Principes à l'appui de marchés liquides
Au cours de la dernière année, les participants aux marchés financiers du secteur privé et les pouvoirs publics ont été préoccupés comme jamais auparavant par la question de la liquidité. Tout au long de la période de turbulence sur les marchés financiers, la gestion de la liquidité par les agents du secteur privé est devenue extrêmement importante. Parallèlement, les décideurs ont réexaminé leurs rôles et leurs responsabilités en matière d'approvisionnement en liquidités ainsi que les méthodes qu'ils utilisent à cette fin.
La Banque du Canada ne fait certainement pas exception. Les événements récents sur les marchés financiers nous ont incités à nous demander pourquoi, comment et à qui nous fournissons des liquidités. Historiquement, les discussions portant sur les banques centrales et la liquidité se sont articulées autour du rôle traditionnel de prêteur de dernier ressort joué par celles-ci (consistant à octroyer des liquidités à des institutions de dépôt toujours solvables, en quantité suffisante pour leur permettre de poursuivre leurs opérations). Toutefois, comme la situation des derniers mois l'a fait ressortir très clairement, les décideurs ont aussi intérêt à s'assurer que les principaux marchés disposent de suffisamment de liquidités. Dans mon discours aujourd'hui, j'exposerai certaines des réflexions de la Banque du Canada sur les principes à l'appui de marchés liquides 1.
Qu'est-ce que la liquidité et pourquoi les banques centrales s'en soucient-elles?
D'entrée de jeu, je crois qu'il serait utile de définir ce que j'entends par « liquidité » dans le cadre du présent discours.
La liquidité revêt différentes formes au sein du système financier. Les banquiers centraux se soucient de la liquidité de l'ensemble du système, ou liquidité macroéconomique, étant donné sa relation avec les taux d'intérêt, les conditions du crédit et les pressions inflationnistes futures. Les investisseurs sont préoccupés par la liquidité du marché, qui exprime la facilité avec laquelle ils peuvent acheter ou vendre un actif financier sans faire varier son prix de façon marquée. Les institutions financières s'inquiètent de la liquidité du bilan, qui fait référence essentiellement aux actifs facilement convertibles en espèces figurant à leur bilan et dont elles peuvent se servir pour régler des obligations de paiement à court préavis. Par ailleurs, elles se préoccupent de la liquidité de financement, qui désigne la faculté qu'elles ont de se procurer des fonds sur les marchés monétaires moyennant des primes raisonnables.
Pour tous ces concepts, la liquidité représente la capacité de conclure des opérations sur des actifs précis à un prix prévisible 2. Par exemple, un courtier veut s'assurer qu'il peut effectuer des opérations sur titres à un prix comparable à celui qu'il voit à l'écran. Aux fins du présent discours, nous pouvons avancer que, lorsque cette condition est satisfaite, le niveau de liquidité des marchés est approprié.
Cela est important, parce que la liquidité des marchés favorise l'efficience économique. Dans la plupart des économies, les marchés financiers constituent les canaux par lesquels les ressources économiques limitées sont allouées aux fins les plus productives et les risques sont répartis parmi les agents qui sont les plus désireux de les assumer. L'efficience du système financier est essentielle pour que les investisseurs puissent obtenir les meilleurs taux de rendement (corrigés du risque) sur le capital investi et que les emprunteurs réduisent au minimum les coûts de financement. Étant donné que le dysfonctionnement des marchés nuit à l'efficience du système, les décideurs ont tout intérêt à promouvoir un fonctionnement efficace des marchés.
Une banque centrale vise encore plus l'efficacité et la liquidité des marchés financiers à cause du rôle joué par ceux-ci dans la transmission de la politique monétaire. Les variations de notre taux directeur déclenchent une réaction en chaîne, qui commence par les mouvements d'une série de prix sur les marchés financiers. Un mauvais fonctionnement des marchés peut rendre plus difficile la prévision des effets de nos mesures de politique monétaire, ce qui complique notre tâche. Il importe de garder à l'esprit que les opérations menées par la banque centrale afin d'assurer un apport en liquidités au sein de marchés précis ou d'institutions financières particulières ne représentent pas un changement d'orientation de sa politique monétaire. Ces opérations sont liées à la liquidité macroéconomique. Elles ont plutôt pour but de répondre aux préoccupations concernant l'instabilité financière.
