Les turbulences des marchés financiers et les moyens d'y réagir

Disponible en format(s) : PDF

Nombreux sont ceux parmi nous qui, depuis l'été dernier, sont préoccupés par la turbulence qui persiste sur les marchés financiers. Les difficultés, qui ont d'abord touché les titres liés aux prêts hypothécaires américains à risque, se sont propagées à un large éventail d'actifs structurés, aux marchés de crédit traditionnels et, dans une moindre mesure, aux actions. En conséquence, certaines des plus grandes institutions financières du monde ont essuyé de lourdes pertes, le coût des emprunts a augmenté et la disponibilité du crédit a diminué. Plus de sept mois plus tard, la fin de ces problèmes n'est toujours pas en vue. Il est néanmoins possible d'affirmer que nous voyons la fin du début de cette période d'agitation, non pas en raison d'une quelconque accalmie au sein des marchés – en fait, les tensions qui pèsent sur les marchés financiers se sont récemment intensifiées –, mais plutôt parce que nous entrons dans une phase nouvelle où les décideurs publics et les opérateurs du marché comprennent mieux non seulement les lacunes du système financier actuel, mais aussi ce qu'ils doivent faire pour y remédier.

Ces mesures ont de l'importance pour toutes les économies. Même si la plupart des pratiques qui ont contribué à la crise ont eu cours outre-frontière et que nos institutions financières affichent une relative bonne santé, le Canada n'est pas à l'abri de ce qui se passe dans le monde. Certaines de nos institutions ont subi des pertes et notre économie commence à ressentir les effets de la détérioration des conditions financières internationales. En outre, à l'avenir, les marchés nationaux seront jugés en fonction de nouvelles normes de liquidité et de transparence, et de l'intégrité accrue qui découle d'une compatibilité plus grande des motivations. Nos institutions devront faire face à la concurrence dans ce contexte.

Aujourd'hui, j'aimerais aborder trois des facteurs à l'origine de la turbulence sur les marchés puis esquisser les interventions requises en priorité de la part des instances officielles et des acteurs du marché. Cette liste est loin d'être exhaustive, mais j'ai retenu ces trois facteurs d'une part parce qu'ils comptent parmi les plus importants de ceux en cause et, d'autre part, parce que des efforts à ces égards sont déjà en branle dans les secteurs public et privé.

Les causes de la turbulence sur les marchés

Les événements récents sont le résultat d'une réévaluation à la hausse des risques qui aurait dû se produire depuis longtemps, que beaucoup avaient annoncée et que certains désiraient 1. Toutefois, la rapidité et la virulence de cette réévaluation nous ont rappelé qu'il faut se méfier de ce que l'on souhaite. Si, dans le cas présent, la réévaluation a été provoquée par des taux de défaillance nettement supérieurs aux attentes dans le marché des prêts hypothécaires à risque aux États-Unis, il faut néanmoins reconnaître que bien d'autres étincelles auraient pu mettre le feu aux poudres. Les coûts économiques et sociaux des événements liés aux prêts hypothécaires à risque sont concentrés aux États-Unis, alors que les coûts financiers sont à la fois largement dispersés et – compte tenu de l'échelle du système – facilement absorbables. Autrement dit, aussi éprouvantes qu'elles aient été pour les personnes touchées, les pertes liées aux prêts hypothécaires à risque ont joué un rôle important surtout parce qu'elles ont mis au jour des lacunes plus inquiétantes du système financier. Il est possible de dégager plusieurs causes fondamentales, mais je m'attarderai sur trois d'entre elles.

La première est liée à la liquidité. Ces dernières années, les participants au marché ont mis une confiance excessive dans la capacité de marchés liquides à continuer d'absorber de nouveaux produits et de constituer une source constante de liquidité de financement pour les institutions financières. L'abondante liquidité du marché était le résultat de conditions macroéconomiques favorables, de taux d'intérêt à long terme bas et relativement stables, de l'innovation financière et de la diversification des participants aux marchés financiers. Cette liquidité devait semer les germes de sa propre ruine, en alimentant une confiance absolue des opérateurs dans leur capacité de vendre des avoirs à des prix correspondant aux valeurs données par les modèles.

