La création de marchés continus
Je suis ravi d'être de retour dans la City. C'est ici que j'ai décroché mon premier véritable emploi, il y a 20 ans. J'étais analyste de crédit – vous souvenez-vous de cette fonction bien particulière? dans une banque d'investissement – vous rappelez-vous ces institutions archaïques d'alors? J'étais venu à Londres parce que la ville semblait prête à remplir les promesses de la finance axée sur les marchés et à reprendre sa place au centre de la finance mondiale. Aujourd'hui, je viens à Londres, au moment où les marchés sont tant décriés, pour en faire l'éloge et exposer quelques idées sur la façon d'accroître leur robustesse.
Au fil des ans, le Canada a grandement profité de l'innovation londonienne. Des compagnies d'aventuriers, mises sur pied et financées dans la capitale, ont ouvert la voie au commerce international à de larges pans du Canada. Les capitaux mondiaux, qui transitaient par Londres, ont servi à financer nos booms des infrastructures et des produits de base au début du XXe siècle. Dans les années 1980 et au début des années 1990, nos gouvernements ont beaucoup compté sur les euromarchés pour financer leurs emprunts. Plus récemment, nous nous sommes tournés vers Londres qui offrait un éventail de nouveaux produits financiers.
Cependant, nous ne sommes pas demeurés en reste. Le Canada a aidé à financer les efforts de guerre du Royaume-Uni lors du deuxième conflit mondial, et nous avons été heureux de recevoir le versement final, comme prévu, en 2006. L'oeuvre de pionnier que la Banque du Canada a accomplie en matière de régimes de cibles d'inflation a sans nul doute contribué dans une certaine mesure à la réflexion de la Banque d'Angleterre au sujet de l'adoption de ce régime performant. Nous avons peut-être maintenant quelque chose à offrir au cœur du malstrom actuel : un point de vue serein et essentiellement optimiste sur la manière de créer des marchés durables à l'ère du capital mondial.
Le fait est que, bien que les marchés canadiens aient été soumis à des tensions, ils sont restés ouverts. Nos banques n'ont pas cherché à obtenir de fonds publics. Elles continuent d'accroître leurs activités de prêt tant dans le secteur des entreprises que dans celui des ménages, sans que l'on exerce sur elles le genre de pressions que l'on a pu voir ailleurs. Certes, nous ne sommes pas à l'abri des répercussions d'une récession mondiale potentiellement grave, mais notre système financier nous donne les moyens, et l'opportunité, d'investir en vue de la reprise qui se produira inévitablement à l'échelle du globe. Pour que cette reprise atteigne son plein potentiel, nous avons tous besoin d'un système financier au coeur duquel les marchés fonctionneront en continu. Voilà le thème sur lequel portera l'essentiel de mes observations aujourd'hui.
Les marchés et les banques
La crise actuelle marque le renversement d'une évolution, qui dure depuis des dizaines d'années, au cours de laquelle le système financier mondial, principalement axé sur les relations et dominé par les banques, est passé à un modèle principalement axé sur les transactions et dominé par les marchés financiers. Ce modèle était susceptible d'assurer une évaluation des risques et une répartition des capitaux plus efficientes. Toutefois, dans certains cas, les marchés se sont développés beaucoup plus vite que les infrastructures sur lesquelles ils reposaient. Qui plus est, les participants, leurrés par leurs premiers succès, ont compté de plus en plus sur la titrisation opaque, ont recouru excessivement à l'effet de levier et n'ont montré aucune inquiétude à l'égard de la liquidité du marché. Un système qui semblait résilient (et extrêmement rentable) en périodes de faible volatilité s'est révélé vulnérable aux chocs.