Je tiens à insister sur ce point. Lorsque la Banque du Canada mène des opérations afin d'injecter des liquidités (comme des prises en pension à plus d'un jour), elle ne fait que modifier la distribution des liquidités au sein du système financier en changeant la composition de son bilan. Lorsqu'elle conclut des prises en pension à plus d'un jour, elle cherche à détenir moins de bons du Trésor 3, ce qui veut dire que le secteur privé en détiendra davantage 4. Elle injecte des liquidités là où le système les a générées au départ, essentiellement en échangeant des actifs moins liquides pour d'autres actifs qui le sont plus. En outre, quand la Banque du Canada effectue des opérations de refinancement, comme elle l'a fait récemment, le volume de liquidités procuré demeure constant.
Le niveau global de liquidités sur les marchés financiers est déterminé principalement par les participants eux-mêmes. Normalement, les agents économiques du secteur privé fournissent suffisamment de liquidités pour que la banque centrale n'ait pas à en injecter. Les institutions financières créent de la liquidité en achetant et en vendant des actifs sur les marchés où elles se financent elles-mêmes. Le système financier est liquide parce que les institutions s'empruntent régulièrement des fonds mutuellement et qu'elles se vendent et s'achètent constamment du papier à court terme. Il arrive, cependant, que la liquidité s'évapore parce que la confiance en la capacité des agents du secteur privé de rester sur le marché est ébranlée. Lorsque le processus régulier d'octroi de prêts et d'exécution de transactions ralentit ou cesse, le manque de liquidité fait en sorte que les institutions sont incapables d'effectuer des opérations sur actifs à un prix prévisible et à un coût minimal, et les marchés financiers sont soumis à des tensions. En pareils cas, une banque centrale peut aider à restaurer la liquidité en fournissant directement ou indirectement des actifs liquides en échange d'actifs non liquides afin de rétablir la confiance dans la capacité du secteur privé de produire des liquidités.
Qu'est-il arrivé à la liquidité du marché depuis le mois d'août?
Un examen de l'évolution récente permet d'apporter des précisions sur les principes liés à l'apport de liquidités.
La situation actuelle sur les marchés de la titrisation est un bon exemple du rôle crucial joué par les problèmes d'information dans les défaillances des marchés, et de la façon dont la liquidité, ou un choc de liquidité, peut créer des effets en cascade au sein de ceux ci.
Les événements survenus l'été dernier ont représenté un choc grave pour les marchés. Plus particulièrement, la réalisation de l'ampleur potentielle des pertes associées aux prêts hypothécaires à risque ainsi que l'érosion de la confiance dans les produits structurés et les agences de notation du crédit qu'elle a engendrée ont entraîné de l'incertitude et, par le fait même, une perte de confiance à l'égard de la qualité du crédit des contreparties. Cette incertitude a persisté en raison de l'asymétrie extrême de l'information entre les acteurs du marché, qui a entravé la capacité des teneurs de marché d'effectuer des transactions en toute confiance et, partant, d'injecter des liquidités.
Au moment où l'offre de liquidités diminuait, la demande de liquidités de la part des institutions financières s'accroissait de façon notable, et ce, pour deux raisons. Premièrement, la réintermédiation d'actifs et de créances éventuelles comptabilisés hors bilan augmentait, et continue de le faire, à l'instar de la taille des bilans des banques. Deuxièmement, la préférence des banques pour les liquidités est devenue plus marquée à cause de l'incertitude entourant ces types de titres. De plus, le nombre d'acteurs du marché potentiels intéressés par ces titres a baissé, car des investisseurs clés ont soit disparu – comme les véhicules d'émission de papier commercial adossé à des actifs (PCAA) et de produits d'investissement structurés – ou se sont tournés vers des valeurs refuges (comme les fonds du marché monétaire). Cette situation a entraîné un choc de liquidité, ce qui a amené les écarts entre le taux d'intérêt interbancaire et les taux attendus du financement à un jour à un niveau nettement plus élevé (allant parfois jusqu'à 90 points de base dans le cas de certaines monnaies) et sensiblement plus volatils que par le passé. Ce creusement des écarts de taux tient à une hausse de la prime de risque de défaillance – largement attribuable à une intensification des risques de contrepartie réels et perçus – et à une augmentation de la prime de risque de liquidité – due en grande partie à un accroissement de la demande de liquidités de la part des banques, lui-même imputable au volume plus élevé d'actifs faisant l'objet d'une réintermédiation et à une diminution de l'offre de financement par les banques. L'ampleur du processus de réintermédiation pourrait importer. Par exemple, au Canada, où le recours à ce processus est moins nécessaire, les écarts relatifs aux taux interbancaires ont beaucoup moins augmenté que dans d'autres pays.