Cet excès de confiance a encouragé l'essor rapide du modèle d'octroi puis de cession du crédit. Selon ce modèle, l'emprunteur était souvent séparé de l'investisseur final par plusieurs transactions, au fil desquelles le risque de crédit était reconditionné, divisé, titrisé et distribué. Bien des initiateurs et distributeurs de prêts étaient donc convaincus que le risque de crédit à long terme avait été transformé en un risque lié à « l'hébergement » à court terme des créances en attente de distribution, et que la distribution elle-même était irrévocable. D'autres savaient que les risques n'avaient pas été entièrement éliminés, mais pensaient pouvoir liquider leurs positions avant qu'il ne soit trop tard. Une telle confiance était injustifiée. Le risque n'avait pas disparu; il avait simplement été redistribué, et cette distribution n'était souvent pas définitive. Les perturbations qui affectent actuellement le marché se ramènent, du moins en partie, à la démarche pénible qu'il faut suivre pour établir où réside le risque au bout du compte.

La liquidité s'est aussi avérée le talon d'Achille de bien des programmes d'émission de papier commercial adossé à des actifs (PCAA) et véhicules d'investissement structurés. Dans le cas de nombre de ces véhicules, des actifs à moyen terme illiquides et difficiles à évaluer étaient financés par des titres à court terme du marché monétaire offrant des rendements à peine supérieurs à ceux des titres les plus sûrs, liquides et transparents. Lorsqu'il est devenu moins certain que ce papier commercial pourrait être renouvelé, les investisseurs se sont départis des produits structurés, sans distinction. Dans les marchés où l'activation de facilités de trésorerie n'était pas considérée comme automatique, par exemple celui du PCAA maintenant visé par l'accord de Montréal, les porteurs de billets ne pouvaient plus liquider leurs positions 2. Dans les marchés où ces facilités étaient robustes, les investisseurs ont pu retirer leurs billes et le PCAA a été réintégré dans le bilan des institutions financières, ce qui a alors soulevé des inquiétudes au sujet de l'ampleur du risque auxquelles celles-ci étaient exposées. Dans une perspective de moyen terme, la disparition de segments du marché du PCAA partout dans le monde aura des conséquences importantes sur la viabilité de nombreux produits titrisés, car le PCAA constituait une importante source de financement pour les tranches les plus prioritaires des véhicules de titrisation.

Les lacunes en matière de transparence et de divulgation d'information qui caractérisent beaucoup de produits financiers hautement structurés sont la deuxième cause de la turbulence qui sévit actuellement sur les marchés. Ces lacunes étaient ignorées lorsque tout allait bien, dans la mesure où de nombreux investisseurs ne comprenaient pas réellement les caractéristiques des titres qu'ils détenaient. Les participants au marché étaient souvent moins surpris par la détérioration des fondements du marché des prêts hypothécaires à risque que par les pertes de valeur marchande des titres garantis par des créances liés à ces prêts, étant donné les défauts de paiement sur les prêts hypothécaires sous-jacents. Cette surprise a alors provoqué une réévaluation généralisée des produits structurés et mené, dans certains cas, à leur mise en vente sans discernement. Même des mois plus tard, l'opacité de ces produits complique l'établissement de leur valeur, ce qui réduit considérablement la liquidité du marché secondaire. Vu le manque d'information sur maints produits titrisés, il demeure difficile pour les nouveaux investisseurs d'entrer sur le marché en toute confiance et d'acheter des titres, en dépit des prix bas et de l'existence d'une liquidité toujours appréciable à l'échelle mondiale. En fait, et j'y viendrai dans un moment, le coût élevé de la protection contre les défaillances au sein de bien des marchés – comme celui des obligations de sociétés – est signe d'un pessimisme qui semble excessif par rapport aux véritables probabilités de défaillance 3.

Parallèlement, l'incertitude généralisée concernant la répartition des pertes a entretenu les préoccupations associées au risque de contrepartie. Le caractère irrévocable du transfert des risques ne pouvant plus être tenu pour certain, les participants au marché ont cessé d'être sûrs de la situation financière réelle de leurs contreparties et ont parfois été réticents à consentir des prêts, même à très court terme. La prudence excessive qui en a résulté a donné lieu, à l'occasion, à des conditions très inhabituelles sur les marchés interbancaires et a accentué la réduction déjà marquée de la liquidité du marché.

