Tirer parti du boom des matières premières : le rôle de la politique monétaire
Tout le monde ici se rappelle cet autocollant qui ornait le pare-chocs des voitures. Pendant 20 ans, les Albertains se sont promis de ne pas dilapider les fruits du prochain boom économique, si on leur en accordait un. De toute évidence, avec les cours du pétrole à 130 $ É.-U., ceux du gaz naturel à 10 $ É.-U., ceux du charbon à 200 $ É.-U. et ceux du blé à 8 $ É.-U., ce nouveau boom est arrivé. La question qui se pose maintenant est de savoir comment réaliser cette promesse. Ce soir, je me concentrerai sur un aspect de la réponse, soit la contribution que la politique monétaire peut apporter pour créer les conditions qui permettront aux Canadiens et aux Canadiennes de tirer parti du niveau élevé et soutenu des prix des matières premières. Je suis reconnaissant de cette occasion qui m'est offerte, car la politique monétaire est d'autant plus efficace qu'elle est bien comprise. Et rarement cette compréhension est-elle plus importante que lorsque notre économie doit faire face aux types de chocs d'offre et de demande qu'engendre une série de fortes hausses des prix des produits de base.
Perspectives d'évolution des cours des matières premières
Nous connaissons en ce moment un super cycle des matières premières. Tout au long du boom actuel, l'ampleur des augmentations de prix a été plus grande, et l'éventail des produits de base touchés plus large, que lors des reprises précédentes. Depuis 2002, les cours des céréales et des oléagineux ont plus que doublé, ceux des métaux communs ont triplé et les prix du pétrole ont quadruplé. Au-delà de l'étendue et de l'ordre de grandeur de ces renchérissements, le boom actuel se distingue également du fait qu'il a débuté plus tôt pendant le cycle économique mondial et a duré plus longtemps. Si les booms laissent habituellement présager un ralentissement de l'activité, celui-ci semble être le signe d'une croissance mondiale exceptionnellement vigoureuse 1.
Cette dynamique donne à penser qu'une combinaison de facteurs très propices et qui se renforcent mutuellement sont à l'oeuvre, dont une demande en plein essor, une réaction atténuée du côté de l'offre, des liens importants entre les marchés des matières premières ainsi que des conditions financières favorables. Il s'instaure, depuis le milieu des années 1990, un environnement propre à soutenir une hausse durable des prix des produits de base. Cela dit, on peut s'attendre à ce que cette tendance à long terme s'accompagne d'une volatilité considérable, sans oublier que si l'offre et la demande sont inélastiques à court terme, elles sont en revanche nettement plus flexibles en longue période.
La dynamique actuelle des cours des matières premières est intimement liée au processus de mondialisation. En particulier, la vive expansion de la demande dans les économies émergentes pousse la plupart des prix à la hausse. Parmi les facteurs fondamentaux positifs agissant sur la demande dans ces pays, mentionnons une croissance soutenue du revenu par habitant, une industrialisation rapide et une utilisation plus intensive des matières premières dans la production. D'après des recherches menées à la Banque du Canada et ailleurs, si les cours du pétrole et des métaux ont historiquement évolué en fonction du cycle économique des pays développés, ce lien s'est rompu depuis une dizaine d'années. Ainsi, c'est l'activité industrielle des économies émergentes d'Asie qui paraît désormais jouer un rôle central dans les variations des cours pétroliers 2, et l'on s'attend à ce que la Chine devienne le premier consommateur mondial d'énergie d'ici 2010 3. Depuis 2003, près de 95 % de l'accroissement de la demande de pétrole est attribuable aux marchés émergents et aux économies en développement 4. Dans les années 1990 encore, la demande marginale se répartissait à peu près également entre les pays membres de l'OCDE et les non-membres.
Face à cette demande, la réaction de l'offre s'est montrée décevante. Prenons le pétrole, par exemple. La production annuelle des pays de l'OPEP a fléchi de 2 % depuis 2005 et, à de rares exceptions près, l'offre en provenance des pays hors OPEP n'a pas répondu aux attentes. Parmi les membres de l'OCDE, la production pétrolière a reculé de 8 % depuis 2002. Par conséquent, les stocks demeurent très tendus à 31 jours et les capacités excédentaires sont limitées. Compte tenu de l'inélasticité de la demande à court terme, les perturbations de l'offre, qu'elles soient réelles ou imaginaires, peuvent faire grimper les prix et alimenter la volatilité.