La défaillance de nombreux marchés a entraîné un retour de balancier : d'une finance centrée sur les marchés à une finance centrée sur les banques. Ce revirement comporte des coûts et des risques connexes. Premièrement, en raison de ce retour soudain vers l'intermédiation bancaire, les banques ont un urgent besoin de mobiliser des capitaux en quantités très importantes. Si cette situation n'est pas bien gérée, elle risque d'accentuer le ralentissement économique à l'échelle du globe. Deuxièmement, la crise a bousculé plusieurs dogmes chez les participants aux marchés, convaincus notamment que l'on pourrait toujours emprunter en contrepartie de « bonnes » garanties, qu'il y aurait toujours des liquidités sur les marchés et que les notations de crédit étaient des substituts efficaces au devoir de diligence raisonnable et au jugement. Maintenant que ces postulats sont remis en question, certains marchés sont gelés, et il pourrait s'écouler pas mal de temps avant qu'ils se remettent à fonctionner, s'ils y parviennent. Troisièmement, ces dernières semaines, nous avons vu les signes d'un regain d'intérêt pour la « préférence nationale » sur les marchés financiers à l'échelle mondiale, les banques et les investisseurs rapatriant frénétiquement leurs capitaux. Cela traduit à la fois le désir des banques de concentrer leurs ressources limitées sur des relations géographiquement proches et la nécessité pour les fonds de liquider des actifs en vue de retraits massifs. Cette évolution peut ralentir considérablement la croissance dans certains marchés émergents.
Tous ces risques résultent de la confiance mise dans des marchés érigés sur du sable. Pour trouver l'assise solide sur laquelle nous pourrons rebâtir des marchés ouverts en permanence, nous devons tous, les participants aux marchés comme les décideurs publics, tirer les enseignements de cette crise.
Les enseignements de la crise
La crise trouve son origine dans les déséquilibres macroéconomiques et les défaillances microéconomiques. Sur le plan macroéconomique, nous subissons la correction qui suit inévitablement une période de déséquilibres mondiaux, caractérisée, d'une part, par une épargne excédentaire et une sous-consommation dans les principales économies émergentes et, d'autre part, par une épargne négative, une expansion rapide du crédit et une envolée des prix des actifs dans bon nombre de pays occidentaux. Ces tendances ont été encouragées par des politiques, par exemple, en Asie, des politiques de taux de change inflexibles et de dépendance excessive à la croissance alimentée par les exportations, et, aux États-Unis, par les mesures prises à la suite de l'éclatement de la bulle technologique. Ces interventions ont contribué collectivement à instaurer un climat de taux d'intérêt bas et stables qui a favorisé une énorme prise de risques et un recours considérable au levier financier touchant l'ensemble des marchés et des monnaies. Maintenant qu'une « quête de rendement » inconsidérée a fait place à une « ruée vers les abris » désespérée, l'effet de levier est réduit violemment dans tous les marchés.
L'un des enseignements clairs que l'on peut dégager est que la stabilité des prix ne peut à elle seule empêcher le développement de déséquilibres macroéconomiques. De fait, des bulles d'actifs se forment souvent durant les périodes de maintien de l'inflation des prix à la consommation à un niveau bas et stable. Cela ne signifie pas pour autant que la politique monétaire devrait cibler les prix des actifs. Celle-ci est un instrument peu nuancé, qui se prête mal à la résolution de déséquilibres financiers. Plutôt, on reconnaît de plus en plus que la stabilité macrofinancière devrait être l'un des principaux objectifs de la réglementation financière.
La présente crise a fait ressortir de façon éclatante que la forme et la conduite de la réglementation financière, telles qu'elles ont été conçues, ne sont pas adaptées au but visé. L'adoption de nouvelles mesures au sein des cadres actuels par les organismes de réglementation prudentielle ne suffira pas. Il est nécessaire de surveiller l'ensemble du système – notamment aussi bien les institutions que les marchés ayant une importance systémique. Les institutions publiques à vocation macroéconomique sont probablement les mieux placées pour exercer cette surveillance. Au minimum, les organismes de réglementation, la banque centrale et le ministère des finances doivent collaborer étroitement.
Dans le cadre d'une nouvelle approche macroprudentielle, la réglementation doit tenter de remédier à trois faiblesses importantes de la structure des marchés : un manque de transparence, des motivations incompatibles et une liquidité insuffisante. Je dirai quelques mots sur chacune d'elles.
