À quoi servent réellement les banques?

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Dans les grandes économies du globe, le règlement des problèmes liés aux défaillances au sein du système bancaire figure parmi les principales priorités en matière de politiques. La tourmente financière actuelle fait ressortir crûment le fait que, manifestement, bon nombre de banques à l'extérieur du Canada ne faisaient pas leur travail ou le faisaient de telle sorte que leurs actions ont créé des risques énormes. Nous devons absolument tirer des leçons de ces erreurs afin de bâtir un ordre financier plus robuste.

Le système financier devrait servir l'économie réelle. Comme l'a fait remarquer un de mes collègues de l'étranger récemment : « il est temps que les banquiers cessent de se balader comme la reine d'Angleterre et qu'ils reprennent leur rôle traditionnel de serviteurs de l'industrie ». Il est évident qu'une période de nombrilisme où le secteur financier se percevait comme le coeur de l'activité économique a entraîné une mauvaise allocation généralisée des capitaux. Le problème qui se pose actuellement au sein de certaines grandes économies est que les banques ne répartissent pas de capitaux du tout. Partout dans le monde, on accuse les banques de ne pas consentir suffisamment de prêts et d'imposer des taux trop élevés lorsqu'elles en accordent et, plus fondamentalement, d'aggraver la récession plutôt que de contribuer à sa résorption. Ces préoccupations s'appliquent beaucoup moins au Canada qu'à d'autres pays mais nous devrions nous aussi nous interroger sur leur bien-fondé et réagir en conséquence.

Dans mon discours aujourd'hui, je traiterai du rôle des banques et des marchés dans notre économie. Ces dernières années, ces pierres angulaires de notre système financier sont devenues de plus en plus imbriquées, chacune d'elles élargissant la gamme de ses fonctions pour jouer le rôle traditionnel de l'autre et dépendant de la santé de l'autre. Cette confusion entre les banques et les marchés a donné lieu à l'émergence de ce qu'on appelle le secteur bancaire parallèle, dont la présence a été un élément déclencheur de la crise et dont l'absence compliquera la reprise. Nous sommes maintenant confrontés à des questions de politique cruciales concernant les activités qui devraient être menées par les banques, celles qui devraient relever de marchés viables fonctionnant en continu et celles qui devraient être prohibées.

Certes, les réponses définitives à ces questions demandent réflexion et la mise en oeuvre de solutions prendra du temps, mais il importe de déterminer dès maintenant la voie à emprunter. Les marchés surréagissent. Selon la trajectoire actuelle, la quasi-totalité des activités financières seront réinscrites aux bilans des banques au prix de pertes de production et d'emplois potentiellement colossales.

Pour rétablir la stabilité des marchés financiers, il convient de bien définir l'orientation générale du système financier mondial qui devrait émerger du gâchis financier actuel. Des mesures importantes seront prises à ce chapitre lors de la réunion des dirigeants des pays du G20 qui aura lieu cette semaine à Londres. Le Canada a beaucoup à offrir à l'occasion des discussions qui s'y tiendront, et ses représentants y participeront de façon active et constructive.

Je tiens à souligner d'emblée qu'une bonne partie de mes observations aujourd'hui s'appliquent plus particulièrement à la situation internationale qu'à celle du Canada. Si certains commentateurs ont été trop prompts à attribuer à nos institutions les faillites survenues à l'échelle mondiale, nous ne devrions pas réagir à un accès de jalousie perverse. Notre système est bel et bien supérieur. La réglementation a véritablement été plus systématique. Nos banques ont réellement démontré davantage de prudence. Les conditions du crédit demeurent vraiment meilleures au Canada que dans presque tous les autres pays industrialisés. Cela ne signifie pas pour autant que l'accès au crédit ne constitue pas un problème, que nous ne courons aucun risque ou que notre système ne peut pas être amélioré. Toutefois, bon nombre des contraintes qu'il subit actuellement découlent des défaillances au sein du système financier international et des faillites d'institutions financières mondiales. Notre système renferme une grande partie des éléments – mais pas tous – qui sont essentiels à la viabilité du système financier du globe.