Le manque de transparence a aussi contribué à une perte de confiance dans les agences de notation du crédit, laquelle a amplifié les tensions sur les marchés financiers. Plusieurs raisons expliquent cette perte de confiance. D'une part, les probabilités de défaillance et de changement de cote, pour les produits structurés, n'ont pas toujours concordé avec celles des sociétés et des emprunteurs souverains. D'autre part, les événements récents ont fait ressortir les conflits d'intérêts potentiels liés aux activités de notation 4. La perte de faveur des agences de notation a eu des conséquences importantes, celles-ci ayant fini par détenir un pouvoir qui a dépassé toutes les attentes. Il semble en effet que bien des investisseurs n'aient procédé qu'à une analyse indépendante sommaire, voire inexistante, du risque associé à leurs investissements; autrement dit, ils ont substitué à leur devoir d'analyse et de diligence raisonnable un abonnement à un bulletin de cotes.

La divergence des motivations est la troisième et dernière cause dont je souhaite parler. On a reconnu, tardivement, que la rupture de la relation de long terme entre le prêteur et l'emprunteur a contribué à la détérioration de la qualité du crédit. Par le passé, le prêteur initial (l'initiateur) examinait la documentation pertinente avec un soin méticuleux et faisait preuve de diligence raisonnable, sachant qu'il resterait vraisemblablement exposé au risque de défaillance tant que la dette ne serait pas remboursée. Cependant, à mesure que les initiateurs se sont convaincus de leur capacité de vendre les prêts, les normes relatives à la documentation et au crédit ont chuté et donné lieu aux tristes cas extrêmes que l'on connaît aujourd'hui, soit des prêts hypothécaires accordés aux États-Unis à des emprunteurs à haut risque n'ayant ni revenu, ni travail, ni actifs. Bien entendu, les résultats en ont souffert : ainsi, aux États-Unis, les taux de défaillance sur les crédits hypothécaires à risque avancés en 2006 frisent déjà les 8 % moins de deux ans après leur octroi, soit deux fois et demie les taux de défaillance sur des prêts semblables accordés en 2004 5.

Il semble aussi que des problèmes liés à des motivations divergentes aient affecté plusieurs institutions financières mondiales, notamment des décalages entre le moment où les opérateurs sont rémunérés et celui où sont réalisés les bénéfices sur leurs transactions, la reconnaissance et la rémunération insuffisantes des spécialistes de la gestion du risque, et l'octroi de financement à taux sans risque à des pupitres de négociation qui prenaient des risques. Tous ces facteurs ont été propices à la prise de risques excessifs.

Enfin, il semble possible que les incitations découlant d'une série de mesures réglementaires aient pu encourager des positionnements similaires. C'est le cas, par exemple, du risque de dégradation subite de la valeur des titres né de l'utilisation obligatoire des notations. Un paradoxe de la turbulence actuelle est que c'est justement le désir de se réfugier dans la sécurité présumée de titres cotés AAA qui a donné lieu à une dangereuse explosion de l'offre de ces titres créés artificiellement. Comme bon nombre de ces actifs étaient financés par un endettement excessif et que bien des intervenants étaient tenus, en vertu d'un mandat, de vendre en cas de décotes, la ruée sur les portes de sortie a eu un puissant effet déstabilisateur.

Les étapes suivantes pour les décideurs publics

Avant d'examiner en détail les moyens d'intervention comme tels, j'aimerais vous entretenir de deux points généraux. Le premier est que les instances officielles, sans perdre de vue l'absolue nécessité d'un retour au bon fonctionnement des marchés, peuvent s'octroyer un certain délai pour s'assurer que les mesures qu'elles prennent sont adéquates, étant donné que beaucoup des pratiques du marché qui ont contribué aux perturbations ont cessé d'avoir cours. Actuellement, de nombreuses institutions financières présument, au mieux, que leur accès aux liquidités du marché est limité et, à l'extrême, elles procèdent à une accumulation préventive de liquidités. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les risques de crédit font à nouveau l'objet d'une étroite surveillance. La demande de titres complexes et opaques s'est tarie. Et comme la mémoire institutionnelle reste vive bien au-delà de quelques mois, même dans le secteur financier, il n'y a pas lieu de porter de jugements hâtifs ou d'adopter des mesures dans la précipitation.

