Rééquilibrer l'économie mondiale

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Le thème de cette conférence – « s'adapter au nouvel ordre mondial » – laisse entendre que nous connaissons la façon dont le commerce international et la finance mondiale seront réorganisés dans la foulée de la crise actuelle. Le résultat final est cependant loin d'être prédéterminé. La façon dont nous allons gérer le rééquilibrage de l'économie internationale pourrait avoir une profonde influence sur le degré d'ouverture, d'équité et de prospérité associé au nouvel ordre mondial.

Les marchés mondialisés des produits, des capitaux et du travail sont au coeur du nouvel ordre mondial auquel nous devrions aspirer 1. Toutefois, la prochaine vague de mondialisation doit être plus fermement enracinée, et ses participants, plus responsables. Ces dernières années, la foi dans le pouvoir des marchés n'est pas toujours allée de pair avec une volonté de bâtir des marchés résilients. De plus, les pouvoirs publics et le secteur privé n'ont pas toujours été à la hauteur de leurs responsabilités.

Je vais aujourd'hui décrire des mesures qui permettraient de corriger ces lacunes afin de créer une mondialisation plus responsable et plus résiliente. Mais, tout d'abord, j'aimerais souligner les défis actuels qui découlent de plusieurs déséquilibres importants. La demande doit se déplacer des pays en déficit aux pays en excédent. Au sein de nos économies, des ajustements majeurs des stocks s'imposent en matière de biens, de travail et de capital. Les niveaux d'endettement excessifs du secteur privé doivent aussi être réduits. Pour compenser la baisse de la demande du secteur privé qui en résultera, le secteur public doit augmenter sa demande. Le rôle de la demande du secteur public est de combler les écarts. Pour réussir, cette intervention doit être temporaire, crédible et s'accompagner de mesures qui permettront de relancer une économie mondiale ouverte, résiliente et responsable.

L'ancien (ou nouvellement ancien) ordre mondial

Il n'y a pas si longtemps, nous savourions les fruits de la prospérité qui semblaient venir tout naturellement de la mondialisation. Au cours du dernier quart de siècle, les avancées constantes du transport, des communications et des technologies de l'information, soutenues par l'adoption généralisée de politiques économiques libérales, ont eu pour effet de rétrécir la planète et de développer son économie. Jamais dans l'histoire une intégration économique n'avait touché autant de gens, autant de types de biens et autant de capitaux 2.

La progression rapide et profonde de la mondialisation a été rendue possible en partie par l'avènement de la gestion de la chaîne d'approvisionnement mondiale 3. De fait, la technologie et la mondialisation ont élargi le déploiement de deux des plus puissantes forces économiques qui soient : la division du travail et l'avantage comparatif. Les économies nationales sont devenues étroitement liées, de sorte que la demande d'un pays donné a maintenant une influence déterminante sur le cycle de production et le cycle des stocks dans plusieurs autres pays. En ce qui concerne les prix, le résultat net a été une pression constante à la baisse sur les prix des biens manufacturés et une pression constante à la hausse sur les prix des produits de base 4, 5.

Le marché mondial des capitaux a connu des transformations similaires durant cette période. Les flux de capitaux transfrontaliers ont atteint 15 % du PIB mondial, soit cinq fois plus qu'au début du XXe siècle. Globalement, ces flux ont facilité la diversification du risque, les transferts de technologie et l'accélération de la croissance internationale. Parallèlement, les marchés mondiaux sont devenus plus interdépendants. Ce que font les autres compte davantage qu'avant, surtout en période de tensions.

La mondialisation a sorti des centaines de millions de gens de la pauvreté et ouvert des possibilités semblables à des centaines de millions d'autres personnes. Au Canada, elle a contribué à la deuxième plus longue période d'expansion de notre histoire, qui s'est caractérisée par l'augmentation des revenus réels, l'essor vigoureux de l'emploi et un taux d'inflation bas, stable et prévisible.