De nombreuses raisons expliquent pourquoi la réaction de l'offre a jusqu'ici été mesurée. Premièrement, l'accès à bon nombre des régions les plus prometteuses du monde est souvent rigoureusement contrôlé ou bien strictement réservé à des sociétés d'État. Deuxièmement, l'investissement nominal a bondi, certes, mais les coûts également 5. Vous êtes nombreux dans cette salle à savoir par expérience combien il est difficile de trouver des ouvriers qualifiés, des installations de forage et des capacités pipelinières. Les coûts d'exploration et de développement associés au pétrole brut classique ont doublé, tandis que ceux liés aux sables bitumineux ont triplé. Dans l'ensemble de l'industrie mondiale, l'envolée des coûts d'investissement a eu pour résultat que l'investissement réel a stagné. Au final, la hausse nominale de 70 % des dépenses d'investissement dans les pays hors OPEP depuis 2003 a à peine compensé la baisse de la production des champs existants 6.
À moyen terme, les prix élevés stimuleront la recherche de nouvelles sources d'approvisionnement et d'énergies de remplacement. Le Canada sera l'un des plus importants fournisseurs du surcroît de production de pétrole. Avec de nouveaux investissements de plus de 150 milliards de dollars projetés ou déjà engagés dans les sables bitumineux 7, la production issue de ces derniers devrait augmenter de 3 millions de barils par jour d'ici 2020, ce qui correspond à environ 15 % de la demande marginale mondiale attendue 8. On peut s'attendre à ce que d'autres sources d'approvisionnement fassent leur apparition et que des sources d'énergie de remplacement soient mises au point. Il y aura des décalages, mais on aurait tort de supposer que le marché a cessé de fonctionner.
La demande deviendra aussi plus sensible au fil du temps. Les ventes de véhicules utilitaires sport aux États-Unis ont diminué de près du tiers depuis le début de l'année : il s'agit là d'un important indicateur avancé. La demande de pétrole dans les pays de l'OCDE fait essentiellement du surplace depuis 2003, et l'Agence internationale de l'énergie prévoit qu'elle restera faible au cours des prochaines années 9. Par conséquent, la mesure dans laquelle la demande continuera d'exercer une pression à la hausse dépendra presque exclusivement des marchés émergents. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Premièrement, nous sommes sur le point de découvrir dans quelle mesure le ralentissement de la croissance de la demande intérieure dans les pays du G7 se répercutera sur l'expansion des économies émergentes d'Asie. Deuxièmement, l'orientation de la politique monétaire dans les marchés émergents constituera un important déterminant des prix à court terme. Le degré de détente monétaire demeure très élevé dans plusieurs économies en croissance rapide qui sont de grands consommateurs du surcroît de production de matières premières. La combinaison de la détente monétaire et de la surchauffe des économies finira par s'inverser, que ce soit par suite de mesures de politique ou d'une inflation généralisée. Dans un cas comme dans l'autre, la demande globale dans les pays émergents ralentira vraisemblablement par rapport aux tendances actuelles.
Un troisième facteur a trait au fait que la réaction de la demande dans beaucoup d'économies se trouve aujourd'hui neutralisée par l'importance des prix administrés des aliments et de l'énergie. Ces efforts pour protéger les plus vulnérables sont généralement mal ciblés et, partant, provoquent de graves distorsions. En maintenant les prix intérieurs des matières premières artificiellement bas, les autorités encouragent la consommation – ce qui fait augmenter les prix ailleurs – et découragent du même coup la réaction interne de l'offre qui se produirait normalement. De plus, en entravant les signaux des prix, ces politiques retardent l'ajustement économique nécessaire et accentuent le risque d'un revirement radical et difficile dans l'avenir. Signe de bon augure, ces dernières semaines, plusieurs pays ont adopté d'importantes mesures en vue d'assouplir ces contrôles. La demande devrait suivre.
