L'importance d'un régime de change approprié

Bonjour. Je suis très heureux d'être parmi vous et d'avoir l'occasion de vous entretenir de certains grands enjeux reliés au thème de votre congrès : la convergence. À mon avis, il est essentiel que les différentes économies du globe convergent vers un ordre commercial et financier libéralisé et fondé sur le marché.

Pourquoi un tel ordre est-il si important? Parce que, d'une part, l'histoire en a maintes fois démontré les vertus. Mais un autre facteur primordial à considérer est le monde dans lequel nous évoluons aujourd'hui : un monde où les ajustements sont perpétuels, où l'avancement des technologies amène constamment des changements, et où les secteurs industriels comme les pays cherchent sans cesse à s'assurer de nouveaux avantages. Dans ce contexte, les signaux de prix provenant des marchés nous aident à comprendre quels ajustements doivent être opérés.

Ce système commercial et financier libéralisé et fondé sur le marché est à l'évidence le meilleur que nous ayons trouvé pour favoriser la croissance et la prospérité. Toutefois, il est crucial que les membres de cet ordre adhèrent à un ensemble commun de règles et de politiques qui soient profitables à tous, afin que nous puissions bénéficier d'une solide expansion économique à l'échelle internationale.

Évidemment, de nombreuses politiques sont nécessaires pour qu'une économie puisse passer à un ordre commercial et financier plus libéralisé et fondé sur le marché. Je parlerai tout à l'heure plus en détail de certaines de ces politiques. Il est cependant un point sur lequel j'aimerais insister aujourd'hui, et c'est le rôle vital qu'un régime de changes flottants peut jouer dans de nombreux pays, en aidant l'économie à servir au mieux les intérêts de tous les citoyens.

Pourquoi un régime de changes flottants est, dans bien des cas, le meilleur choix

Je tiens, d'entrée de jeu, à préciser que mon propos n'est pas d'affirmer qu'un régime de changes flottants est la seule option envisageable dans toutes les économies, quelles que soient les circonstances. Un taux de change fixe peut être justifié dans les économies – surtout les petites – où il s'avère difficile de mener une politique monétaire indépendante. En pareille situation, les coûts liés à une monnaie flottante peuvent l'emporter sur les avantages. Cela dit, pour de nombreux pays, et notamment pour la plupart des grandes économies, un taux de change flexible peut au contraire se traduire par des avantages économiques nettement supérieurs aux coûts.

La flexibilité du taux de change favorise un ordre financier libéralisé et fondé sur le marché, dont le grand avantage est de permettre que des ajustements continus soient effectués en réaction aux signaux de prix. Le taux de change flexible s'ajoute aux autres prix déterminés par le marché. Non seulement il absorbe les chocs, mais il utilise les prix pour faciliter les changements.

En même temps, il faut toujours garder à l'esprit qu'un régime de changes flottants n'est qu'un élément parmi d'autres au sein d'un éventail de politiques essentielles à l'efficience économique. Un taux flexible est néanmoins indispensable aux pays qui entendent mener une politique monétaire indépendante et axée sur la stabilité des prix.

Pour illustrer certaines de mes observations aujourd'hui, j'évoquerai la longue expérience que le Canada a acquise en matière de flexibilité des changes. Cette expérience peut être utile à d'autres, même si 57 années se sont écoulées depuis que notre pays a abandonné le système de Bretton Woods et adopté un régime de changes flottants. Nous sommes parmi les pays qui ont le plus longtemps évolué sous un tel régime, et nous en connaissons donc fort bien les rouages.

La décision audacieuse – radicale, diraient certains – de rompre avec le système de Bretton Woods, en 1950, était motivée par quelques problèmes, dont certains peuvent encore affliger plusieurs pays à marché émergent aujourd'hui. À la fin des années 1940, le Canada faisait face à un afflux considérable de capitaux étrangers et d'investissements d'après-guerre, et son économie était caractérisée par une forte demande des ménages. Après une première réévaluation du dollar canadien, des capitaux à court terme se sont mis à affluer massivement au pays, les investisseurs faisant l'hypothèse qu'une nouvelle réévaluation était à prévoir. La montée des cours des matières premières venait aussi accentuer la pression à la hausse qui s'exerçait sur notre dollar. Cette situation soulevait des préoccupations sur le plan de l'inflation et laissait craindre que les entrées de capitaux n'entraînent une augmentation sensible de la dette extérieure du pays. Malheureusement, le taux de change fixe obligeait les décideurs à orienter la politique monétaire vers la stabilité du taux de change plutôt que vers la stabilisation des prix intérieurs.