Ces dernières années, cependant, l'économie mondiale s'est de plus en plus déséquilibrée. Le processus de rééquilibrage aura une incidence profonde sur les perspectives à moyen terme de l'économie internationale.

Le déplacement de la demande intérieure des pays en déficit aux pays en excédent

Nous vivons actuellement l'inévitable correction des déséquilibres mondiaux. Ceux-ci étaient caractérisés par des distorsions des prix relatifs, des secteurs financiers sous-développés et une épargne excédentaire dans les marchés émergents. Dans beaucoup d'économies occidentales, par contre, on voyait une expansion rapide du crédit, une flambée des prix des actifs et une épargne négative. Ces tendances ont été encouragées par des politiques telles que des taux de change inflexibles et une dépendance excessive à l'égard de la croissance alimentée par les exportations, dans le cas de l'Asie, et, dans le cas des États-Unis, par la stimulation d'un niveau insoutenable de dépense des ménages à la suite de l'éclatement de la bulle technologique. Collectivement, ces mesures ont contribué à créer un contexte de taux d'intérêt bas et stables qui a favorisé une énorme prise de risques et un effet de levier considérable touchant l'ensemble des marchés et des monnaies.

Ces déséquilibres étaient particulièrement évidents dans les soldes des balances courantes. Contrairement à ce qui se produit habituellement, les marchés émergents enregistraient des excédents, et les pays développés, des déficits. Les pays pauvres se trouvaient en fait à prêter aux pays riches. En 2006, le déficit américain atteignait presque 7 % du PIB, tandis que la Chine affichait un excédent de plus de 10 %. Engagements nets à l'étranger de l'économie la plus développée du monde, et actifs nets à l'étranger du plus grand marché émergent du monde : tous deux suivaient des trajectoires explosives.

Ce qui ne pouvait durer indéfiniment s'est terminé de manière brutale. Lorsque la « quête de rendement » inconsidérée a fait place à un « sauve-qui-peut » désespéré, l'effet de levier a été réduit violemment sur tous les marchés, ce qui a accru brusquement les primes de risque dans le monde entier. Du côté de l'économie réelle, la Banque prévoit que, cette année, le déficit de la balance courante américaine sera inférieur de presque les deux tiers au sommet qu'il avait touché précédemment. L'excédent de la Chine diminuera lui aussi, quoique moins fortement (en partie à cause de l'effet compensateur de la chute marquée des prix des produits de base).

La correction des déséquilibres mondiaux a mis en lumière l'interdépendance fondamentale au sein de l'économie internationale. Presque tous les actifs financiers sur la planète ont perdu énormément de valeur à mesure que la crise s'intensifiait. Les répercussions de la contraction de la demande de consommation aux États-Unis se sont propagées rapidement par la voie des chaînes d'approvisionnement mondiales, et des stocks excédentaires sont apparus presque du jour au lendemain à l'échelle internationale. La baisse de 3 % de la consommation américaine de biens dans les six derniers mois a fait reculer la production industrielle asiatique de 20 %. Les rapports autrefois symbiotiques sont devenus parasitaires.

La diminution récente des déséquilibres des balances courantes dans le monde est due à un effondrement de la demande, une situation qui n'est guère souhaitable. Il faudra un certain temps pour que la demande intérieure se rééquilibre de façon durable entre les pays en déficit – comme les États-Unis et le Royaume-Uni – et les pays en excédent – comme la Chine et l'Allemagne. Le processus risque de ralentir le rythme de croissance de l'économie internationale.

La réduction de la dette et la nouvelle répartition du travail et du capital

La seconde grande correction dans cette période de transition vers le « nouvel ordre mondial » sera caractérisée par des ajustements majeurs des stocks dans les secteurs financier et réel des principales économies industrialisées.