Tout comme dans la foulée des précédentes flambées des cours des matières premières, cette réaction de la demande conduira à terme à l'adoption de nouvelles technologies. De fait, les économies à forte intensité de produits de base remplaceront probablement leurs immobilisations à faible rendement énergétique plus rapidement que leurs pairs il y a 30 ans. Comme les grands consommateurs du surcroît de production de matières premières d'aujourd'hui fonctionnent bien en deçà de leur niveau d'efficience optimale, la question est de savoir combien de temps elles mettront à adopter des technologies existantes plus efficientes une fois qu'elles auront déterminé que l'ajustement des prix relatifs sera durable.
On a beaucoup parlé de la contribution des facteurs financiers au boom des matières premières. Il semble bien que les bas taux d'intérêt à long terme et la faiblesse passée du dollar américain aient joué un certain rôle favorable à cet égard. L'incidence de la spéculation pure et simple et des placements indiciels est moins tranchée 10. Si la spéculation maintenait le cours au comptant d'un produit de base à un niveau nettement plus élevé que le point naturel d'intersection des courbes de l'offre et de la demande, les stocks devraient s'accumuler, l'incitation à accroître l'offre l'emportant sur le désir d'augmenter la consommation. Or, on observe peu de signes que ce soit le cas pour des produits de base aussi variés que le pétrole brut, le blé ou l'aluminium.
Pour l'heure, l'essentiel des données disponibles incite à croire que la hausse des prix de la plupart des matières premières est due aux facteurs fondamentaux que sont la vigueur de la demande et l'atonie de l'offre. On semble être en présence d'une modification soutenue des prix relatifs. Celle-ci n'implique pas pour autant des augmentations continuelles des prix. L'offre et la demande vont s'ajuster, notamment à mesure que les variations des prix seront répercutées. À court terme, le faible niveau des stocks laisse entrevoir une volatilité continue des prix, qui pourrait être amplifiée par la spéculation selon les tendances du marché.
Ce que le boom actuel signifie pour le Canada
Bien que, dans l'ensemble, les ressources naturelles ne représentent que 6 % de l'emploi direct et 12 % du PIB, ce secteur exerce une grande influence sur l'activité économique du Canada par le truchement de plusieurs canaux. Les ressources comptent pour environ le tiers de tous les investissements des entreprises et quelque 45 % de nos exportations. À ce titre, les avantages de l'actuel boom des matières premières se font sentir partout au pays, et non seulement dans les secteurs et les régions à forte intensité de ressources.
Par-dessus tout, grâce à la hausse des cours des produits de base, le Canada s'est enrichi comme nation. Depuis 2002, le renchérissement des matières premières a contribué à l'amélioration de 25 % de nos termes de l'échange, laquelle est à l'origine, à elle seule, d'approximativement les deux tiers de l'augmentation de 15 % du revenu disponible réel par habitant durant cette période. Ces gains au chapitre des revenus ont permis de ramener l'endettement des sociétés à son niveau le plus bas en un quart de siècle et aidé nos administrations publiques à dégager régulièrement des excédents budgétaires. La montée des prix des produits de base entraîne un accroissement des investissements, qui procure des avantages directs et indirects non seulement aux secteurs en question, mais aussi au secteur des services qui les soutient. En outre, de nombreux particuliers au Canada – ainsi que leurs fonds de pension – ont grandement profité de la plus-value de leurs propres placements dans ce type d'entreprises 11. Enfin, l'amélioration des termes de l'échange du pays s'est accompagnée d'une appréciation de notre monnaie qui a bénéficié à tout le monde en réduisant le coût des biens et des services importés. Grâce à cette pression à la baisse qui s'exerce sur les prix à l'importation, les machines et le matériel destinés à accroître la productivité – dont une bonne part est importée – sont maintenant moins chers pour toutes les entreprises, et pas seulement les producteurs de matières premières.
Ces avantages sont importants. Toutefois, les fortes variations soutenues des termes de l'échange – favorables ou défavorables – sont inévitablement sources de frictions et de bouleversements, en raison des importants déplacements de la production et de l'emploi entre divers secteurs de l'économie. En termes macroéconomiques, disons qu'elles déclenchent un transfert de ressources vers des branches d'activité plus rentables. Dans cette optique, toute décision de retarder l'ajustement équivaut à renoncer à l'accroissement potentiel de revenus que peut procurer la réaffectation des ressources. Il n'est jamais facile de procéder à un ajustement, mais cela est vital pour notre prospérité économique à long terme.