Le second point est que les participants au marché ont toutes les raisons de tirer des leçons de ces événements et de modifier leur comportement en conséquence. Comme je l'expliquerai plus en détail dans un moment, on note des signes encourageants à cet égard. Cela dit, les bouleversements récents ont mis au jour des lacunes importantes et généralisées, qui, à défaut d'être comblées de manière prompte, complète et crédible, exigeront des interventions plus appuyées de la part des organismes de réglementation. Au bout du compte, la résolution des problèmes viendra sans doute à la fois d'une amélioration des normes du secteur privé et d'une réglementation plus efficace.

En gardant à l'esprit ces considérations générales, j'aimerais maintenant vous parler des mesures prises en réaction aux trois facteurs que je viens de mentionner.

Premièrement, au chapitre de la liquidité, les autorités de nombreux pays s'affairent à consolider et à moderniser au besoin leurs mécanismes d'octroi de liquidités. Depuis le mois d'août, beaucoup de banques centrales ont injecté des liquidités dans le système financier pour que celui-ci puisse continuer à fonctionner, sans pour autant favoriser un marché en particulier. Dans le cas de la Banque du Canada, l'injection de liquidités par l'intermédiaire des mécanismes habituels a permis de maintenir le taux du financement à un jour près de la cible visée. Cependant, comme dans d'autres pays, la liquidité s'est avérée plus problématique pour les échéances plus éloignées. Certes, la liquidité des marchés monétaires à terme du Canada est meilleure qu'elle ne l'était en décembre et supérieure à celle que l'on observe actuellement ailleurs dans le monde, mais elle n'est pas encore revenue à son niveau habituel.

La Banque cherche actuellement à renforcer sa capacité de pourvoir le système en liquidités, et ce, de différentes façons. Premièrement, nous avons annoncé notre intention d'élargir la liste des titres admissibles en garantie dans le cadre de notre mécanisme permanent d'octroi de liquidités. La semaine dernière, nous avons publié un document de consultation concernant notre projet d'accepter certaines catégories de PCAA en nantissement à compter du 31 mars. Nous comptons également accepter en garantie les obligations du Trésor américain d'ici le milieu de l'année. Deuxièmement, nous examinons la question des mécanismes de prises en pension que nous devrions rendre disponibles durant les périodes d'instabilité financière ou de défaillance du marché. Ces mécanismes pourraient s'apparenter à ceux que la Banque a utilisés en décembre et dont elle se servira de nouveau au cours des prochaines semaines. Dans les deux cas, ces opérations de prise en pension ont été annoncées dans le cadre d'une intervention coordonnée des grandes banques centrales visant à résoudre les problèmes de liquidité éprouvés par les marchés du financement. Les banques centrales des pays du G10 continueront à travailler en étroite collaboration et prendront des mesures appropriées face à ces problèmes. Enfin, dans son dernier budget, le gouvernement fédéral propose de modifier la Loi sur la Banque du Canada de façon à moderniser les pouvoirs réglementaires de l'institution et lui permettre ainsi de mieux soutenir la stabilité du système financier.

Parallèlement à ces initiatives, une meilleure gestion des liquidités s'impose dans les institutions financières. Diverses institutions se sont vu rappeler l'importance d'une saine gestion des liquidités et d'une discipline rigoureuse en matière de crédit. Il convient de noter que, il y a un an, l'Institute of International Finance a publié un document très sérieux qui faisait état des vulnérabilités potentielles des institutions financières au regard de la gestion des risques de liquidité et qui suggérait des pratiques exemplaires à l'intention des secteurs public et privé 6. Toutefois, comme c'est souvent le cas, le nœud de la question réside dans l'application concrète de ces pratiques. Afin de corriger ces lacunes, les autorités réglementaires adoptent actuellement des nouvelles lignes directrices et s'intéressent de plus près à la gestion de la liquidité.

Le second champ d'action prioritaire est l'amélioration de la transparence et de la communication de l'information financière. Des avancées à ce chapitre contribueraient à réduire les asymétries d'information qui nuisent au bon fonctionnement des marchés.

Le besoin d'une information crédible et divulguée en temps opportun se fait sentir de façon impérieuse partout dans le monde. Les rapports publiés récemment par les institutions financières canadiennes répondent à cette exigence. Toutefois, l'information n'est pas suffisante en soi; encore faut-il que les investisseurs sachent l'interpréter. Or, le caractère relativement nouveau de la méthode de la comptabilité à la juste valeur, ajouté à l'extrême volatilité des marchés, complique une telle interprétation. Certains ont mis en doute l'utilité d'exiger que tous les actifs et passifs du bilan d'une société soient évalués à la valeur du marché 7. On peut faire valoir que, dans les circonstances actuelles, les règles comptables imposent un degré de précision que rien ne justifie.