Le rôle traditionnel des banques

Les banques commerciales accomplissent plusieurs fonctions clés dans notre économie. Tout d'abord, elles sont au coeur du système de paiements – la tuyauterie qui sous-tend les transactions financières. Parce qu'il facilite l'échange décentralisé, ce système est indispensable au fonctionnement d'une économie de marché. À l'instar de l'oxygène, il passe inaperçu à moins qu'il ne soit perturbé. Il revient à la Banque du Canada d'assurer la surveillance des composantes d'importance systémique du système de paiements et de sa fiabilité. Grâce à des années d'investissement et de planification, le nôtre a fonctionné de façon harmonieuse et fiable malgré les chocs majeurs qui ont frappé notre système financier ces deux dernières années.

Les banques assument une deuxième fonction importante, soit celle de transformer les échéances des actifs et des passifs. Elles acceptent des passifs à court terme, normalement sous forme de dépôts, et les convertissent en actifs à long terme, comme des prêts hypothécaires ou des prêts consentis à des entreprises. Les ménages et les entreprises peuvent donc faire le contraire, c'est-à-dire détenir des actifs à court terme et des passifs à long terme. Ils peuvent donc plus facilement planifier pour l'avenir et gérer les risques associés aux incertitudes entourant leurs liquidités. De plus, les banques fournissent de la liquidité à leurs clients en leur donnant un accès rapide à ces mêmes actifs à court terme. De fait, en effectuant des opérations assorties d'une vaste gamme d'échéances, les banques permettent un arbitrage favorisant une efficience accrue des marchés financiers. Les emprunteurs peuvent ainsi obtenir le taux d'intérêt le plus faible en fonction de leur profil de risque.

La valeur sociale de la transformation des échéances est incontestable. Toutefois, par définition, elle donne également lieu à une asymétrie des échéances pouvant exposer les banques à un risque fondamental. Celles-ci détiennent des réserves liquides qui correspondent seulement à une fraction de leurs obligations. Qu'arrive-t-il si un déposant veut ravoir son argent mais que celui-ci est affecté à des projets d'investissement à long terme? En général, cela ne pose aucun problème puisque les banques conservent suffisamment de liquidités pour répondre aux exigences habituelles et qu'elles peuvent emprunter auprès d'autres banques si le choc est plus important que prévu. Mais que se passe-t-il si un grand nombre de déposants souhaitent récupérer leurs fonds en même temps? Il arrive un moment charnière où le problème de liquidité s'autoalimente.

Pour gérer ce risque, les banques s'appuient sur deux mécanismes cruciaux. Premièrement, l'assurance-dépôts garantit aux déposants l'accès à leurs fonds quand ils en ont besoin 1. Deuxièmement, la Banque du Canada assume la fonction de prêteur de dernier ressort aux institutions solvables mais illiquides 2.

Ces mécanismes sont conçus avec soin de façon à décourager les banques de courir des risques inappropriés tout en fournissant le soutien nécessaire. Ils sont aussi accompagnés d'un solide cadre réglementaire. Les banquiers acceptent implicitement un contrat social qui leur donne accès à des liquidités en période de tensions en retour de la réglementation constante de leur comportement.

Les banques assument un troisième rôle essentiel d'intermédiation du crédit, selon lequel elles dirigent les fonds des épargnants vers les investisseurs. Elles permettent ainsi aux épargnants de diversifier leurs risques et à nous tous de lisser notre consommation dans le temps. Les jeunes familles peuvent emprunter en vue de l'achat d'une maison, les étudiants universitaires peuvent payer leurs droits de scolarité, les Canadiens peuvent placer leurs économies dans des comptes à faible risque portant intérêt en vue de leur retraite et les entreprises peuvent financer leurs fonds de roulement et leurs investissements.