Malgré les difficultés qui lui sont inhérentes, le processus d'ajustement des dernières années s'est déroulé plus harmonieusement que lors des périodes précédentes. Le taux d'activité au Canada a atteint un sommet sans précédent et le taux de chômage est tombé à son niveau le plus bas des 33 dernières années. Bien que le secteur manufacturier ait perdu environ un emploi sur sept depuis 2002 – soit en tout quelque 335 000 emplois –, le nombre total d'emplois au Canada a augmenté de 1,6 million au cours de la même période. La qualité des emplois créés est également encourageante : plus de 80 % des nouveaux emplois se trouvent dans les secteurs où le salaire horaire moyen est plus élevé que dans le secteur manufacturier.
La capacité du Canada de tirer parti de la hausse des prix des matières premières (ou d'atténuer l'incidence d'une baisse) dépend au premier chef de l'aptitude de notre économie à continuer de s'adapter. Il est essentiel que les marchés des biens et du travail puissent faire preuve de flexibilité. L'Accord sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'oeuvre conclu entre l'Alberta et la Colombie-Britannique est un bon exemple du type de réaction nécessaire. Il est encourageant de constater que d'autres gouvernements envisagent d'adopter des mesures similaires de libéralisation des marchés.
Enseignements tirés du dernier boom
Avant de passer à des considérations liées à la politique monétaire, j'aimerais rappeler certaines des leçons apprises lors de la dernière montée soutenue des cours des matières premières. Pendant les années 1970, quelques-uns de ces cours ont connu des augmentations marquées, dont ceux du pétrole, qui ont quintuplé durant la décennie. Comme c'est le cas aujourd'hui, cet accroissement tenait notamment aux bas taux d'intérêt réels observés à l'échelle mondiale ainsi qu'à des facteurs d'offre, plus particulièrement à l'émergence de l'OPEP. La dépréciation du dollar américain, dont le cours flottait depuis peu, a aussi contribué à pousser les prix du pétrole à la hausse, de même que la persistance de l'inflation au sein des pays du G7, une fois que les attentes d'inflation ont commencé à se renforcer.
Les autorités de nombreux pays producteurs de pétrole ont réagi comme si les prix resteraient élevés indéfiniment. Elles ont accru leurs dépenses rapidement, décision qui s'est révélée catastrophique lorsque les cours se sont mis à redescendre et que d'importants déficits structurels se sont fait jour. Au Canada, les dépenses totales au titre des programmes fédéraux sont passées de 17 % du PIB au début des années 1970 à 21 % à peine dix ans plus tard. En 1985, le déficit structurel global des ordres de gouvernement a atteint un sommet, à 8 % du PIB potentiel. Nous devons garder vif à l'esprit le souvenir des efforts herculéens qui ont été nécessaires pour éliminer ce fardeau sur les générations futures.
En rétrospective, la gestion de la politique monétaire n'a guère été plus reluisante. Les pouvoirs publics de bien des pays ont commis l'erreur de supposer que les gains de productivité enregistrés au cours du quart de siècle précédent se poursuivraient. La hausse du chômage était considérée, à tort, comme une indication que les capacités excédentaires augmentaient. Cette interprétation ne tenait pas compte du fait que notre activité industrielle, voire le fonctionnement même de notre société, reposait en bonne partie sur l'hypothèse selon laquelle l'énergie serait perpétuellement peu coûteuse.
Les autorités monétaires de l'époque ont réagi au choc pétrolier en tolérant la hausse des cours. Jugeant que celle-ci était restrictive, elles ont assoupli la politique monétaire afin d'éviter un ralentissement de l'économie. L'absence d'un point d'ancrage nominal explicite pour la politique a facilité la prise de cette décision et en a nettement aggravé les conséquences. Comme nous le savons maintenant, l'offre excédentaire supposée était illusoire.
Les répercussions de ces erreurs touchant les politiques monétaire et budgétaire ont été lourdes. La récession de 1981-1982 à l'échelle mondiale en a été dans une large mesure l'aboutissement. Au Canada, le rythme d'accroissement de l'indice des prix à la consommation et le taux de chômage ont tous deux franchi la barre des 10 % au début des années 1980. Les attentes d'inflation se sont ressenties de cette situation : l'inflation a continué de présenter un danger réel et immédiat pendant des années.