Étant donné que notre système actuel repose sur des transactions effectuées entre des institutions financières interreliées, un choc de liquidité peut se répercuter rapidement dans le système. Les inquiétudes entourant la solvabilité d'une institution peuvent se traduire par une accumulation préventive de liquidités et un dysfonctionnement des marchés. Cette situation réduit le nombre de participants potentiels disposés à effectuer des opérations sur un marché, ce qui nuit au processus de découverte des prix. Par conséquent, il devient moins probable que les marchés établiront le prix des actifs à leur valeur fondamentale, compromettant ainsi l'allocation efficiente des ressources et la répartition du risque, ce qui représente un coût potentiellement important pour l'économie. Le rôle de la banque centrale en pareilles circonstances a été décrit de manière adéquate il y a plus d'un siècle par Walter Bagehot dans Lombard Street : « la théorie suggère, et l'expérience prouve, qu'au moment d'une panique, les détenteurs de la réserve suprême de banque [...] doivent faire des avances promptes, efficaces, faciles, à quiconque se présente muni de bonnes garanties » 5. Il convient de noter que Bagehot n'a pas fait de distinction entre les institutions de dépôt et les teneurs de marché; il a simplement précisé que les emprunteurs devaient être munis de « bonnes garanties ». Toutefois, l'idée que les banques centrales devraient appuyer le fonctionnement d'un éventail plus large de marchés au moyen d'une injection directe de liquidités est relativement nouvelle. Auparavant, on croyait que les banques centrales pouvaient soutenir les marchés de façon adéquate en distribuant des liquidités par l'intermédiaire des banques, en modifiant le niveau de liquidités au sein des systèmes de paiement ou en changeant l'orientation de la politique monétaire, et que ces liquidités circuleraient librement dans le système financier.
Les événements de l'été dernier ont remis en question ce consensus. Le système financier sera plus stable, et les effets des mesures de politique monétaire, plus prévisibles, si la banque centrale injecte directement des liquidités dans un éventail plus large de marchés lorsque cela se justifie. Un tel soutien, auquel on ne devrait s'attendre que dans des circonstances exceptionnelles, pourrait supposer d'élargir la gamme des échéances, des garanties et des contreparties dans le cadre des opérations menées par la banque centrale au-delà de ce qui est habituellement nécessaire pour les mesures de politique monétaire 6.
Considérations liées à la décision de la banque centrale d'intervenir
Permettez-moi de préciser ce que j'entends par l'expression « lorsque cela se justifie » que je viens d'utiliser. Comment une banque centrale peut-elle déterminer, avec un tant soit peu de confiance, le moment où des interventions de sa part visant à soutenir la liquidité du marché s'imposent? À la Banque du Canada, nous nous sommes penchés sur les principes qui pourraient régir toute facilité que nous pourrions offrir.
Une banque centrale peut vouloir porter plusieurs jugements avant de décider de prêter à des teneurs de marché. Plus particulièrement, elle devrait se poser quatre questions : Premièrement, le dysfonctionnement du marché est-il temporaire ou permanent? Deuxièmement, les instruments à sa disposition seront-ils efficaces? Troisièmement, quels avantages nets pourront être tirés de ses interventions? Quatrièmement, quels sont les coûts probables?
En pleine turbulence financière, il est difficile de déterminer si une situation d'illiquidité (un dysfonctionnement du marché) est temporaire ou permanente. Pour le faire, il est utile de se reporter au théorème de Arrow-Debreu portant sur des marchés complets 7. En réalité, des marchés complets n'existent pas à cause des coûts d'information et du fait que tous les agents économiques ne participent pas à tous les marchés. La banque centrale doit décider si son injection de liquidités est un pont – un financement temporaire qu'elle accorde en attendant que les asymétries d'information soient corrigées et que les participants potentiels retournent sur le marché – ou s'il s'agit d'un quai, parce que le dysfonctionnement est permanent. Pour établir cette distinction, examinons de nouveau trois aspects de l'évolution récente.
Premièrement, avant que ne survienne la turbulence qui touche actuellement les marchés, bon nombre d'investisseurs se fiaient aux analyses de crédit concernant les produits structurés effectuées par les agences de notation, une information obtenue à relativement peu de frais. Mais les perturbations financières ont montré que le jugement de ces agences n'était pas toujours sûr. Les participants au marché s'en remettent donc maintenant davantage à leurs propres analyses, ce qui entraîne une hausse considérable des coûts d'investissement dans les produits structurés. Pour ce qui est des agences de notation, il faudra un certain temps avant qu'elles ne regagnent leur crédibilité.