Les banques, les marchés et la crise

Les banques ne sont pas les seuls acteurs du système financier à considérer. Ces dernières années, les marchés ont crû au point qu'ils constituent maintenant une solution de rechange importante en ce qui a trait au financement des sociétés et des ménages. Dans l'optique du système financier, le développement des marchés est généralement très bénéfique car il rend le système plus robuste et accroît la concurrence, laquelle discipline l'activité financière.

Si les marchés élargissent les choix et abaissent les prix des produits financiers proposés aux consommateurs, ils fonctionnent différemment des banques. Contrairement à elles, ils misent davantage sur la confiance pour assurer leur liquidité. Nous avons pu constater pendant cette crise que la confiance n'est pas toujours au rendez-vous. La liquidité fluctue dans le temps, tout comme les prix des titres. Ces derniers mois, la quasi-totalité des actifs financiers du globe ont subi une réévaluation fondamentale, de sorte que la liquidité de nombreux titres a diminué considérablement.

Les banques ont des relations d'affaires avec leurs clients. Elles suivent les emprunteurs au fil du temps et surveillent leur dossier de crédit et leur fiabilité. Lorsqu'elles jouent leur rôle correctement, elles adaptent leurs produits en fonction de l'emprunteur, en imposant des normes plus ou moins élevées selon le cas. Les marchés, en revanche, sont axés sur les opérations. Ils font office d'intermédiaires entre les épargnants et les emprunteurs, mais n'entretiennent aucune relation avec les uns ou les autres. Par conséquent, les instruments du marché sont plus solides lorsque le produit sous-jacent est plus standardisé. Pour déterminer s'il est préférable qu'une activité soit financée par une banque ou un marché, il convient de s'interroger sur les avantages relatifs que présente la spécialisation ou la standardisation par rapport à cette activité.

En réponse à des pressions concurrentielles accrues de la part des marchés, les banques sont devenues des participantes directes à ceux-ci. Ce faisant, elles ont contribué à semer les graines de la crise notamment par l'entremise du financement de gros, de la titrisation et des opérations pour compte propre.

Tout d'abord, les banques se sont tournées de plus en plus vers les marchés pour financer leurs activités. Ces dernières années, de nombreuses banques internationales ont emprunté des fonds sur les marchés à court terme pour financer la croissance de leurs actifs et, par le fait même, pour augmenter de façon notable leur levier d'endettement. Elles sont ainsi devenues toujours plus dépendantes d'un accès continu à des liquidités sur les marchés monétaires et les marchés de capitaux. En procédant de la sorte, elles pouvaient tirer parti autant des liquidités des marchés que des facilités de trésorerie de la banque centrale. Ce comportement a exacerbé leurs problèmes de liquidité potentiels, problèmes dont nous pouvons maintenant mieux mesurer l'ampleur.

Deuxièmement, les banques ont fait de plus en plus appel à la titrisation pour profiter à la fois des relations avec leurs clients et des opérations financières axées sur les marchés. En vertu du modèle d'octroi puis de cession du crédit, elles consentaient une série de prêts, qu'elles reconditionnaient sous forme de titres et revendaient aux investisseurs. Essentiellement, elles revendaient des prêts spécialisés sous forme de montages financiers standardisés. Si la titrisation offrait aux banques une promesse de diversification des risques, le transfert du risque était souvent incomplet. Les banques vendaient fréquemment à des véhicules sans lien de dépendance des titres qu'elles étaient plus tard forcées de réintermédier ou en conservaient d'autres dans des tranches de titres cotés AAA appartenant à des montages qui se sont révélés loin d'être sûrs. À l'extrême, les modèles de fonctionnement de certaines institutions reposaient entièrement sur l'accès ininterrompu aux marchés d'actifs titrisés (par exemple, la banque Northern Rock).