Afin de donner à la Banque du Canada toute latitude pour mener des politiques propres à stabiliser les prix, les autorités ont pris la décision cruciale de laisser le cours du dollar fluctuer au gré des forces du marché. Cette politique, rappelons-le, est toujours en vigueur, et, encore aujourd'hui, la Banque ne vise aucune valeur cible pour le dollar, estimant que ce sont les conditions du marché qui doivent déterminer le cours de la monnaie.

La décision prise en 1950 de laisser flotter la monnaie suscitait la controverse, en particulier au sein du Fonds monétaire international et chez la plupart de ses États membres, qui privilégiaient la fixité des changes. Mais dans les années qui ont suivi la guerre, l'expérience a prouvé qu'un taux de change flexible était réellement avantageux sur le plan des politiques intérieures.

Toutefois, durant les décennies 1970 et 1980, le dollar canadien était négocié sur un marché des changes assez étroit. La Banque du Canada devait donc intervenir quotidiennement pour assurer la liquidité de ce marché et en réduire la volatilité. Cette stratégie de résistance aux tendances du marché était poursuivie de façon symétrique, l'objectif étant d'atténuer les fluctuations dans un sens comme dans l'autre. Dans les années 1990, cependant, la profondeur des marchés était devenue telle que les interventions quotidiennes n'avaient plus leur raison d'être. Le gouvernement a aujourd'hui pour politique de limiter de telles interventions aux situations les plus exceptionnelles, et, d'ailleurs, depuis 1998, le Canada n'a pris aucune mesure pour influer sur le cours de sa monnaie.

L'incertitude sous des régimes de changes fixes et flottants

Malgré les bienfaits que le régime de changes flottants a apportés au Canada, certains trouvent encore difficile de devoir composer avec l'incertitude qui peut l'accompagner. Les variations prononcées du cours de la monnaie, comme l'appréciation d'environ 35 % que le dollar canadien a enregistrée depuis le début de 2003, peuvent s'avérer ardues à gérer pour les entreprises. Un taux de change flexible implique des coûts de transaction un peu plus élevés et, à court terme, des risques supplémentaires pour les entreprises. À cet égard, le développement de marchés des changes à terme profonds et efficaces est d'une importance capitale pour aider les entreprises à couvrir leurs risques de change. Grâce à ces marchés bien développés et au concours d'institutions financières qui offrent aux entreprises – particulièrement les petites – la possibilité de couvrir leurs risques à de faibles coûts, le risque de change additionnel qu'un taux de change flottant fait peser sur le secteur des entreprises est réduit au minimum.

Mais même si les marchés des changes sont bien ramifiés et que les entreprises peuvent se doter de couvertures, certains craignent encore que la flexibilité du taux de change n'engendre des risques et des incertitudes injustifiés. Selon eux, la solution réside dans un régime de changes fixes. Or, un tel régime n'est pas une panacée. Au fil du temps, un taux de change nominal fixe risque plutôt d'accroître l'incertitude et, au bout du compte, d'accentuer la volatilité. Il limite de surcroît les moyens d'action dont disposent les banquiers centraux, puisque la politique monétaire doit alors être employée à maintenir le taux de change à un niveau donné.

En régime de taux de change nominal fixe, l'économie est forcée d'absorber pleinement les effets des mouvements des prix mondiaux au moyen de variations des salaires et des prix nominaux intérieurs. Le fardeau de l'ajustement tombe d'abord sur la production et l'emploi et, seulement par la suite, s'étend à la plupart des salaires et des prix. Et comme les salaires intérieurs ont particulièrement tendance à être rigides, les changements dans la production et l'emploi doivent être considérables. Pour nombre de personnes et d'entreprises ainsi que pour l'économie en général, l'ajustement devient alors plus difficile et coûteux que ce ne serait le cas en régime de changes flottants.

Dans les économies où les salaires et les prix intérieurs ne sont pas parfaitement flexibles, ce ne sont pas seulement les banquiers centraux qui subissent des contraintes en régime de changes fixes. Des contrôles doivent souvent être imposés sur les transactions financières et peut-être aussi, à la longue, sur certaines variables réelles de l'économie pour maintenir un taux de change nominal fixe. Les autorités qui ne tiennent pas compte de ces contraintes, ou qui ne font pas preuve de la discipline budgétaire nécessaire en régime de changes fixes, peuvent finir par créer de l'incertitude et de la volatilité, celle-là même qu'ils tentaient d'éviter.