Deuxièmement, les investisseurs ont découvert qu'il coûtait très cher de réunir des renseignements de source indépendante sur des produits non standardisés afin de mener, à tout le moins, une analyse de risque servant à vérifier les opinions émises par les agences de notation. Voilà un exemple où les marchés devraient eux-mêmes être en mesure d'établir des normes pour réduire au minimum les coûts d'information. En attendant, la banque centrale ou un organisme de réglementation pourrait aider à faire diminuer ces coûts. Pour sa part, la Banque du Canada a adopté des exigences élevées en matière d'information financière applicable au papier commercial adossé à des actifs qu'elle acceptera en garantie dans le cadre de son mécanisme permanent d'octroi de liquidités. Cette mesure pourrait inciter les acteurs du marché à relever leurs propres normes à cet égard. Mais c'est à eux que reviendra cette décision au bout du compte.
Troisièmement, les problèmes récents ont fait naître des inquiétudes quant à la solidité financière des contreparties, découlant initialement de l'incertitude liée à l'exposition aux prêts hypothécaires américains à risque et, plus tard, aux produits structurés en général. Ces inquiétudes, bien que sérieuses, devraient être temporaires, le temps que les exigences en matière d'information fassent leur effet. C'est pourquoi il est si important de mettre en œuvre dès maintenant les pratiques optimales relatives à l'information entérinées le mois dernier par les ministres des Finances et les gouverneurs de banque centrale des pays du G7. Il s'agit là d'une priorité au Canada.
Une banque centrale peut procurer des liquidités aux institutions et marchés financiers. Toutefois, elle ne peut pas créer un marché si le secteur privé ne manifeste pas d'intérêt à cet égard, ni modifier la valeur fondamentale d'un titre. Par conséquent, une banque centrale en présence d'une défaillance du marché devrait en cerner la nature exacte et intervenir lorsqu'elle juge qu'un choc a faussé la prime de risque de liquidité incorporée dans le prix d'un titre.
Le coût potentiel le plus important d'une intervention est l'aléa moral, en l'occurrence le risque que les mesures prises par une banque centrale puissent entériner ou encourager des comportements qui augmenteraient la probabilité ou la gravité d'une future crise. Dans le contexte actuel, on pourrait craindre que les acteurs du marché puissent modifier leur comportement sur la foi d'une impression, erronée, que les banques centrales ne laisseraient jamais une contrepartie faire défaut. On pourrait aussi s'inquiéter de la possibilité que, dans l'avenir, les banques se soucieraient moins de la liquidité du marché, supposant que les banques centrales interviendraient toujours pour injecter des liquidités dans les marchés, quels qu'ils soient, même dans le cas d'une perturbation très mineure. Des distorsions sur les marchés causées par l'octroi de prêts ou l'éviction de contreparties du secteur privé pourraient aussi entraîner des coûts. La recommandation du Forum sur la stabilité financière selon laquelle les banques centrales auraient un droit de regard sur les plans d'urgence des institutions financières en matière de gestion des liquidités est susceptible de limiter en partie cet aléa moral. D'autres mesures d'atténuation se trouvent dans les principes qui sous-tendent la conduite de telles activités. Je reviendrai sur ce point dans un moment.
Mais avant, j'aimerais aborder une dernière question : comment une banque centrale sait-elle quand une intervention a remporté suffisamment de succès pour envisager d'y mettre un terme. Le succès d'une intervention ne devrait pas nécessairement être évalué en fonction d'un retour de certains écarts de taux à des niveaux prédéterminés, car les facteurs fondamentaux auront vraisemblablement évolué durant le choc à l'origine de la turbulence et à cause de celui-ci. Pour juger de l'efficacité de l'intervention, il faudrait plutôt se fier à des indices d'un meilleur fonctionnement des marchés, tels qu'une hausse des volumes, un rétrécissement des écarts acheteur-vendeur et une diminution des primes de risque de liquidité, même si dans certains cas on n'observe pas de recul de l'ensemble des primes de risque. L'absence de volatilité des écarts à la fin de chaque trimestre serait une autre indication encourageante d'amélioration des marchés. Au Canada, les écarts de taux qui nous renseignent sur les coûts de financement pour les banques (comme l'écart entre le CDOR à trois mois et le taux attendu du financement à un jour mesuré par le taux des swaps à trois mois indexés sur le taux à un jour) ont baissé considérablement au cours des dernières semaines et se situent nettement en deçà des écarts de taux équivalents dans certaines autres monnaies. Les résultats des adjudications de prises en pension à plus d'un jour auxquelles la Banque a procédé ont généralement permis d'observer, au fil du temps, un amenuisement de l'écart entre le taux de rendement moyen et le taux attendu du financement à un jour. De plus, la gamme des garanties offertes ne montre aucun signe d'intensification des pressions exercées sur les liquidités.