La crise financière mondiale a mis au jour les problèmes fondamentaux de motivation pouvant être causés par la titrisation. À l'intérieur du modèle d'octroi puis de cession du crédit, les motivations de l'institution initiatrice n'étaient plus compatibles avec celles des institutions qui assumaient le risque. Une fois cette relation brisée, les normes applicables aux nouveaux prêts et leur surveillance continue se sont dégradées. Toutefois, la détermination des prix et la gestion des risques ne tenaient pas compte de ces changements jusqu'à ce qu'elles subissent une brusque correction, laquelle a contribué au déclenchement de la crise.

Troisièmement, bon nombre de banques commerciales ont étendu leurs opérations aux services bancaires d'investissement, ce qui leur a permis d'ajouter à leurs activités de prêt traditionnelles celles de mandataire, qui présentent une plus grande valeur ajoutée, ainsi que les fonctions de tenue de marché et, de plus en plus, les opérations pour compte propre. L'offensive des banques sur les marchés a donné lieu à une prolifération de produits dérivés de gré à gré, qui a entraîné des risques de contrepartie et d'investissement difficiles à cerner et à maîtriser.

Cette transition a aussi été marquée par des problèmes sur le plan des motivations. Dans bien des banques, la culture qui récompense l'innovation et l'opacité plutôt que la gestion du risque et la transparence a fini par nuire à ses créateurs. Les hauts dirigeants et les actionnaires des banques ont découvert que les risques effectifs étaient beaucoup plus graves qu'ils ne l'avaient cru à l'origine. À ce moment-là, les négociants moins expérimentés qui avaient assumé les risques avaient déjà été payés, en grande partie en argent comptant. Beaucoup de grosses institutions complexes ont appris trop tard qu'il peut exister des conflits d'intérêts entre mandant et mandataire au sein des entreprises ainsi qu'entre celles-ci et leurs actionnaires.

Juste comme les banques commençaient à assumer le rôle traditionnel dont les marchés s'acquittaient le mieux, on a assisté à une hausse exceptionnelle de l'offre de produits hautement spécialisés qui exigeaient une surveillance et un accès continu à la liquidité de financement. Un nombre grandissant des fonctions habituelles des banques, notamment la transformation des échéances et l'intermédiation du crédit, était accompli par une gamme élargie d'intermédiaires et de véhicules de placement, appelés collectivement système bancaire parallèle. Les banques parallèles englobaient les banques d'investissement (dans d'autres pays), les courtiers hypothécaires, les sociétés de financement, les véhicules d'investissement structurés, les fonds de couverture et autres blocs d'actifs privés.

L'ampleur de cette évolution a été remarquable. Au cours de cette décennie, les actifs bancaires ont connu une hausse considérable s'établissant entre une fois et demie et six fois le PIB national du Canada, des États-Unis, du Royaume-Uni et du reste de l'Europe. Dans tous les pays sauf le nôtre, cette progression a été principalement financée par une hausse du levier d'endettement 3. Dans les dernières années de la période d'expansion, lorsque l'excès de confiance dans l'accès aux liquidités a atteint son apogée, le système bancaire parallèle a acquis des proportions démesurées. La valeur des véhicules d'investissement structurés, par exemple, a triplé au cours des trois années qui ont précédé 2007. L'accroissement de l'activité financière et la complexification de l'éventail des acteurs financiers ont fait bondir les demandes de règlement au sein du système financier, par opposition à celles entre le système financier et l'économie réelle, ce qui a créé des risques qu'il était difficile de circonscrire et d'évaluer.

Les institutions financières, dont un grand nombre de banques, en sont venues à compter sur des degrés élevés de liquidité au sein des marchés. Aux États-Unis, la valeur totale du papier commercial a augmenté de plus de 60 %, et le marché du PCAA, de plus de 80 % dans les trois ans qui ont précédé la crise. En somme, le système bancaire parallèle procédait à la transformation des échéances sans filet de sécurité, c'est-à-dire en se fiant entièrement à la disponibilité continue de marchés du financement. L'évaporation de la liquidité sur les marchés, qui a débuté en août 2007, a cristallisé ces risques.