Accroître la transparence est la grande priorité. De nombreux produits hautement structurés qui se sont trouvés au centre des perturbations étaient loin d'être transparents, et l'information fournie par leurs initiateurs laissait souvent à désirer. La substitution des notations de crédit à une transparence adéquate a donné lieu à des ventes massives de titres déclassés et à des erreurs fréquentes d'évaluation concernant une panoplie de catégories d'actifs. Du coup, les investisseurs ont cessé d'exercer des pressions pour une amélioration de l'information financière, ce qui a mené à la défaillance des marchés que l'on connaît aujourd'hui. Des progrès ont été accomplis, tels que la mise au point par le Forum sur la stabilité financière d'un modèle de présentation d'information financière à l'intention des banques et l'établissement par la Banque du Canada d'exigences en matière d'information liée au papier commercial adossé à des actifs offert en garantie. En définitive, si les investisseurs font vraiment leurs devoirs en matière de crédit, ils exigeront une meilleure information. Sinon, ce sont encore eux qui paieront.
La deuxième priorité consiste à résoudre une série de motivations incompatibles. On a reconnu, tardivement, que la rupture de la relation de long terme entre le prêteur et l'emprunteur a contribué à la détérioration de la qualité du crédit. En outre, plusieurs institutions financières mondiales avaient des motivations inadéquates résultant de l'octroi de financement à taux sans risque aux pupitres de négociation et de piètres structures de rémunération. À l'heure actuelle, des appels pressants en faveur d'une réglementation accrue sont lancés en vue de mieux harmoniser les motivations à l'intérieur des institutions. Ces questions demandent du jugement et non des slogans. Je suis fermement convaincu qu'il n'est pas approprié de réglementer la rémunération, même si on en entend beaucoup parler en ce moment. Les autorités réglementaires devraient plutôt examiner avec soin les motivations liées à la rémunération dans le cadre d'une évaluation plus large de la robustesse des systèmes de gestion des risques et de contrôle interne. Elles devraient également se pencher sur l'incompatibilité des motivations créée par la réglementation même, notamment sur les exigences de fonds propres dans leur état actuel.
Il va sans dire qu'il faut améliorer la gestion de la liquidité dans un large éventail d'institutions financières. La confiance dans le fait que les marchés resteraient liquides a encouragé l'essor rapide du modèle d'octroi puis de cession du crédit. L'illiquidité actuelle en précipite la perte. Les problèmes de liquidité se sont propagés d'un marché à l'autre, reflétant deux grandes préoccupations, soit la solvabilité des contreparties et la procyclicité des marges de garantie.
Ces trois faiblesses ont entraîné la défaillance d'importants marchés monétaires, ce qui a aggravé la crise. Si ces marchés avaient continué de fonctionner, nous connaîtrions probablement un resserrement du crédit – caractérisé par un coût du crédit nettement plus élevé – plutôt qu'une véritable crise du crédit, qui rend celui-ci inaccessible à quelque prix que ce soit dans de nombreux marchés clés. L'apport exceptionnel de liquidités par les banques centrales limite les dommages causés par la crise, mais il est évident depuis longtemps que l'injection de liquidités par les autorités, peu importe l'ampleur de l'intervention, ne peut à elle seule rouvrir les marchés.
Comment créer des marchés continus
La situation actuelle est inacceptable. Le système financier devrait disposer d'un certain nombre de marchés clés – notamment des marchés des prêts interbancaires, du papier commercial et des pensions destinés à des titres de grande qualité – qui fonctionnent continuellement, même lorsqu'ils sont soumis à des tensions. Pour ce faire, il faudra mettre en oeuvre une combinaison des mesures microéconomiques que je viens de décrire et poursuivre deux stratégies.
