30 membres qui composent l'organisation aujourd'hui.
À quoi ces résultats insatisfaisants sont-ils attribuables et cette situation est-elle susceptible de persister après la récession? Trois facteurs peuvent expliquer cet état de fait. Premièrement, par comparaison avec d'autres pays, notamment les États-Unis, les travailleurs canadiens disposent de moins de capital pour faire leur travail. Il est particulièrement saisissant de constater que le capital investi dans les technologies de l'information et de la communication (TIC) par travailleur est deux fois moins élevé au Canada qu'aux États-Unis. Une étude réalisée par Andrew Sharpe révèle que l'écart d'investissement dans les TIC entre le Canada et les États-Unis n'est pas lié principalement à la structure industrielle ni à la taille des entreprises; en fait, il existe un écart dans la plupart des secteurs d'activité 9. Cela revêt de l'importance parce que les investissements dans les TIC ont été associés à une hausse plus élevée de la productivité multifactorielle dans de nombreux pays, les entreprises réorganisant leur milieu de travail pour tirer profit des nouvelles technologies. Selon les résultats d'une recherche menée à la Banque du Canada, la contribution du capital en TIC à la croissance de la productivité durant la première moitié de la présente décennie aurait été considérable 10.
La piètre tenue du Canada en matière d'innovation constitue un deuxième facteur, lié au premier. Dans un rapport récent, Peter Nicholson conclut que trop d'entreprises canadiennes sont des suiveuses plutôt que des meneuses en matière de technologie, et insiste sur l'importance de stratégies d'affaires axées sur l'innovation 11. Le Canada ne se classe qu'au seizième rang des pays de l'OCDE pour ce qui est de la recherche-développement menée en entreprise. Qui plus est, cette situation a cours en dépit du fait que notre pays semble disposer de tous les ingrédients nécessaires à l'innovation : une main-d'oeuvre très instruite, des marchés du travail flexibles et des taux élevés de création et de disparition d'entreprises 12.
Un troisième facteur influant sur la progression de la productivité globale est la réaffectation du capital et de la main-d'oeuvre entre les entreprises. Une recherche récente réalisée par la Banque du Canada semble indiquer que la réaffectation de la main-d'oeuvre entre les entreprises est un facteur positif important expliquant la croissance de la productivité du travail au Canada au cours de la période 1992-2006 13. Cette constatation donne à penser qu'une telle réaffectation peut être associée à une spécialisation économique plus efficiente et à l'adoption de nouvelles pratiques professionnelles. Bien entendu, les effets à court terme seront probablement négatifs, puisque les employés réaffectés ont besoin de temps et de formation avant de devenir pleinement fonctionnels. C'est pourquoi, quand l'économie subit de profonds changements structurels, comme en ce moment, la croissance de la productivité peut s'en ressentir à court terme et ensuite se redresser – et peut-être même atteindre un taux supérieur – mais uniquement avec un certain retard 14.
Fait intéressant, une étude récente de John Baldwin et Wulong Gu – faisant appel à un cadre de comptabilité de la croissance – présente des résultats compatibles avec les trois influences dont je viens de parler, à savoir que la faible progression de la productivité au Canada tient en grande partie à la productivité multifactorielle plutôt qu'à l'intensité du capital. Les auteurs soulignent que le ralentissement de la croissance de la productivité multifactorielle observée au cours de la présente décennie était dû principalement à deux secteurs en particulier, soit celui de l'extraction minière et de l'extraction de pétrole et de gaz et celui de la fabrication 15.
Nous pouvons examiner les implications de la crise financière et de la récession mondiales pour la progression future de la productivité au Canada par rapport à ces facteurs. La croissance de la productivité a tendance à varier au cours du cycle, baissant en période de repli et se redressant en période de reprise, la main-d'oeuvre étant alors utilisée plus pleinement. Toutefois, la récession peut aussi avoir des répercussions plus durables sur la croissance de la productivité. Premièrement, les investissements ont fortement reculé, ce qui a eu pour effet de ralentir l'expansion du capital par travailleur – même quand les emplois disparaissent. Et parce que les dépenses d'investissement sont souvent consacrées à de nouvelles technologies, la baisse des investissements freinera la croissance de la productivité multifactorielle. Deuxièmement, les investissements en recherche-développement se ressentiront probablement encore davantage du ralentissement de l'activité. Troisièmement, comme je l'ai mentionné plus tôt, l'ajustement sectoriel et la réaffectation des ressources en cours modèrent la croissance de la productivité pendant la durée du processus. Les ajustements qui s'opèrent actuellement dans plusieurs secteurs de l'économie canadienne, dont ceux de l'automobile et des produits forestiers, constituent un exemple particulièrement notable à cet égard. La portion du capital physique et du capital humain qui correspond aux fonctions et compétences propres au secteur et à l'entreprise est inévitablement perdue dans un tel ajustement.