Les autorités réglementaires n'ont pas mesuré l'ampleur de cette évolution, pas plus qu'elles ne se sont adaptées adéquatement aux nouveaux risques que celle-ci créait. Le système bancaire parallèle n'était ni soutenu, ni réglementé ni surveillé de la même façon que le système bancaire. En rétrospective, on constate que la migration vers le système bancaire parallèle observée dans certains pays a été trop loin et a été tolérée trop longtemps.

La réduction du levier d'endettement

La crise financière marque le renversement d'une transition qui dure depuis des dizaines d'années, au cours de laquelle l'ordre financier dominé par les banques et axé sur les relations d'affaires est passé à un modèle dominé par les marchés et axé sur les opérations. Les banques jouent maintenant un rôle plus important dans l'octroi courant du crédit. Toutefois, cette transition comporte d'énormes risques. Les banques ne peuvent à elles seules soutenir le même niveau d'activité économique, comme l'ensemble du système le faisait auparavant, d'autant plus que bon nombre d'entre elles doivent réduire leur levier d'endettement. Par ailleurs, le système financier est plus robuste globalement lorsque les banques et les marchés sont solides, sains et liquides.

La réduction du levier d'endettement est à présent un des traits dominants de l'économie mondiale. Après une décennie de progression rapide, le taux de croissance de la dette des ménages, du levier d'endettement dans le secteur financier et des flux de capitaux transfrontaliers a ralenti ou les niveaux eux-mêmes ont diminué. La gravité de la récession internationale dépendra notamment de la durée et du caractère plus ou moins ordonné de ces mouvements.

Les institutions financières du monde entier doivent ramener leur levier d'endettement à des niveaux plus raisonnables en diminuant leurs actifs et en réunissant davantage de fonds propres. Des progrès considérables, quoique déstabilisateurs, ont été réalisés à cet égard dans le système bancaire parallèle, où les véhicules d'investissement structurés et autres conduits ont été liquidés en grande partie. Les fonds de couverture ont vu leurs actifs sous gestion fondre de moitié, pour tomber à environ un billion de dollars américains, et l'effet de levier financier appliqué à ces actifs a été substantiellement réduit. Il en va de même pour l'effet de levier intrinsèque dans maintes caisses de retraite, étant donné le tarissement de la liquidité dans de nombreux marchés de financement. Le secteur bancaire réglementé a cependant fait moins de progrès. La tâche est imposante : on estime que, pour abaisser les ratios de levier d'endettement aux niveaux canadiens par le seul canal des fonds propres, les banques mondiales auraient besoin de plus de un billion de dollars américains d'argent frais, et ce, avant toute nouvelle radiation d'actifs.

Le processus de réduction du levier d'endettement a contribué au revirement brutal des flux de capitaux transfrontaliers. Beaucoup de grandes banques mondiales ont restreint très fortement leurs activités internationales. De même, les fonds de couverture se sont repliés vers leurs pays d'origine en raison des rachats prévus et des préoccupations entourant la liquidité transfrontalière. Selon les estimations de l'Institute of International Finance, les flux nets des créanciers privés vers les marchés émergents, qui avaient culminé à 630 milliards de dollars américains en 2007, seront négatifs cette année. Une fois la crise terminée, il est peu probable que le niveau des opérations financières transfrontalières revienne à ce qu'il était avant la crise, vu la réapparition de la préférence nationale chez les investisseurs et l'incidence des mesures d'appui aux institutions nationales. Or, à moins d'être contenu, ce protectionnisme financier pourrait causer un tort permanent aux mouvements de capitaux transfrontaliers et brider gravement l'économie mondiale.