Principes directeurs des interventions
Permettez-moi maintenant d'exposer dans le détail les cinq principes qui, croyons-nous, devraient guider les interventions visant à soutenir la liquidité des marchés.
Premièrement, l'octroi de prêts destiné à favoriser la liquidité des marchés devrait atténuer l'aléa moral. Au nombre des mesures figureraient une intervention limitée et sélective ainsi que la promotion d'une surveillance judicieuse de la gestion des risques de liquidité.
Deuxièmement, les interventions devraient être progressives. Leur intensité devrait être dosée en fonction de la gravité du problème, de manière à éviter des réactions exagérées qui pourraient faire grimper inutilement les coûts de l'intervention et peut-être entraîner une éviction des agents privés.
Troisièmement, les interventions devraient être ciblées. Les banques centrales devraient tenter de limiter uniquement les défaillances du marché qu'elles sont le mieux à même de corriger. Elles devraient tout particulièrement concentrer leurs efforts sur les perturbations touchant la liquidité qui, de par leur nature, ne sont pas permanentes.
Quatrièmement, les moyens d'intervention devraient être bien pensés, c'est-à-dire adaptés à la situation à régler. J'entends par là qu'il est approprié de consentir des prêts à un taux dissuasif à certaines institutions lorsque celles-ci sont aux prises avec des problèmes de liquidité qui leur sont propres. Par contre, les problèmes de liquidité liés aux marchés devraient être résolus par l'intermédiaire d'opérations conclues à des prix concurrentiels sur le marché. Finalement, lorsqu'une pénurie touche une certaine catégorie de titres, la banque centrale devrait accepter ces titres en garantie dans le cadre de transactions qu'elle mène sur le marché 8.
Outre les instruments traditionnels à leur disposition, tels que ceux liés au rôle de prêteur de dernier ressort, les banques centrales ont vraisemblablement besoin d'un éventail de mécanismes. Chacun de ces mécanismes possède des caractéristiques distinctes qui conviennent à différentes situations. Les prises en pension à plus d'un jour pourraient être proposées à tout participant au marché financier ayant des titres négociables à offrir. Ce type d'opération serait des plus utiles lorsque les primes de liquidité seraient faussées sur les marchés monétaires en raison de problèmes de liquidité généralisés touchant une certaine catégorie d'actifs ou d'échéances. Les prêts de titres à plus d'un jour feraient augmenter l'offre de titres de grande qualité, qui pourraient être utilisés en nantissement dans les périodes où des garanties de cette nature se font rares. Ils pourraient aussi permettre d'échanger directement des titres moins liquides contre des titres plus liquides, réduisant ainsi l'incitation à accumuler des liquidités à des fins de précaution. Les facilités de prêts à plus d'un jour pourraient s'avérer particulièrement utiles dans les cas où les primes de liquidité seraient faussées sur les marchés monétaires parce que plusieurs institutions financières éprouveraient des problèmes de liquidité.
Enfin, et c'est là le cinquième principe, les interventions ne devraient pas engendrer davantage de distorsions sur les marchés. Les opérations devraient, dans la mesure du possible, être effectuées aux prix fixés par le marché et à des conditions conformes avec celles du marché. La banque centrale serait alors moins susceptible de nuire à une reprise des marchés. Ce point mérite que je m'y attarde.
Dans la plupart des cas, les prix des liquidités injectées par la banque centrale devraient être établis dans le cadre d'une adjudication où ils sont fixés de manière concurrentielle, de sorte que les marchés de financement des actifs concernés ne subiraient normalement pas de distorsions. Un mécanisme d'adjudication bien pensé peut aider les institutions à éviter tout discrédit associé à l'obtention de liquidités d'une banque centrale, et réduit au minimum la confusion possible au sujet de l'octroi de prêts à des taux différents du taux officiel d'escompte. Il peut en outre donner à une banque centrale la souplesse nécessaire pour adapter l'apport de liquidités en fonction de besoins précis. Les adjudications peuvent également fournir à la banque centrale de précieuses informations sur la santé financière d'un marché ou d'un participant en particulier. Enfin, en offrant un mécanisme multipartite de détermination des prix des actifs, elles peuvent contribuer à faire redémarrer des marchés qui ont cessé de fonctionner 9.