Il ne fait aucun doute qu'en reflétant les mouvements du marché, la comptabilité à la juste valeur accroît la volatilité des bénéfices déclarés. Quant à savoir si cette méthode contribue de façon procyclique à la volatilité du marché, cela dépend du comportement de la direction. L'incitation des dirigeants à réaliser des pertes de valeur marchande n'est pas seulement fonction des mouvements futurs du marché qu'ils entrevoient; elle dépend aussi, pour une large part, de la mesure dans laquelle les investisseurs sont disposés à les récompenser pour une limitation du risque à la baisse, ou, à l'inverse, à les pénaliser pour un accroissement du ratio de la dette nette aux fonds propres attribuable à des pertes non réalisées. Cela dépend, en partie, de l'interprétation que font les investisseurs des règles existantes.

Les investisseurs doivent garder plusieurs considérations à l'esprit. Premièrement, ils doivent savoir que sur des marchés volatils, les bénéfices déclarés seront aussi volatils. Deuxièmement, ils doivent être conscients de la distinction entre perte réalisée et perte non réalisée. Troisièmement, comme les valeurs de marché des titres peuvent être obtenues au moyen d'indicateurs imparfaits (comme les indices relatifs à des produits dérivés peu échangés), ils doivent peser ces valeurs avec prudence. Quatrièmement, dans le cas de nombreux titres complexes, les résultats de l'évaluation pourraient gagner à être exprimés sous la forme d'une fourchette de valeurs. Mais comme les règles comptables actuelles n'autorisent pas une telle pratique, les investisseurs doivent user de leur jugement pour établir ces valeurs. Les institutions, pour leur part, devraient fournir l'information nécessaire à l'exercice d'un tel jugement.

Dans une perspective de moyen terme, le Forum sur la stabilité financière se penche sur les procédures comptables et les méthodes d'évaluation appliquées aux produits financiers dérivés, particulièrement les instruments complexes et peu échangés, dont le prix devient difficile à déterminer en période de tensions. Plus généralement, les autorités de par le monde encouragent les institutions financières à communiquer sans délai toute l'information pertinente concernant leurs pertes et la valeur de leurs produits structurés, et elles s'efforcent d'améliorer la divulgation des renseignements sur l'exposition des institutions aux véhicules hors bilan et de rendre cette information compréhensible. Les grandes institutions financières sont désormais beaucoup plus promptes à déclarer des pertes que lors de précédents épisodes de turbulence financière. Cette nouvelle donne aura pour effet d'accélérer le processus de rétablissement des marchés, pourvu que les investisseurs prennent conscience du fait que les règles du jeu ont effectivement changé. Les pertes qui, autrefois, auraient été dissimulées dans les réserves, sont aujourd'hui révélées au grand jour rapidement et d'une manière parfois imprécise, si bien qu'une partie des montants radiés peut être révisée ultérieurement. C'est donc dire que les bénéfices déclarés peuvent être plus volatils que les résultats finals enregistrés.

Que peuvent faire les autorités pour favoriser une plus grande transparence sur le marché des produits structurés? D'abord, comme nous l'avons annoncé la semaine dernière, les exigences élevées en matière d'information financière que la Banque appliquera au PCAA qu'elle acceptera en garantie, dans le cadre de son mécanisme permanent d'octroi de liquidités, pourraient inciter les participants au marché à relever leurs propres normes à cet égard. Au bout du compte, la décision leur appartient.

Les émetteurs et les arrangeurs ont tout intérêt à améliorer la transparence des produits structurés, mais ce sont les organismes de réglementation qui, en définitive, fixent ou non des lignes de conduite en matière de communication financière. Si la situation du PCAA nous a montré que les exemptions générales de divulgation étaient trop larges, les autorités ne doivent pas pour autant céder à la tentation d'instaurer une réglementation trop prescriptive. Plutôt, elles devraient envisager une application plus étendue de la réglementation fondée sur des principes. Il serait vain, pour les organismes de réglementation, de tenter de prévoir l'apparition de chaque nouveau produit ou d'en freiner l'essor. En revanche, ils pourraient inciter les émetteurs à s'assurer que leurs pratiques de divulgation sont conformes à un ensemble de principes, et, dans le cas où celles-ci s'avéreraient déficientes, à en assumer les conséquences.