Le plan d'action du G7 annoncé le mois dernier fournit les balises traditionnelles. Cette stratégie est axée sur le renflouement des institutions d'importance systémique afin d'en accroître la résilience et de leur permettre de recommencer à jouer leur rôle de teneur de marché. À cette fin, le G7 a clairement indiqué qu'il fallait éviter la faillite de toute institution d'importance systémique et que des capitaux – d'origine publique et privée – seront levés en quantité suffisante pour rétablir la confiance. Ces dernières semaines, les gouvernements des pays du G7 ont adopté des plans énergiques adhérant à ces principes. Les banques centrales ont pris des mesures conjointes conformément à leurs engagements contractés dans le cadre du plan et visant à faire en sorte que les banques et autres institutions financières aient largement accès aux liquidités et aux financements. En injectant des liquidités au coeur du système, nous nous attendons à une reprise de l'activité sur les marchés clés à mesure que ces fonds circuleront dans le système et profiteront aux autres participants aux marchés et, en définitive, à l'économie réelle grâce à la création de crédit privé. Même s'il faudra du temps pour que les capitaux reviennent et que la confiance soit restaurée, cette stratégie portera ses fruits.
La deuxième stratégie exige que les banques centrales interviennent comme teneurs de marché de dernier ressort. Autrement dit, elles favoriseraient la poursuite des opérations sur les marchés en temps de crise en devenant une contrepartie aux opérations des principaux participants aux marchés. Cela contribuerait directement à apaiser la crainte actuelle qu'éprouvent les participants non bancaires de nombreux marchés monétaires du globe de ne pas bénéficier d'un accès continu à des liquidités. Le fait que les fonds du marché monétaire délaissent les titres non gouvernementaux, il faut le reconnaître, peut être aussi dommageable que les préoccupations entourant les risques de contrepartie et l'accumulation préventive de liquidités de la part d'institutions financières clés.
Dans certains pays, les banques centrales font déjà office, de facto, de contrepartie centrale en acceptant des dépôts d'institutions dotées de liquidités excédentaires et en les mettant à la disposition de celles qui en ont besoin. La question qui se pose est de savoir dans quelle mesure accroître le nombre de participants. Lorsque les banques centrales interviennent comme teneurs de marché, l'importance systémique des marchés augmente et celle des institutions diminue.
Quelle que soit la stratégie adoptée pour reconstruire des marchés continus, les décideurs devraient examiner des mesures additionnelles axées sur la réduction des risques et de l'importance systémique des institutions. Par exemple, les efforts qui sont déployés actuellement afin de créer une chambre de compensation destinée aux swaps sur défaillance auraient pour effet de diminuer le risque de contrepartie et de contribuer au fonctionnement continu de ce marché en périodes de tensions. Sans sous-estimer la complexité de cette initiative et les coûts potentiels liés à l'établissement de dispositifs de marge, on peut s'attendre des décideurs qu'ils recherchent d'autres marchés qui pourraient être transformés en bourses ou en chambres de compensation ou encore qu'ils veillent à ce que les conservateurs intermédiaires soient à l'épreuve du risque 1.
L'adoption de règles et de normes pourrait raffermir ces initiatives. Par exemple, il y aurait lieu d'envisager de hausser les exigences de fonds propres pour les titres qui se négocient à l'extérieur des marchés fonctionnant en continu ainsi que de limiter l'application de la comptabilité à la juste valeur aux titres qui se négocient en bourse ou sur des marchés ouverts en permanence. Les décideurs devraient aussi chercher à réduire la procyclicité des dispositifs de marge fondés sur la valeur exposée au risque, peut-être en maintenant les marges de garantie à des taux fixes tout au long du cycle économique. Si la banque centrale faisait office de teneur de marché de dernier ressort, elle pourrait renforcer de telles normes.
Maintenant que j'ai exposé ces stratégies, j'aimerais formuler quelques commentaires sur la façon dont elles pourraient être appliquées en me fondant sur la situation canadienne.
La perspective canadienne
L'expérience du Canada est instructive. Si le système financier canadien a été touché par la crise qui a secoué les marchés financiers mondiaux, les répercussions de celle-ci ont été considérablement moindres chez nous qu'au sein de nombreuses autres grandes économies, notamment parce que le Canada a une longueur d'avance sur d'autres pays en ce qui a trait à la mise en oeuvre du plan d'action du G7. Tout d'abord, ses institutions financières affichent une bonne santé financière par rapport à leurs homologues étrangères. Non seulement les pertes qu'elles ont essuyées au chapitre des produits structurés sont relativement modestes mais, surtout, leur niveau absolu de levier financier est nettement plus faible. À titre d'illustration, les grandes banques canadiennes ont un ratio actifs / fonds propres moyen de 18, sur une base consolidée, ce qui est légèrement inférieur au maximum réglementaire de 20. Le ratio correspondant des banques d'affaires américaines dépasse 25, celui de leurs consoeurs européennes se situe dans les 30, tandis que celui de certaines des plus importantes banques à l'échelle mondiale franchit 40. Alors que les banques étrangères se rapprochent maintenant des normes canadiennes, nos institutions financières ne subissent évidemment pas de telles pressions. En outre, la qualité des fonds propres de première catégorie des banques canadiennes est parmi les plus élevées au monde.