La réforme du système financier mondial

À l'évidence, le système financier mondial a besoin d'être restructuré mais, pour ce faire, il faut une vision claire et nette des objectifs recherchés. L'objectif fondamental est d'avoir un système qui soutient efficacement l'expansion économique tout en offrant un éventail de choix aux consommateurs de produits financiers. Ce système doit résister aux chocs et atténuer – plutôt qu'amplifier – l'effet de ceux-ci sur l'économie réelle. Il devrait également favoriser l'innovation bien pensée. Enfin, le système doit être constitué de banques stables et de marchés robustes, puisque les uns et les autres jouent un rôle central comme sources de financement et que, bien structurés, ils peuvent s'appuyer réciproquement.

L'atteinte de ces objectifs suppose tout un train de mesures. Il faut d'abord agir à court terme afin de maintenir le fonctionnement du système, pour ensuite agir davantage en profondeur et entreprendre des réformes à long terme qui permettront de définir le rôle des banques et des marchés.

Maintenir le fonctionnement du système

Des mesures exceptionnelles ont été prises en vue de renforcer le système financier. Les pays membres du G20 ont tous confirmé de façon explicite et à maintes reprises qu'ils ne laisseraient aucune institution d'importance systémique faire faillite. Certains pays ont renfloué directement leurs banques en y injectant des fonds publics. Les interventions ont pris aussi une forme moins directe, comme les apports de liquidités visant à garder ouverts les marchés dont dépendent les banques et les opérateurs des marchés. Certaines de ces actions sont des expédients conçus en pleine crise, et des éléments pourraient devoir être ajustés ultérieurement pour favoriser une résolution davantage permanente 4.

Prenons l'exemple des liquidités considérables qui ont été accordées aux banques et dont l'ampleur reflète la gravité des difficultés de financement auxquelles celles-ci étaient confrontées. L'objectif global était de huiler les rouages du système financier. En injectant des liquidités dans les banques, qui forment le noyau du système, les banques centrales s'attendaient à une reprise de l'activité dans les marchés clés à mesure que ces fonds circuleraient et profiteraient aux autres participants aux marchés et, en définitive, à l'économie réelle grâce à la création de crédit privé. Or, plus les institutions réglementées sont faibles en amont, et le secteur bancaire parallèle, important, plus le processus de redressement est lent.

Les concours de liquidités exceptionnels limitent certes les dégâts causés par la crise, mais il est devenu rapidement évident que, peu importe leur envergure, ils ne peuvent à eux seuls réussir à rouvrir les marchés. En définitive, la réouverture des marchés nécessitera tout un train de mesures pour améliorer l'infrastructure des marchés de financement classiques, de la titrisation et des swaps sur défaillance.

Bâtir des marchés d'importance systémique

Un système financier robuste et efficient a besoin de marchés ouverts en permanence, même en période de tensions : des marchés classiques pour le crédit interbancaire et le papier commercial, et des marchés des pensions pour des titres de haute qualité. À cet égard, la Banque du Canada participe actuellement à de vastes discussions avec les acteurs des marchés, les organismes de réglementation et d'autres banques centrales sur les étapes qui pourraient mener à la création de marchés ouverts en continu. Au nombre des mesures à l'étude, mentionnons l'accroissement de la transparence des titres (comme pour le PCAA), la standardisation des modalités des produits telles que la détermination des décotes en fonction du cycle intégral pour les opérations de pension, et le recours aux chambres de compensation afin de limiter les risques de contrepartie. La réglementation et les normes pourraient venir renforcer ces initiatives. Les opérations des banques centrales pourraient également être adaptées de façon à ce que ces institutions deviennent des teneurs de marché de dernier ressort.