Comme je l'ai dit plus tôt, l'évolution du rôle des agences de notation est intimement liée aux questions de la divulgation et de la transparence. Les autorités examinent le rôle joué par ces agences dans l'évaluation des produits structurés ainsi que l'incidence de l'utilisation obligatoire des cotes de crédit prescrite par les règlements ou lignes directrices régissant les placements. Dorénavant, les organismes de réglementation du secteur des valeurs mobilières voudront que les motivations des agences correspondent plus étroitement à celles des investisseurs, et ils feront en sorte que les agences examinent plus rapidement et plus attentivement les cotes passées. D'autres organismes de réglementation doivent aussi se charger d'étudier jusqu'à quel point le recours obligatoire aux cotes de crédit a encouragé l'externalisation du crédit, mené à des mouvements de prix procycliques et favorisé des épisodes de similarité des positions.

Les agences de notation étant tributaires de leur réputation, elles sont fortement incitées à préciser leurs pratiques, à améliorer le contenu informatif des cotes qu'elles attribuent aux instruments financiers complexes, à veiller à ce que tout renseignement important soit divulgué de manière rapide et concise, et à résoudre la question des conflits d'intérêts inhérents au processus de notation. Les annonces récemment faites à cet égard par les agences sont encourageantes.

Encore une fois, j'insiste sur le fait que les investisseurs ne doivent pas s'attendre à ce que les changements apportés aux méthodes de notation des agences suffisent à corriger les lacunes de leurs propres pratiques de gestion des risques. Dans un monde où les actifs sont évalués à leur valeur de marché et où les positions sont assorties de garanties et impliquent un effet de levier, les investisseurs doivent eux-mêmes porter un jugement sur la qualité, la liquidité et la volatilité des cours des titres qu'ils détiennent.

Le troisième domaine d'intervention prioritaire a trait à la compatibilité des motivations. Les perturbations du marché ont mis en lumière de graves problèmes de conflits d'intérêts entre mandant et mandataire, tout particulièrement dans le modèle d'octroi puis de cession du crédit. Pour que les marchés de la titrisation fonctionnent efficacement, les motivations des initiateurs doivent cadrer avec celles des investisseurs finals. D'ailleurs, les initiateurs et les distributeurs éprouvent de la difficulté à vendre des produits dont ils n'assument pas les premières pertes ou pour lesquels ils ne mettent pas autrement en jeu leur réputation. Il ne fait guère de doute, selon moi, que les initiateurs et les distributeurs finiront par s'adapter. Une plus grande compatibilité des motivations est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour ranimer de nombreux marchés de produits structurés. Elle devra s'accompagner d'une standardisation et d'une transparence accrues et de la présence d'un bassin approprié d'investisseurs.

Un autre exemple de divergence des motivations peut être observé dans les pratiques de gestion des risques et les structures de rémunération des institutions financières du monde entier 8. Dans nombre de ces institutions, les structures de rémunération en place récompensent les résultats à court terme et encouragent la prise de risques potentiellement excessifs. Il appartient aux investisseurs d'exiger la mise en place de structures de rémunération plus compatibles avec leurs propres intérêts. Certains ont affirmé que les organismes de réglementation eux-mêmes devraient trancher ces questions. J'estime pour ma part que la réglementation de la rémunération dans les institutions privées est une option à exclure. Néanmoins, je suis d'avis que les autorités réglementaires doivent tenir dûment compte du rôle joué par la rémunération, sur le plan des motivations, lorsqu'elles évaluent la robustesse des systèmes de gestion des risques et de contrôle interne.

La réglementation donne aussi naissance à des incitatifs. Le Forum sur la stabilité financière revoit les principes de base en matière de surveillance prudentielle et examine la possibilité que les incitatifs créés par les normes comptables et la réglementation des fonds propres des banques contribuent à la procyclicité du système financier 9.