La culture bancaire conservatrice de notre pays a manifestement contribué à éviter à nos institutions certaines des pratiques de prêt les plus extrêmes observées ailleurs. La nature de la titrisation au Canada a aussi joué un rôle. Seulement 20 % environ des prêts hypothécaires canadiens sont titrisés. La plupart des prêts de ce type étant toujours inscrits au bilan des institutions, les critères de souscription sont demeurés rigoureux. Par ailleurs, comme le Canada exige que les prêts hypothécaires à ratio prêt-valeur élevé soient assurés et que les Obligations hypothécaires du Canada sont explicitement garanties par l'État, aucun effet de rétroaction négatif ne s'exerce entre le marché du logement et le secteur financier, effet qui n'a été que trop évident dans les autres grandes économies.
Notre expérience prouve que la stratégie mise de l'avant par le G7 portera ses fruits. Grâce à la robustesse des institutions clés, à l'octroi de liquidités exceptionnelles à plus d'un jour par la Banque du Canada et au financement à plus d'un jour maintenant substantiel offert par le gouvernement canadien, nous prévoyons que nos principales institutions financières feront circuler ces liquidités dans le système en appuyant les marchés continus et en accordant des prêts.
Malheureusement, ce n'est pas encore le cas dans d'autres pays. Plus la situation de départ des institutions réglementées sera faible et plus le secteur bancaire parallèle sera important, plus le processus de guérison pourrait tarder. De fait, dans plusieurs pays, ce processus doit être géré avec soin afin d'éviter que la récession qui y sévit ne s'aggrave. Plus particulièrement, la menace posée par des exigences élevées en matière de fonds propres pourrait s'ajouter aux craintes que les niveaux globaux des fonds propres eux-mêmes n'augmentent. Cela pourrait amener les banques à accumuler les nouveaux fonds propres plutôt que de les réaffecter. Cette réaction aurait comme conséquence d'assombrir les perspectives économiques, ce qui accroîtrait les pertes sur prêts et intensifierait davantage les pressions sur les niveaux des fonds propres.
L'engagement explicite pris par le G7 envers les institutions d'importance systémique et les divers programmes de garantie devraient servir à étaler dans le temps les hausses nécessaires des fonds propres. En outre, les décideurs devraient avoir le courage de leurs (nouvelles) convictions macroprudentielles. Face aux demandes des dirigeants des pays du G20 pour que les organismes de réglementation élaborent des mesures axées sur l'atténuation des variations cycliques des fonds propres, ces organismes devraient faire attention à ne pas augmenter les exigences de fonds propres de façon trop importante ou trop rapide dans une période de ralentissement économique. L'établissement d'un niveau de fonds propres tenant compte du cycle intégral signifie que les ratios connexes devraient diminuer lorsqu'il y a une baisse de l'activité. Enfin certains décideurs devraient examiner plus attentivement la possibilité que la banque centrale fasse office de teneur de marché de dernier ressort afin de maximiser la probabilité que les marchés monétaires demeurent ouverts.