La décennie perdue du Japon nous a appris ceci d'important : une économie ne peut progresser tant que les excédents qui se sont accumulés pendant une bulle ne se sont pas résorbés 6. Au Japon, ces excédents touchaient l'immobilier commercial, le capital physique et un secteur des entreprises à fort levier financier. Les déséquilibres financiers et les pertes engendrés par la détérioration de l'économie ont rapidement épuisé les réserves de fonds propres du secteur bancaire japonais. Résultat : un effet de rétroaction négatif entre l'économie réelle et l'économie financière qu'il a fallu presque une décennie pour stopper.

Il y a là des parallèles frappants avec la situation des États-Unis. Plus tôt cette décennie, les investissements américains (dont une grande partie était financée par l'étranger) ont été dirigés trop massivement vers les biens immobiliers du secteur privé. De plus, des secteurs clés comme celui de l'automobile investissaient dans un stock de capital qui répondait de moins en moins à la demande attendue. Il y a par contre de grandes différences entre le Japon et les États-Unis. Contrairement à ce qui s'est produit au Japon, l'endettement excédentaire aux États-Unis se concentre dans le secteur des ménages et le secteur financier, et la réduction du levier d'endettement du secteur financier américain a été un déclencheur plutôt qu'un résultat de la récession.

Maintenant que les banques américaines mobilisent des capitaux considérables pour atténuer leurs pertes, l'effet de rétroaction négatif entre les économies financière et réelle a ralenti, mais il ne s'est pas encore inversé. Il faudra plus de capitaux à l'échelle internationale; la question des actifs toxiques dans les banques clés n'est toujours pas résolue; et une foule de marchés financiers névralgiques, comme celui de la titrisation privée, doivent être relancés. Résultat : la stabilisation du système financier mondial demeure une condition préalable à une reprise durable, tant à l'échelle internationale qu'au Canada.

Ce processus d'ajustement des stocks financiers a son écho du côté de l'offre au sein de l'économie réelle. Au dernier trimestre de 2008, il est devenu évident que les niveaux de stocks, d'emploi et de capital étaient disproportionnés par rapport à la demande mondiale. Ces trois niveaux ont diminué à peu près dans l'ordre auquel on pouvait s'attendre, compte tenu des coûts d'ajustement relatifs : tout d'abord les stocks, puis l'emploi, qui est quasi fixe, et enfin le capital, alors que l'investissement tombait sous le taux de remplacement.

Même si les niveaux de la demande et du commerce mondial semblent s'approcher de leur creux, et que les stocks et l'emploi ont déjà subi des ajustements substantiels, le processus n'est pas terminé. Le chômage devrait continuer à augmenter dans tous les pays du G7, surtout là où les marchés du travail sont les moins flexibles. L'incertitude quant aux perspectives de l'emploi va peser sur la consommation dans la plupart des grandes économies pendant un certain temps. Le processus d'ajustement des stocks de capital sera plus long, et la croissance des investissements mondiaux demeurera sans doute négative pendant une bonne partie de 2010. Cela va freiner considérablement la croissance mondiale et devrait réduire la croissance potentielle dans la plupart des grandes économies.

Avec le déclin de l'investissement et la stagnation de la consommation, la demande du secteur privé, si l'on exclut celle que génèrent les baisses d'impôts, va rester faible jusqu'au milieu de 2010. Aux États-Unis, en Chine et au Japon, on prévoit une croissance positive au troisième trimestre de 2009, mais ce sera largement attribuable aux dépenses fiscales massives et aux réductions d'impôts. On ne s'attend pas de façon imminente à ce que la demande du secteur privé se nourrisse d'elle-même dans la plupart des grandes économies.

La stratégie du G20 consiste à adopter des programmes exceptionnels de relance budgétaire afin de neutraliser les vents contraires financiers et de combler l'écart jusqu'à ce que le processus d'ajustement des stocks prenne fin et que la demande du secteur privé se redresse. Le succès de cette stratégie repose sur trois facteurs interreliés : l'ampleur de la réaction de l'épargne privée; l'importance, la durée et la crédibilité des mesures budgétaires elles-mêmes; et le rééquilibrage des risques qui finira par s'opérer entre les secteurs public et privé. Je traiterai de ces facteurs l'un après l'autre.