Implications de la situation actuelle pour la politique monétaire
Cette expérience est pertinente au regard de la situation actuelle. Fondamentalement, elle souligne le fait que l'objectif premier de la politique monétaire devrait être de maintenir l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible. Si les chocs de prix des produits de base soulèvent des questions complexes, le fait de mettre constamment l'accent sur l'inflation clarifie les décisions sur le plan de la politique, facilite les communications et maximise la probabilité que les attentes demeurent bien ancrées. Une cible crédible en matière d'inflation aide à limiter le coût du capital et met en lumière les mouvements des prix relatifs, ce qui permet aux particuliers et aux entreprises de prendre des décisions d'investissement plus judicieuses.
Au Canada, nous avons élaboré un cadre de mise en oeuvre de la politique monétaire efficace fondé sur un régime de cibles d'inflation et soutenu par un taux de change flottant. Un tel régime a naturellement pour effet d'inciter les autorités monétaires à adopter une approche disciplinée et rigoureuse afin de comprendre les facteurs à l'origine de l'inflation. Toutefois, même avec le meilleur cadre, c'est l'exécution qui compte. Confrontés au choc de prix des produits de base le plus important de notre vie, nous ne pouvons pas relâcher notre vigilance. De fait, la période de volatilité exceptionnelle des prix des produits de base que nous traversons actuellement suscite plusieurs questions quant à la conduite de la politique monétaire.
Premièrement, le boom des matières premières souligne l'importance d'attentes d'inflation solidement ancrées. Les attentes des gens concernant l'inflation future influent bel et bien sur le niveau effectif de celle-ci. Par conséquent, il existe un risque que la forte visibilité des prix de l'énergie ne donne lieu à un renforcement des attentes d'inflation et à une généralisation des tentions inflationnistes. En revanche, si les gens reconnaissent qu'une hausse ponctuelle des prix des matières premières exerce un effet temporaire sur l'IPC global, les autres prix et les salaires ne seront pas touchés. Compte tenu des facteurs fondamentaux du côté de l'offre et de la demande dont j'ai parlé au début, nous avons des raisons de nous attendre à ce que les prix des matières premières soient fermes, mais pas à ce que leur croissance soit nécessairement soutenue, et encore moins à ce qu'elle s'accélère. En un mot, le fait que les cours des produits de base soient élevés ne signifie pas forcément qu'ils augmentent. En réalité, il est moins probable qu'ils s'accroissent encore étant donné les réactions qu'ils provoquent sur le plan de l'offre et de la demande.
L'engagement clair pris par la Banque du Canada à l'égard de l'atteinte de sa cible d'inflation ainsi que les succès qu'elle a constamment obtenus sur ce front par le passé ont eu pour effet de maintenir les attentes d'inflation bien arrimées. La Banque continuera de suivre l'évolution de ces attentes à l'aide d'une vaste gamme d'enquêtes et d'indicateurs de marché.
Deuxièmement, et corollairement, la Banque doit garder à l'esprit la possibilité que les mouvements à la hausse des cours des produits de base influent sur la relation entre l'inflation mesurée par l'IPC global et celle mesurée par l'indice de référence. L'expérience du Canada à ce chapitre a été que le taux d'accroissement de l'IPC global converge constamment vers celui de l'indice de référence avec le temps 12. Nous avons aussi observé que l'augmentation des prix des matières premières constitue l'une des formes les moins persistantes de l'inflation. Par conséquent, dans la poursuite de la cible de 2 % que nous avons fixée pour l'IPC global, nous nous servons de notre indice de référence comme guide pour la conduite de la politique monétaire, car, au fil des ans, il s'est avéré une bonne mesure de la tendance fondamentale de l'inflation et un meilleur indicateur prévisionnel des variations futures de l'IPC global que ce dernier. En pratique, l'adoption d'une cible d'inflation fondée sur l'IPC global exige un degré de confiance élevé quant à la trajectoire future des prix des produits de base.