En outre, les autorités envisagent actuellement d'importantes mesures dans le but d'améliorer le fonctionnement de marchés clés comme ceux de la titrisation et des swaps sur défaillance par la mise en place d'une infrastructure plus robuste et la standardisation des produits. Pour réduire l'opacité, par exemple, les données et les modèles sous-jacents aux titres pourraient être diffusés, ce qui ferait ainsi passer la titrisation du secret de la « boîte noire » à la lumière du jour. À l'extrême, on pourrait standardiser les titres en introduisant une « couverture » ou garantie de l'État, comme cela se fait déjà pour les Obligations hypothécaires du Canada 5, 6. Dans le même ordre d'idées, une foule de mesures sont examinées en vue de rendre les marchés des swaps sur défaillance plus viables. La Réserve fédérale américaine a amélioré les mécanismes de compensation et de règlement et encouragé le déplacement des swaps sur défaillance vers les chambres de compensation. Ces mesures favoriseront la standardisation de ces produits tout en réduisant quelque peu l'importance systémique des contreparties des swaps sur défaillance, qui sont souvent des banques.

La frontière entre les banques et les marchés

De telles initiatives auront pour effet de modifier la frontière entre les banques et les marchés et d'accroître grandement la robustesse de ces derniers. Les risques s'en trouveront réduits pour les institutions qui dépendent de ces marchés, et on verra moins certaines banques être « trop interreliées pour faire faillite ». Malgré ces changements, on peut s'attendre à ce que les banques demeurent des intervenants actifs sur les marchés.

D'aucuns jugeront ces progrès insuffisants. Un des enseignements que certains observateurs tirent de la crise est que les banques devraient tout simplement se dissocier des marchés. Dans leur esprit, les banques sont des services publics lourdement réglementés dont le rôle le plus naturel consiste à recueillir des dépôts et à accorder des prêts. Une fois que les banques entrent dans le « casino » des marchés, elles sont confrontées à des défis de gestion des risques qui les dépassent et, trop souvent, elles doivent se servir de leurs filets de protection publics. Par leur simple présence, ces filets peuvent effectivement inciter à la prise de risques excessifs et favoriser l'éclatement de crises financières. Voilà pourquoi certains militent en faveur d'une restriction de l'activité bancaire aux fonctions « classiques » de dépôt et de prêt. La gamme des activités liées aux marchés resterait en dehors du secteur bancaire fortement réglementé. Selon cette optique, les banques ne pourraient plus se mettre en difficulté ou, si elles le faisaient, leur liquidation pourrait être gérée en toute sécurité.

Un tel point de vue a de quoi séduire en pleine crise, mais trois raisons viennent miner sa valeur sur le plan pratique.

Premièrement, les banques exercent tout un éventail d'activités liées aux marchés qui sont indispensables à l'existence de ces derniers. Les banques canadiennes sont les principaux agents, teneurs de marché, souscripteurs et négociants de la plupart des titres de dette de l'État et des entreprises. Même en apportant des améliorations substantielles à l'infrastructure des marchés, on voit difficilement comment ceux-ci pourraient fonctionner efficacement sans la participation des banques. Ces activités diffèrent des positions ou des investissements pour compte propre et sont essentielles au bon fonctionnement des marchés. Les efforts décrits précédemment et destinés à améliorer l'infrastructure des marchés rendront ceux-ci moins risqués et augmenteront la robustesse du système dans son ensemble.

Deuxièmement, les banques sont les principaux fournisseurs de produits de financement transfrontalier, qu'il s'agisse du financement du commerce extérieur, de la couverture du risque de change ou du financement extérieur. Dans un univers où les chaînes d'approvisionnement et les entreprises ont une envergure mondiale, il serait très coûteux d'interdire aux banques d'offrir ces services devenus partie intégrante du commerce international. De surcroît, il serait extrêmement risqué d'entraver encore davantage des flux transfrontaliers qui subissent déjà d'énormes pressions.