L'évolution de l'épargne privée et publique

Les perspectives d'évolution des taux d'épargne des ménages constituent l'un des plus grands impondérables. Dans la période qui a précédé la crise, l'« épargne » des ménages provenait de plus en plus de l'appréciation de leurs capitaux plutôt que de leurs revenus courants. Un recul d'environ 30 % de la richesse aux États-Unis a poussé fortement à la hausse les taux d'épargne des ménages, lesquels sont passés de près de zéro entre 2005 et 2008 à 4 % au premier trimestre de 2009. Le nouvel équilibre de l'épargne des ménages sera fonction de nombreux facteurs, dont les effets de richesse, l'aversion pour le risque, l'évolution du système financier et, surtout, la crédibilité de la politique budgétaire elle-même.

La montée de l'épargne privée est contrebalancée par une hausse de la désépargne publique. Le monde s'apprête à consacrer en moyenne 2 % de son PIB à des mesures budgétaires discrétionnaires. Ces mesures étant prises simultanément, les retombées entre les pays s'annulent jusqu'à un certain point, ce qui limite les fuites nettes et maximise l'incidence globale. En outre, l'accent mis actuellement sur les dépenses d'infrastructure à l'échelle mondiale assure un certain soutien aux cours des produits de base.

Mais il y a des limites à tout, y compris à la politique budgétaire. Dans l'ensemble des pays du G7 cette année, le déficit moyen s'établira à 12 % du PIB. Les besoins de financement des administrations publiques du monde seront deux fois plus importants que l'an dernier. Compte tenu des coûts engendrés par le service de la dette et de la nécessité d'éviter un retrait brutal des mesures de relance budgétaire, les niveaux moyens d'endettement public de nombreuses grandes économies pourraient augmenter à 110 % du PIB avant de se stabiliser. La composition de l'épargne mondiale devra changer de façon radicale.

Cette dynamique pourrait devenir contre-productive si la crédibilité de l'orientation des mesures budgétaires est remise en question. Une combinaison de vives pressions à la hausse sur les taux d'intérêt pratiqués sur les investissements ou les effets ricardiens sur la consommation retarderaient la reprise 7. C'est pourquoi il est essentiel que les cadres de politique budgétaire demeurent crédibles. Pour ce faire, les initiatives mises en oeuvre actuellement doivent être efficaces, et les stratégies de désengagement, réalistes. L'expérience du Canada, qui, au cours des années 1990, a constamment dépassé les cibles à court terme qu'il s'était fixées dans la voie de l'équilibre budgétaire, est pertinente à cet égard.

En définitive, un retour à une croissance soutenue de la demande du secteur privé compatible avec le volume désiré de l'épargne privée est primordial. Ce retour aurait le plus de chances de se concrétiser si une économie mondiale ouverte était centrée sur la prise de risques par le secteur privé. Mais avant d'avoir cette assurance, beaucoup de choses doivent être faites, en commençant par un retrait ordonné du secteur public.

La redistribution du risque entre les secteurs public et privé

La panique financière a exigé une réaction énergique de la part du secteur public. La perte de confiance dans la solvabilité de grandes institutions bancaires a menacé à l'occasion le fonctionnement même du système financier mondial. Bien qu'absolument nécessaires, les mesures prises face à la crise ont eu pour effet de déplacer largement le risque du secteur privé au secteur public. Depuis octobre, le G7 s'est engagé à ne laisser aucune institution d'importance systémique faire faillite. Le financement bancaire a été garanti dans le monde entier. Les marchés de la titrisation étant toujours moribonds, les actifs ont été achetés, et les risques extrêmes, assumés par le secteur public. Les gouvernements ont même garanti les garanties de certains modèles de voiture. Avec ces précédents, de nouvelles pressions seront exercées pour que soient conclues une foule de nouvelles ententes de partage des risques 8.