La relation entre l'inflation mesurée par l'indice de référence et celle mesurée par l'IPC global est plus marquée au Canada que dans d'autres pays, grâce au succès obtenu dans l'ancrage des attentes d'inflation autour de 2 % et à cause du fait que, notre pays étant un grand exportateur de matières premières, les mouvements de notre dollar attribuables aux changements des cours des produits de base ont généralement un effet compensatoire qui réduit les prix de l'ensemble des importations en dollars canadiens, y compris ceux des produits de base. Par exemple, l'appréciation passée de notre monnaie explique en partie pourquoi la hausse des prix des aliments a été nettement plus faible au Canada que dans le reste des pays développés 13. Globalement, la progression de l'indice des prix des produits de base (IPPB) de la Banque du Canada a été deux fois moins importante en dollars canadiens qu'elle ne l'a été en dollars américains depuis 2002.
La Banque continuera à suivre de près la stabilité de la relation entre l'inflation mesurée par l'indice de référence et celle mesurée par l'IPC global, et aussi à surveiller tout un éventail d'indicateurs afin d'évaluer la tendance fondamentale de l'inflation. Ce faisant, elle doit constamment faire preuve d'un grand discernement et ne pas s'en remettre à une seule mesure.
Troisièmement, la Banque doit prendre en compte l'incidence possible de la hausse des prix des matières premières sur la croissance potentielle au Canada. Elle déploie beaucoup d'efforts pour tenter de comprendre les facteurs qui façonnent la production potentielle et ses composantes. Grâce à l'accent qui est mis sur la production potentielle, nous devrions moins courir le risque de mal interpréter les perspectives d'évolution de la productivité et de la croissance potentielle face à des variations marquées des prix relatifs et, partant, éviter l'une des principales erreurs qui ont été commises dans les années 1970 au chapitre de la politique monétaire. Plus particulièrement, nous devons considérer la possibilité que la conjugaison de l'intensité énergétique relativement forte du Canada 14, de la production de ressources plus difficiles à exploiter qu'encouragent les prix élevés ainsi que des déplacements importants de ressources productives au sein de notre économie pourrait se traduire temporairement par une baisse de la productivité et de la croissance potentielle. Il existe bien sûr des forces faisant contrepoids qui pourraient faire augmenter la croissance potentielle, notamment des incitations importantes à engager des dépenses en capital découlant de l'appréciation du dollar et des tensions sur le marché du travail. Nous examinerons ces facteurs avec soin et ferons part de notre nouvelle évaluation de la situation dans la livraison d'octobre du Rapport sur la politique monétaire.
Quatrièmement, le rythme et la nature des récents mouvements des cours des matières premières ont des conséquences positives notables pour la demande. Comme je l'ai mentionné plus tôt, l'amélioration prononcée de nos termes de l'échange suppose une forte progression du revenu réel et de la richesse au Canada, laquelle alimente la demande intérieure, surtout celle de produits et services non exportés, et contrebalance à point nommé la faiblesse de la demande extérieure émanant de notre principal partenaire commercial, les États-Unis.
Enfin, nous avons appris une leçon essentielle des cycles de croissance (et de contraction) passés des cours des matières premières : la valeur d'un taux de change flexible en tant qu'amortisseur. Le régime de changes flottants est un élément clé de notre cadre de mise en oeuvre de la politique monétaire grâce auquel le Canada peut mener une politique monétaire indépendante, adaptée à sa conjoncture propre. Entendons-nous bien : quels que soient l'évolution des prix des matières premières, en particulier, ou les mouvements des prix à l'échelle mondiale, de façon plus générale, un taux de change flottant signifie que nous pouvons continuer à atteindre la cible d'inflation que nous nous sommes fixée.
Les variations du taux de change nous signalent qu'il convient de déplacer des ressources vers les secteurs où la demande est la plus vigoureuse. Pendant la crise asiatique à la fin des années 1990, les prix des matières premières ont dégringolé. La dépréciation du dollar canadien qui en a résulté a contribué au transfert important mais nécessaire de ressources du secteur des ressources naturelles vers d'autres, comme le secteur manufacturier, dont la position concurrentielle s'était améliorée. Ces dernières années, le processus s'est inversé. Il importe de se rappeler que des changements au titre des termes de l'échange donneront lieu à des ajustements. La seule question qui se pose, c'est de savoir comment ils s'opéreront. Notre taux de change flottant facilite les ajustements appropriés sans imposer de variations pénibles du niveau global des salaires, de la production et des prix.