Même si la récession entravera probablement la croissance de la productivité à court terme, deux facteurs pourraient donner une impulsion à cette dernière à long terme. D'abord, au lendemain d'une récession, les ressources peuvent être réaffectées à des fins plus productives, ce qui aurait tendance à stimuler la croissance de la productivité, une fois les coûts d'ajustement assumés. Ensuite, le choc que nous avons subi ces deux dernières années a peut-être sonné la fin de la récréation pour le système financier, ce qui se traduira par un examen plus rigoureux des projets d'investissement. Ce dernier point m'amène à un sujet précis que j'aimerais aborder brièvement, soit le rôle du secteur financier dans la croissance de la productivité globale.
Le secteur financier et la productivité
Comme les services occuperont une place de plus en plus grande dans l'économie canadienne, l'amélioration de la productivité de cette branche d'activité gagnera en importance. Le secteur financier est essentiel à la productivité, et ce, pour deux raisons. Primo, les services financiers constituent un secteur à part entière important et en expansion au sein de l'économie canadienne – représentant près de un cinquième de la production réelle 16. Secundo, le secteur financier est un rouage essentiel de l'affectation des ressources et, partant, de la croissance de la productivité dans l'ensemble de l'économie.
Qu'en est-il de la productivité du secteur canadien des services financiers? Des données de Statistique Canada montrent une tendance qui risque d'être inquiétante. La progression de la productivité dans ce secteur est passée d'une moyenne de 2,8 % par année dans les années 1990 à à peine plus de 0,5 % pendant la présente décennie.
Une mise en garde importante s'impose toutefois. Comme vous le savez, les services financiers, surtout les services bancaires et les assurances, posent des problèmes de mesure particuliers, tant pour ce qui est d'établir la valeur de la production que pour trouver une série de prix appropriée pour dégonfler cette valeur. Comme les pays mesurent ces facteurs de façon différente, les comparaisons internationales peuvent parfois être trompeuses. Cela dit, la recherche menée par la Banque du Canada semble indiquer qu'en général, la productivité des banques canadiennes se compare avantageusement à celle des banques américaines 17.
J'ai mentionné que la productivité du secteur financier a aussi des implications pour l'ensemble de l'économie. Comme cette branche d'activité contribue à l'affectation efficiente des ressources, les gains de productivité qu'elle enregistre permettent d'intensifier les gains de productivité de façon plus générale. Une affectation plus efficiente du crédit est gage de prêts mieux ciblés et d'un coût du capital plus faible pour les entreprises. Ces gains se propagent à leur tour dans l'ensemble de l'économie et assurent un meilleur ciblage des investissements des entreprises. Selon les auteurs d'un document de travail de la Banque du Canada, le niveau global de développement et la qualité des services financiers influent de façon marquée sur la croissance économique à long terme 18. En d'autres termes, ce qui importe n'est pas de savoir s'il faut privilégier les marchés plutôt que les intermédiaires financiers mais comment assurer un fonctionnement adéquat des uns et des autres.
La stabilité et l'efficience du système financier sont toutes deux essentielles à la croissance économique à long terme. Un système sujet aux crises n'est guère apte à favoriser une expansion soutenue. Les booms du crédit posent également problème : des hausses rapides du crédit peuvent en définitive freiner la croissance de la productivité lorsqu'une attention insuffisante est portée aux décisions d'octroi du crédit, lorsque le lien entre prêteur et emprunteur est brisé ou n'est pas surveillé comme il se doit et lorsque les risques ne sont pas pris en compte ou qu'ils sont mal évalués. Un système financier efficace incite les gens à gérer les risques associés à l'innovation financière, à l'intérieur d'un cadre réglementaire approprié.
J'aimerais maintenant faire la synthèse de certains des points que j'ai abordés en expliquant le rôle que peuvent jouer les politiques.
Le rôle des politiques
La combinaison de facteurs qui paraissent expliquer le problème de productivité au Canada porte à croire que les efforts déployés pour le régler doivent être généralisés. Des politiques axées sur le marché du travail, un régime fiscal et une politique en matière de concurrence appropriés ainsi qu'un système d'échanges ouvert sont tous susceptibles de stimuler la productivité. Permettez-moi de dire quelques mots sur le rôle de la Banque du Canada en ce qui a trait à la politique monétaire et aux politiques visant le système financier.