Quand nous sortirons de cette crise, nous devrons déterminer avec soin quels intervenants sont les mieux placés pour supporter les risques. Deux facteurs doivent être pris en compte à cet égard. Premièrement, les risques pouvant être évalués devraient idéalement être assumés par le secteur privé, et les incertitudes susceptibles d'avoir une incidence vaste et importante, par le secteur public. Deuxièmement, les risques sont endogènes : les politiques publiques et les décisions privées influent sur le risque global dans le système. Par exemple, l'utilisation privée généralisée de garanties pour atténuer le risque de contrepartie a eu pour effet de réduire le risque de crédit mais d'accroître fortement le risque de liquidité. Parallèlement, la récente prise de risques par le secteur public crée un aléa moral. Si rien n'est fait, cela finira par encourager certains comportements du secteur privé qui intensifieront le risque global au sein du système.

L'expédient ne devrait pas devenir permanent. Les gouvernements ont assumé des risques extrêmes exceptionnels et des risques financiers tout ce qu'il y a de plus ordinaires. Ils devraient décider s'ils continueront à supporter les risques extrêmes ou s'ils élimineront dans les faits les activités qui leur sont associées (je pense ici à certains aspects de la titrisation). Ils devraient retourner les risques ordinaires au secteur privé.

La mondialisation renouvelée à l'ordre des priorités de la banque centrale

Mais comment parvenir à cela alors que les esprits animaux battent clairement de l'aile? Les perceptions ont changé. Il existe une meilleure appréciation de la nature amorphe et endogène du risque. Il existe aussi une reconnaissance bienvenue de l'incertitude. Le fait de savoir qu'un cygne noir pourrait rôder contribue à insuffler de la discipline. L'humilité se manifeste rarement avant une chute. Malheureusement, un secteur privé qui vient de recevoir une leçon d'humilité peut souhaiter s'engager de nouveau uniquement s'il est convaincu que le système est plus résilient. Pour ce faire, les banques centrales, de concert avec d'autres organismes publics, doivent favoriser la mise sur pied de l'infrastructure de marché nécessaire et d'une politique responsable.

Il y a quatre priorités au chapitre du renouvellement de la mondialisation.

Premièrement, il faudrait accroître la transparence afin que le risque puisse être cerné plus efficacement et évalué de façon plus efficiente. La crise a mis au jour de graves lacunes, notamment en matière de communication de l'information financière liée aux produits titrisés. La Banque du Canada a fait appel à sa politique relative aux garanties pour améliorer l'information financière concernant le papier commercial adossé à des actifs (PCAA), créant ainsi une norme qui devrait devenir commune. L'initiative en cours actuellement à l'échelle du globe visant le transfert de nombreux produits dérivés de gré à gré à des chambres de compensation est motivée en partie par la volonté de promouvoir la standardisation.

Deuxièmement, les principaux marchés de financement devraient être plus efficients et moins soumis à des mouvements de prix extrêmes. La crise a manifestement été aggravée par l'écroulement des marchés interbancaires et des pensions : les bonnes garanties sont devenues impossibles à financer du jour au lendemain, des entreprises ont fait faillite, l'aversion pour le risque a monté en flèche et l'économie mondiale s'est effondrée. Au nombre des avenues prometteuses qu'on pourrait explorer pour mettre fin aux spirales de liquidité ou d'illiquidité, mentionnons la mise sur pied de chambres de compensation, la standardisation des produits, l'établissement de dispositifs de marge en fonction du cycle intégral et l'amélioration de l'efficacité de la compensation. En tant que source ultime de liquidités pour le système, la Banque envisage la possibilité d'adapter ses facilités afin d'appuyer la création continue de liquidités par le secteur privé.