Conclusion : la conjoncture actuelle
En guise de conclusion, permettez-moi de dire quelques mots sur l'orientation actuelle de la politique monétaire. En plus d'être confrontée à une amélioration considérable des termes de l'échange attribuable aux prix des matières premières, l'économie canadienne est frappée par deux chocs importants et connexes : le ralentissement marqué et prolongé de l'activité aux États-Unis et les graves bouleversements sur les marchés financiers. Le défi qui se pose pour la Banque est d'évaluer l'ensemble des implications de ces trois forces et d'autres facteurs pour l'équilibre entre l'offre et la demande globales au sein de l'économie canadienne ainsi que les perspectives d'évolution de l'inflation au pays. Face à la gravité et à la persistance des chocs exerçant des pressions à la baisse, la Banque a réduit son taux directeur de 150 points de base au total depuis décembre. Dans la livraison d'avril du Rapport sur la politique monétaire, nous avons analysé ces forces en détail et présenté un scénario de référence pour l'économie qui tenait compte des risques à la hausse et à la baisse entourant l'inflation. Ces risques ont été jugés équilibrés. Nous avons mentionné à cette occasion qu'il « faudra probablement encore augmenter le degré de détente monétaire » mais que le moment où « toute nouvelle détente monétaire sera opérée dépendra de l'évolution de l'économie mondiale et de la demande intérieure ainsi que de son incidence sur l'inflation au Canada ».
Depuis, certains événements liés aux attentes que nous avions exposées en avril se sont produits au sein de l'économie mondiale et ont amené la Banque à décider le 10 juin de maintenir le taux cible du financement à un jour à 3 %. Les cours des matières premières, mesurés par l'IPPB, ont grimpé de 10 % entre avril et juin, et les prix des contrats à terme sur le pétrole se sont vivement accrus, ce qui soutiendra la demande intérieure. D'autres facteurs ont été pris en compte dans la décision de la Banque, notamment la croissance mondiale plus vigoureuse que prévu ainsi que la montée de l'inflation à l'échelle du globe, laquelle a accentué le risque que les coûts des importations canadiennes soient plus élevés qu'anticipé. En outre, de nombreux risques à la baisse pesant sur l'inflation se sont atténués. Par exemple, les rabais consentis sur les voitures et les livres, après que le dollar canadien eut atteint la parité avec son pendant américain, ne semblent pas être appliqués à beaucoup d'autres produits. Qui plus est, comme je l'ai dit précédemment, le risque que la croissance potentielle soit plus faible qu'escompté actuellement persiste. Même si les conditions financières demeurent tendues dans le monde, leur évolution a été conforme aux attentes. Au Canada, les conditions du crédit sont plus favorables qu'ailleurs, comme en témoigne la décision de la Banque, en mai, d'être la première banque centrale des pays du G7 à commencer à retirer les liquidités extraordinaires qu'elle avait octroyées aux marchés.
Par conséquent, à la suite des événements survenus depuis avril, la résultante des risques entourant la projection de la Banque au sujet de l'inflation au Canada publiée dans la livraison d'avril du Rapport sur la politique monétaire s'est inscrite légèrement en hausse. Face à l'évolution de l'économie mondiale et de la demande intérieure, la Banque a modifié son opinion selon laquelle il « faudra probablement encore augmenter le degré de détente monétaire ». Dans ce contexte, l'institution juge donc à présent que le degré de détente monétaire en place est approprié pour restaurer l'équilibre entre l'offre et la demande globales et atteindre la cible d'inflation de 2 %. Des risques importants, tant à la baisse qu'à la hausse, continuent de peser sur l'inflation, mais on considère maintenant qu'ils sont équilibrés.
La Banque continuera de suivre de près l'évolution de la situation économique au pays et à l'étranger afin d'évaluer ses implications pour l'offre et la demande globales et les perspectives en matière d'inflation. Une chose est sûre : à la longue, la résultante des risques changera encore. La politique monétaire sera modifiée en conséquence tout en demeurant toujours axée sur l'atteinte de la cible d'inflation. C'est de cette manière que la Banque du Canada peut le mieux aider les Canadiens et les Canadiennes à tirer parti du boom des matières premières que nous connaissons actuellement et faire en sorte que le célèbre autocollant apposé sur les voitures puisse rester un vestige du passé.