Conclusion

Permettez-moi de conclure avec quelques réflexions sur le rôle de la politique monétaire. En cette période de grande incertitude, il est plus important que jamais que la politique monétaire joue un rôle stabilisateur. D'où la nécessité de maintenir l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible. Cela signifie que la Banque continuera de surveiller les tendances de l'économie réelle et leurs répercussions sur l'inflation. L'évolution du secteur financier ne sera importante, dans l'optique de la conduite de la politique monétaire, que dans la mesure où elle sera susceptible d'influer sur celle de l'économie réelle, et, par conséquent, sur l'inflation. Je ne voudrais pas avoir l'air de minimiser la turbulence financière actuelle, qui, de fait, commence clairement à toucher l'économie américaine et, dans une moindre mesure, la nôtre. À la Banque, nous allons continuer de suivre ces effets, mais en veillant à ne favoriser aucun segment particulier du marché et à ne pas mettre les participants au marché à l'abri des conséquences de leurs décisions.

Ces conséquences continueront de se manifester dans les semaines et les mois à venir, et le processus restera difficile. Néanmoins, les moyens d'intervention que je viens d'exposer aideront le marché à transformer l'incertitude en risques et favoriseront une réévaluation appropriée des risques, de sorte que les marchés finiront par revenir à un mode de fonctionnement plus normal. Cela ne signifie cependant pas que nous retournerons à la situation qui existait auparavant. Bien que les risques seront encore répartis, les produits de titrisation seront de plus en plus transparents et standardisés, et peut-être même seront-ils échangés sur des marchés. Il est probable que l'initiateur continuera d'assumer jusqu'à un certain point les premières pertes. Une plus grande valeur sera accordée à la liquidité et à la solidité des bilans financiers. La volatilité sera moins contenue par un excès de confiance. En définitive, nous évoluerons dans un monde où les institutions financières qui ont un jugement sûr en matière de crédit, qui pratiquent une gestion efficace des risques et qui sont pourvues de capitaux patients pourront prospérer; un monde où le capital sera plus efficacement alloué; un monde qui récompensera les attributs traditionnels des institutions financières canadiennes.

Je suis très optimiste face aux perspectives à moyen terme du Canada dans un tel environnement.

Information connexe

13 mars 2008

Les turbulences des marchés financiers et les moyens d'y réagir

Plus de sept mois après le début des turbulences sur les marchés financiers, les décideurs publics et les opérateurs entrent dans une phase nouvelle, où les lacunes du système actuel sont mieux comprises et où des améliorations commencent à se produire, a déclaré aujourd'hui le gouverneur de la Banque du Canada, M. Mark Carney, dans un discours prononcé devant la Chambre de commerce de Toronto.
Type(s) de contenu : Médias, Communiqués
  1. 1. De fait, les banques centrales discutaient depuis déjà un certain temps de la possibilité d'une réévaluation des risques. Voir « Évolution récente et tendances », Revue du système financier, Banque du Canada, juin 2004, p. 4-5.[]
  2. 2. La Banque du Canada avait soulevé des préoccupations à ce sujet dans P. Toovey et J. Kiff, « Le marché canadien du papier commercial adossé à des actifs : évolution et enjeux », Revue du système financier, Banque du Canada, juin 2003, p. 45-51.[]
  3. 3. Par exemple, au cours des dernières semaines, les taux de défaillance que laisse supposer le niveau de l'indice iTraxx Crossover ont atteint presque le double du taux de défaillance total enregistré au cours des deux dernières récessions par des sociétés ayant une notation comparable.[]
  4. 4. Pour un examen détaillé de cette question, voir M. Zelmer, « La réforme du processus de notation financière », Revue du système financier, Banque du Canada, décembre 2007, p. 53-60.[]
  5. 5. Données fournies par Merrill Lynch. Voir aussi J. Kiff et P. Mills, Money for Nothing and Checks for Free: Recent Developments in U.S. Subprime Mortgage Markets, document de travail no WP/07/188, Fonds monétaire international, 2007.[]
  6. 6. Institute of International Finance, Principles of Liquidity Risk Management, Washington, Institute of International Finance, 2007.[]
  7. 7. Voir par exemple B. Connolly, « Accounting for Depression », Banque AIG (Recherche économique), 4 mars 2008.[]
  8. 8. M. Wolf, « Why regulators should intervene in bankers' pay », Financial Times, 16 janvier 2008, p. 11.[]
  9. 9. Tant le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire que l'Organisation internationale des commissions de valeurs travaillent à ces questions.[]