Troisièmement, l'adoption de règles macroprudentielles est essentielle pour aider à lisser le cycle de crédit. Un exemple important pourrait être l'établissement de nouvelles règles en matière de fonds propres des banques. Ces règles devraient être dynamiques (les réserves et les provisions changeant tout au long du cycle), simples (y compris les plafonds fixés pour le ratio actifs / fonds propres, de l'ordre de ceux qui ont cours au Canada) et cohérentes (elles devraient être harmonisées avec des initiatives plus vastes, comme le transfert de produits dérivés de gré à gré à des bourses). Étant donné le point où nous nous situons dans la crise actuelle, cela devrait aussi être augustinien, c'est-à-dire que les nouvelles exigences devraient être étalées dans le temps afin d'éviter d'aggraver la récession en raison d'une réduction procyclique du levier financier.

Quatrièmement, tous les pays doivent accepter leurs responsabilités pour ce qui est de favoriser un système monétaire international ouvert, flexible et résilient. Cette responsabilité doit se manifester par la reconnaissance de retombées entre les économies et les systèmes financiers et par des efforts déployés en vue d'atténuer celles qui pourraient amplifier une dynamique négative. Cela suppose de soumettre les actions à prendre à un examen par les pairs au sein du Conseil de stabilité financière et à un examen externe par le Fonds monétaire international. Essentiellement, cela revient à adopter des politiques macroéconomiques cohérentes et à permettre l'ajustement des taux de change réels afin d'atteindre un équilibre externe avec le temps. La crise a été provoquée en partie par l'incapacité de régler les mêmes problèmes auxquels étaient confrontés les architectes du système de Bretton Woods d'origine. Étant donné la récession profonde et synchronisée en cours à l'échelle mondiale, les coûts engendrés par le parasitisme devraient être évidents pour tous.

Conclusion

En conclusion, j'aimerais dire quelques mots sur les implications de ce rééquilibrage pour le Canada. Il semblerait que l'économie mondiale entre dans une période de croissance réduite de la production potentielle. Il faudra plusieurs années avant que ne s'estompent les effets de la très mauvaise répartition des capitaux et des excès financiers durant les années de forte expansion. Rebâtir la mondialisation prendra aussi du temps. Devant l'ampleur de la restructuration de l'industrie et le repli des investissements durant cette période, la Banque a abaissé ses estimations concernant la productivité et la croissance de la production potentielle au Canada.

La modification de la composition de la croissance mondiale aura également une incidence notable sur le Canada. Les tendances actuelles de l'activité aux États-Unis, caractérisées par la faiblesse des secteurs du logement et de l'automobile, sont particulièrement préoccupantes pour nos entreprises. Nous nous attendons à ce que la reprise soit relativement modeste chez nos voisins du sud par rapport à ce qui a été observé par le passé, compte tenu du rééquilibrage nécessaire au sein de cette économie.

Sur une note plus positive, la part plus importante des économies émergentes dans la croissance globale de l'économie mondiale devrait créer de nouvelles possibilités, particulièrement en soutenant les cours des produits de base. Nos recherches montrent que, même en plein coeur de la crise, les marchés émergents dont la demande influe le plus sur nos exportations sont aussi généralement les plus résilients. On peut s'attendre que ces pays représentent une proportion grandissante de la demande mondiale à l'avenir.

Malheureusement, un déplacement harmonieux de la demande entre les économies n'est pas assuré. Dans l'ensemble, la résolution ordonnée des déséquilibres mondiaux continue de faire peser un risque important sur les perspectives concernant la croissance et l'inflation au Canada. Comme nous l'avons indiqué dans notre communiqué annonçant notre décision au sujet du taux directeur la semaine dernière, la forte appréciation du dollar canadien observée dernièrement, si elle devait persister, pourrait entièrement neutraliser l'évolution positive récente des conditions financières, des cours des produits de base et de la confiance.