En dépit des avantages que présente son secteur financier, le Canada, étant l'une des économies les plus ouvertes du globe, a été fortement secoué par les événements survenus sur la scène internationale. L'intensification de la crise financière mondiale s'est traduite au pays par un élargissement des écarts de crédit et un resserrement généralisé des conditions du crédit. La récession mondiale s'aggrave sous l'effet du tassement prononcé de la demande dans toutes les principales régions du globe ces dernières semaines. En conséquence, les cours de nombreux produits de base ont continué à reculer et les termes de l'échange du Canada se sont détériorés, faisant fléchir les revenus des Canadiens. Le ralentissement économique aux États-Unis, caractérisé par la faiblesse marquée des secteurs du logement et de l'automobile, est particulièrement problématique pour nos exportateurs. Ainsi, même si la demande intérieure au Canada demeure relativement vigoureuse et que la dépréciation du dollar canadien compensera en partie le repli de la demande extérieure, la résultante des risques entourant la croissance et l'inflation au pays, qui avaient été cernés dans la livraison d'octobre du Rapport sur la politique monétaire, semble s'être inscrite en baisse. Même si la Banque du Canada a déjà réduit de moitié son taux directeur au cours de la dernière année, et même si notre secteur financier continue de fonctionner efficacement, il faudra probablement encore augmenter le degré de détente monétaire pour atteindre la cible d'inflation à moyen terme.
Agir localement et penser mondialement
Voilà qui m'amène au dernier enseignement tiré de l'expérience du Canada. Comme en ont convenu les dirigeants des pays du G20 la fin de semaine dernière, c'est d'abord à l'intérieur de nos frontières qu'une réglementation efficace doit exister. Pour endosser cette responsabilité, le Canada dispose d'un mécanisme de coordination formel qui réunit les institutions à vocation macroéconomique – la banque centrale et le ministère des Finances –, l'organisme de surveillance prudentielle et l'assureur-dépôts. Étant donné le rythme du changement au sein des marchés financiers, nous soumettons notre régime réglementaire à des examens réguliers. Nous sommes assujettis à un engagement prescrit par la loi de revoir le cadre législatif et réglementaire de notre système financier tous les cinq ans. En outre, notre système financier a fait l'objet à deux reprises d'un examen rigoureux dans le cadre du Programme d'évaluation du secteur financier dirigé par le Fonds monétaire international.
S'il est indéniable que c'est d'abord à l'intérieur de nos frontières qu'une bonne réglementation financière doit éclore, il est tout aussi clair qu'elle ne doit pas s'y limiter. Même si le système national est robuste, il n'existe aucune garantie que les marchés financiers clés seront toujours disponibles. Vu le degré élevé d'intégration dans le système financier du globe, et comme il est toujours possible que les pays sous-investissent dans le bien social que constitue la stabilité financière nationale, il y a un besoin pressant d'institutions financières internationales qui surveillent efficacement le risque systémique et coordonnent la réforme des politiques macroprudentielles et financières. Il n'existait aucune surveillance efficace à l'échelle internationale qui aurait permis de cerner la nature ou l'ampleur de la crise financière, car aucune organisation internationale n'a encore intégré efficacement l'analyse macroéconomique et macrofinancière. Des progrès ont aussi été réalisés au chapitre de ces impératifs la fin de semaine dernière à Washington et ceux-ci demeureront à l'avant-plan au cours des prochaines semaines.
Conclusion
Permettez-moi de conclure.
Les perturbations que l'on a connues depuis 18 mois et la crise des deux derniers mois sont mémorables. Cet épisode sera l'un des plus marquants de l'histoire économique. Toutefois, en définitive, notre réaction à ces événements sera plus importante que les événements eux-mêmes. Nous ne pourrons jamais éliminer les crises financières, mais nous pouvons en minimiser la probabilité et la gravité. À mon avis, la clé du succès à cet égard est de chercher à mettre sur pied des marchés continus. On assiste à un retour de balancier : d'une finance centrée sur les marchés à une finance dominée par les banques. Nous ne devrions pas souhaiter que le balancier aille trop loin dans cette direction. Les exigences en matière de fonds propres à cette extrémité seraient énormes. Plus fondamentalement, c'est aux forces du marché qu'il revient de déterminer la taille relative et les limites du secteur bancaire et des marchés. Mais elles ne pourront y arriver qu'à la condition que les marchés reposent sur des assises solides. Nous pouvons bâtir le système financier mondial qui pavera la voie au type de prospérité soutenue mutuellement bénéfique dont le Canada et le Royaume-Uni ont profité au fil des siècles.