La recherche de symétrie
Avant de terminer, j'aimerais soulever un dernier point. Les discussions entourant les banques centrales et la liquidité dans les marchés découlent principalement des circonstances actuelles, qui font que les banques et les teneurs de marché n'arrivent pas, seuls, à générer suffisamment de liquidités. Mais cette façon de voir ne présente qu'un côté de la médaille. L'une des raisons pour lesquelles la politique monétaire de la Banque du Canada réussit à ancrer les attentes d'inflation est qu'elle est mise en œuvre de manière symétrique. Nos interventions sont motivées autant par le risque que l'inflation glisse sous la cible visée que par la possibilité qu'elle la dépasse. De fait, nous avons décidé d'abaisser notre taux directeur à quelques reprises récemment, parce que la trajectoire future du taux d'inflation semblait vouloir se maintenir sous la cible de 2 %.
L'adoption d'une approche symétrique est-elle également envisageable en matière de liquidité? Comme je l'ai mentionné plus tôt, un manque de liquidités peut nuire à une affectation des ressources et à une répartition des risques de manière efficiente ainsi que compliquer la conduite de la politique monétaire. Il est également vrai qu'une surabondance de liquidités – ou, pour être plus précis, des modalités de financement souples pour les actifs financiers eux-mêmes – peut avoir des effets similaires. Logiquement, si une banque centrale est préoccupée au point où elle accorde des prêts à des teneurs de marché en période de rareté des liquidités, pourquoi ne souscrirait-elle pas des emprunts auprès de ces mêmes institutions en période de surabondance, en supposant là encore que l'on pourrait cerner avec certitude de telles périodes?
Malheureusement, les instruments servant à injecter des liquidités comme ceux que j'ai décrits aujourd'hui ne se prêtent pas bien à ce genre de tâche. Les banques centrales sont des fournisseurs de liquidités au sein de l'économie, et elles peuvent en procurer aisément en acceptant que les contreparties lui donnent des actifs moins liquides en échange. De façon générale, les banques centrales ne sont pas organisées pour réaliser des opérations en sens inverse; c'est-à-dire qu'elles ne disposent pas d'une source immédiatement disponible d'actifs illiquides qui peuvent servir à absorber les liquidités excédentaires détenues par les banques ou les teneurs de marché. Qui plus est, dans une période de flambée de l'activité sur les marchés, elles peuvent avoir une influence limitée sur la confiance des acteurs du marché financier.
Le principe tient quand même. Les banques centrales et d'autres autorités devraient porter attention aux distorsions et aux inefficiences découlant autant de modalités de financement exagérément souples, d'une croissance rapide du crédit et d'un excès de confiance concernant la liquidité future du marché que d'une pénurie de liquidités. Comment pouvons-nous alors en arriver à une approche symétrique? À mon avis, il est utile que les décideurs publics envisagent de promouvoir une réglementation macroprudentielle qui pourrait aider à restreindre la création procyclique de liquidités par les banques et les teneurs de marché « lorsque cela se justifie », un concept qui, je tiens à le préciser, devra également faire l'objet d'une validation approfondie. Il faudrait en outre décider où cet organisme de réglementation serait implanté et comment son action serait coordonnée entre les administrations, ce qui viendrait compliquer la donne. Malgré ces difficultés, il s'agit là d'un sujet sérieux qui mérite que l'on s'y attarde davantage.
Conclusion
La turbulence qui secoue les marchés depuis l'été passé s'est atténuée ces dernières semaines. Ces progrès, et peut-être le début simultané de la saison de baseball, ont amené certains à se demander si nous en sommes à la septième, huitième ou neuvième manche. Pour ma part, je ne me risquerai pas à être aussi précis, mais je ferais remarquer que les matchs de baseball comportent souvent des manches supplémentaires et que, de toute façon, il y aura toujours un autre match à jouer ou une autre saison à venir. Il est important de ne pas nous laisser emporter par un excès de confiance qui nous ferait oublier de tirer les leçons appropriées de ces événements et d'agir en conséquence, une fois que la partie reprendra.