Face au choc majeur subi par la demande extérieure et à la crise financière, la Banque a pris des mesures proactives et énergiques. Elle a abaissé son taux directeur au niveau le plus bas possible – 1/4 % – afin de soutenir la demande du secteur privé et d'assurer la réalisation de la cible d'inflation de 2 %. Sous réserve des perspectives en matière d'inflation, elle prévoit maintenir le taux directeur à son niveau actuel jusqu'à la fin du deuxième trimestre de 2010, de façon à ce que la cible d'inflation soit atteinte. La Banque conserve une souplesse additionnelle considérable et pourrait notamment mettre en oeuvre des mesures non traditionnelles, comme le décrit le cadre fondé sur des principes qu'elle a présenté dans la livraison d'avril du Rapport sur la politique monétaire.

En collaboration avec ses partenaires nationaux et internationaux, la Banque travaille activement à la construction de marchés plus résilients et à la création d'un système financier mondial ouvert. Le succès n'est pas assuré. Les revers essuyés au cours de la récession pourraient nuire à l'appui aux économies ouvertes. De façon plus générale, sans cadres de politique crédibles et sans infrastructure de marché robuste, la prise de risques par le secteur privé pourrait ne pas revenir à un niveau suffisant. Toutefois, tout indique que le Canada devrait être parmi les premiers pays à mettre en oeuvre les mesures dont j'ai fait état aujourd'hui. Grâce à pareil leadership, nous pouvons participer à la création d'une mondialisation plus responsable et plus résiliente.

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11 juin 2009

Les mesures visant le renouvellement de la mondialisation seront déterminantes pour le nouvel ordre économique international selon le gouverneur Mark Carney

Les pays du monde entier doivent unir leurs efforts afin que la nouvelle économie mondiale soit ouverte, résiliente et responsable, a déclaré aujourd'hui Mark Carney, le gouverneur de la Banque du Canada, alors qu'il décrivait des mesures visant le renouvellement de la mondialisation.
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  1. 1. La mondialisation des marchés du travail est principalement attribuable aux technologies de l'information, qui facilitent l'externalisation des services à l'échelle internationale, y compris les services médicaux et financiers.[]
  2. 2. L'offre effective de main-d'oeuvre mondiale a quadruplé entre 1980 et 2005. Les exportations de marchandises ont atteint 20 % du PIB mondial, soit plus du double du niveau enregistré au plus fort de la dernière grande vague de mondialisation, il y a un siècle.[]
  3. 3. Les progrès des technologies de l'information, les processus de production spécialisés et la baisse des coûts de communication et de transport ont permis à toute une nouvelle gamme de biens et de services de devenir échangeables. Par exemple, au cours des 30 dernières années, la part des importations en pourcentage de la production manufacturière a triplé.[]
  4. 4. Au Canada, la combinaison de la baisse des prix des importations de biens manufacturés et de la hausse des prix des exportations de produits de base a eu pour effet d'améliorer les termes de l'échange du pays, ce qui a fait bondir le revenu disponible réel par habitant d'environ 8,5 % au cours de la période 2003-2007.[]
  5. 5. La hausse des prix des produits de base s'explique par la progression rapide de la fabrication dans les marchés émergents, où l'on utilise davantage de produits de base dans la production par rapport à d'autres pays.[]
  6. 6. Voir le discours que Masaaki Shirakawa, gouverneur de la Banque du Japon, a prononcé devant la Société du Japon à New York le 23 avril 2009, et qui s'intitule « Way Out of Economic and Financial Crisis: Lessons and Policy Actions ».[]
  7. 7. L'équivalence ricardienne désigne la théorie selon laquelle une hausse des dépenses publiques est largement compensée par une réduction de la consommation privée, en raison de la prise en compte de l'augmentation du fardeau fiscal futur.[]
  8. 8. Voir "(Nearly) nothing to fear but fear itself", article d'Olivier Blanchard, économiste en chef, Fonds monétaire international, publié dans la livraison du 29 janvier 2009 de The Economist.[]