Depuis 1991, la politique monétaire canadienne est guidée par une cible d'inflation explicite. Si nous avons réussi à atteindre la cible – au cours des quinze dernières années, l'inflation s'est établie en moyenne à presque exactement 2 % –, il importe de se rappeler pourquoi la maîtrise de l'inflation est si cruciale. Un taux d'inflation bas, stable et prévisible contribue à de meilleurs résultats économiques. Il permet de mieux décoder les signaux transmis par les prix, ce qui aide les gens à prendre des décisions judicieuses en matière d'emprunt et d'investissement et, partant, rend l'économie plus résiliente aux chocs économiques.
La Banque du Canada assume des responsabilités importantes pour ce qui est de favoriser la stabilité et l'efficience du système financier, qui sont indispensables à la croissance à long terme. Le travail qu'elle mène sur la stabilité financière est accompli en collaboration avec les organismes de réglementation fédéraux et provinciaux et d'autres partenaires du secteur public, ainsi qu'à titre de membre d'entités internationales. L'une de ces responsabilités est la surveillance du système financier, qui consiste à cerner et à suivre de près les risques pesant sur le système financier et à en rendre compte. La Banque surveille aussi les systèmes de compensation et de règlement, octroie des liquidités, de façon régulière et en période de tensions, et fait office de prêteur de dernier ressort. Les initiatives prises par la Banque afin d'assurer le fonctionnement continu des principaux marchés financiers découlent de cette responsabilité.
Par ailleurs, la Banque participe activement aux discussions entourant les politiques relatives au système financier, au pays et à l'étranger. La récente crise a été à l'origine d'actions, menées à l'échelle nationale et internationale, destinées à renforcer le système financier et à le rendre plus apte à favoriser la croissance économique à long terme. Un aspect crucial de ce travail est la mise en place d'un cadre macroprudentiel en matière de supervision et de réglementation financières. L'accent est mis sur la stabilité systémique, grâce notamment à des exigences appropriées en matière de fonds propres.
Enfin, la Banque poursuit des recherches afin de mieux comprendre les sources de la croissance économique à long terme vu l'importance que celle-ci revêt dans l'ancrage de la politique actuelle. Si des progrès ont été réalisés dans notre compréhension de la progression de la productivité, bien des choses nous échappent encore. Au cours des prochaines années, la Banque continuera à se pencher sur la façon dont les chocs de prix relatifs influent sur l'économie canadienne, notamment la réaffectation des ressources et son incidence sur la croissance de la productivité. Elle poursuivra son examen des liens entre le secteur financier et l'économie réelle, par exemple la manière dont les bilans des entreprises et des ménages s'ajustent aux divers chocs et les implications pour les investissements et les dépenses. Les membres de l'Association canadienne de science économique des affaires peuvent aussi exercer une influence notable à cet égard. Grâce à vos compétences et vos responsabilités, vous êtes dans une position idéale pour contribuer à ces recherches.
Conclusion
Deux ans après le début de la crise financière mondiale et après trois trimestres de grave récession au Canada, les perspectives économiques pour notre pays, et pour une grande partie du monde, se sont améliorées. Les politiques adoptées en vue de favoriser la reprise commencent à porter leurs fruits. Même si la reprise sera vraisemblablement modeste et qu'il faudra faire preuve de détermination et d'efficacité dans la mise en oeuvre des politiques, nous devrions connaître une croissance positive ce trimestre-ci et une résorption graduelle de l'écart de production d'ici le milieu de 2011.
Un défi de taille nous attend toutefois, soit celui de continuer à améliorer notre niveau de vie malgré un contexte démographique moins favorable. Pour relever ce défi, nous devrons accroître la productivité de la main-d'oeuvre, et les moyens que nous prendrons pour y parvenir seront déterminants pour notre bien-être économique dans les années à venir. Tous les Canadiens devront mettre la main à la pâte : employés, chefs d'entreprise, chercheurs, décideurs publics, inventeurs et entrepreneurs, en faisant appel à la créativité, à l'apprentissage adaptatif et à l'innovation.
La Banque a un rôle important à jouer à cet égard. En veillant au respect de la cible d'inflation et en s'attachant à rendre le système financier plus stable et plus efficient, elle contribue à la reprise qui se raffermira à moyen terme. Ces efforts permettront aussi d'établir des assises solides pour le travail qui devra être accompli afin de relever les défis à long terme qui sont à prévoir.