Troisièmement, la crise a démontré que nombre d'entreprises ont été jugées d'importance systémique et dignes d'être secourues même si elles n'étaient pas des banques de dépôt. Les efforts visant à créer des marchés plus robustes et à définir des mécanismes de résolution plus clairs et plus intégrés limiteront peut-être ces cas dans les années à venir, mais il est peu probable qu'ils les suppriment entièrement. À mon avis, il est préférable d'élargir le périmètre de réglementation, comme le prévoit le plan du G20. En principe, toutes les activités financières susceptibles de poser un risque systémique pour la stabilité financière devraient être surveillées et réglementées. Cela comprend la constitution de grands bassins de capitaux, le recours à l'effet de levier et l'asymétrie des échéances. De plus, pour éviter l'arbitrage réglementaire, les marchés devraient être réglementés selon leur contenu économique, de façon à ce que les activités semblables reçoivent le même traitement, même si elles sont réalisées dans des institutions différentes. Ce mode de réglementation restreindrait l'effet déstabilisateur des banques parallèles sur les banques elles-mêmes.

À de nombreux égards, le succès relatif des banques canadiennes et leur surveillance centralisée assurée par le Bureau du surintendant des institutions financières montrent qu'avec un régime réglementaire approprié et une gestion professionnelle, les banques peuvent être beaucoup plus que des services publics. C'est dans cet esprit que le Canada participe au débat international sur la réforme du secteur financier. Nous insistons sur la nécessité d'adopter une approche macroprudentielle (c'est-à-dire intégrée et visant l'ensemble du système) qui prend en compte l'importance des banques, des marchés et de leurs interactions.

Conclusion

Notre préoccupation première est de traverser la tempête qui secoue actuellement le monde de la finance et de l'économie mais, pendant que nous affrontons la tourmente, les décideurs doivent aussi garder le cap sur l'objectif à atteindre lorsque le calme sera rétabli. Cet objectif devrait être que les banques et les marchés financiers jouent des rôles indispensables, et complémentaires, au sein d'un système financier qui favorise la prospérité économique à long terme. L'ensemble du système sera plus stable si l'infrastructure des marchés est substantiellement améliorée, si les produits offerts par les marchés sont davantage standardisés et transparents, et si les banques peuvent s'acquitter de leurs fonctions de teneurs de marché, grâce à des facilités de trésorerie appropriées.

Alors que le G20 poursuit son travail essentiel de réforme financière, le Canada apportera un point de vue important sur ces questions, en se fondant sur le bel exemple qu'il continue de donner.

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  1. 1. La Société d'assurance-dépôts du Canada (SADC) assure les dépôts admissibles à hauteur de 100 000 $ (principal et intérêts) par déposant en cas de faillite d'une banque ou autre institution financière membre de la SADC, ce qui est le cas des banques canadiennes, des sociétés de fiducie ou de prêt constituées en vertu d'une loi fédérale qui acceptent des dépôts et des associations de dépôt régies par la Loi sur les associations coopératives de crédit.[]
  2. 2. Pour une description plus détaillée du rôle de prêteur de dernier ressort assumé par la Banque, consulter la livraison de l'hiver 2004-2005 de la Revue de la Banque du Canada à l'adresse https://www.banqueducanada.ca/fr/revue/hiver04-05/daniel-f.pdf.[]
  3. 3. Le ratio actifs / fonds propres moyen des banques d'investissement américaines a augmenté à 25 avant le déclenchement de la crise, celui des banques de la zone euro, à 30, et celui de certaines grandes banques mondiales, à plus de 40. Ces ratios sont tous nettement supérieurs à celui des banques canadiennes, qui avoisine 20.[]
  4. 4. La Banque du Canada a exposé certains principes devant guider ses apports de liquidités dans un article qu'on peut consulter à l'adresse https://www.banqueducanada.ca/fr/rsf/2008/rsf_0608.pdf.[]
  5. 5. À titre d'exemple, sir James Crosby, l'ancien vice-président de la Financial Services Authority du Royaume-Uni, a proposé que les obligations hypothécaires nouvellement émises soient garanties par l'État. En mars, la Banque d'Angleterre a lancé un programme d'achat d'actifs destiné à soutenir les marchés du crédit des entreprises.[]
  6. 6. Pour harmoniser les incitatifs, les initiateurs pourraient également commercialiser leurs produits de façon à conserver une part des titres ou à assumer les premières pertes.[]