Les avantages économiques d'un régime de changes flottants

J'aimerais simplement dire que le principal avantage d'une monnaie flottante pour le Canada est le rôle qu'elle joue pour aider l'économie à amortir les chocs économiques. Je crois que le moment est bien choisi pour vous expliquer de façon plus détaillée la place qu'occupe actuellement le régime de changes flottants dans le cadre monétaire du Canada. Notre politique monétaire vise à protéger le pouvoir d'achat intérieur de notre monnaie en maintenant l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible. Notre objectif est de garder l'inflation mesurée par l'indice des prix à la consommation à une cible de 2 %. Ce faisant, nous créons les conditions propices à une croissance forte et durable.

Bien entendu, il y aura toujours des chocs économiques, qui exigeront une réaction et un ajustement. Le Canada étant une économie ouverte de taille moyenne et un important producteur de matières premières, nos termes de l'échange peuvent varier sensiblement au gré de l'évolution des prix relatifs des produits de base, des biens manufacturés et des services. Ces mouvements des prix relatifs sont un signal qu'il convient de déplacer des ressources de secteurs dont la rentabilité est en baisse vers des secteurs où les profits augmentent. En régime de changes flottants, les variations du cours de la monnaie facilitent ce processus et contribuent à réduire au minimum les ajustements dans d'autres secteurs de l'économie.

Tout cela démontre à quel point il est important que nous puissions conserver notre taux de change flexible, plutôt qu'arrimer notre monnaie au dollar américain. Certes, les États-Unis sont notre plus proche voisin et, de loin, notre principal partenaire commercial. Toutefois, les structures de nos deux économies sont très différentes. C'est pourquoi nous devons souvent recourir à des politiques et à des ajustements différents en réaction aux chocs. Au Canada, le taux de change flottant favorise ces ajustements et évite à notre économie de subir des variations très pénibles du niveau global de la production, des salaires et des prix.

Voyons ce que cela signifie plus concrètement, en examinant une leçon précieuse que nous avons tirée de la crise asiatique survenue en 1997. En tant que pays producteur de matières premières, le Canada a été frappé de plein fouet par la chute spectaculaire des cours des produits de base. Notre dollar flottant a dégringolé, facilitant ainsi l'ajustement considérable mais nécessaire qu'il a fallu opérer. Sous l'effet du recul de notre taux de change nominal, nos secteurs autres que celui des matières premières ont vu leur position concurrentielle s'améliorer. Ils ont donc été capables d'absorber certaines des ressources dont se départissaient rapidement les industries productrices de matières premières. Grâce au taux de change flottant, nous avons pu faire baisser les salaires réels sans faire diminuer les salaires nominaux, et maintenir l'inflation près du taux visé.

Permettez-moi de vous donner un autre exemple. Ces dernières années, la demande d'exportations canadiennes de produits de base et les cours de ces derniers ont monté en flèche. Cela a favorisé un boom économique et un accroissement des flux d'investissements vers le Canada. Notre dollar flottant s'est vivement apprécié et, partant, certains ajustements ont dû être faits. À mesure que leur position concurrentielle s'améliorait, les producteurs du secteur des matières premières ont pu absorber une partie des ressources libérées par les entreprises d'autres secteurs, qui voyaient quant à elles leur position se détériorer. Par conséquent, les salaires relatifs se sont ajustés sans alimenter l'inflation. Encore une fois, grâce au taux de change flottant, l'économie a été en mesure d'absorber les chocs, et la Banque du Canada, de maintenir l'inflation mesurée par l'IPC près de la cible de 2 %. S'ajuster n'est jamais facile mais, somme toute, un régime de changes flottants a vraiment aidé l'économie canadienne à continuer à tourner presque à plein régime et à réduire au minimum les effets des cycles de surchauffe et de récession dans divers secteurs.

Un taux de change flottant peut présenter des avantages nombreux et considérables mais, comme je l'ai dit, un cadre de politique solide comporte d'autres composantes essentielles. Le bon fonctionnement du système financier national est indispensable pour permettre l'affectation efficace du capital au pays et pour faciliter l'amortissement des chocs externes. C'est pourquoi les décideurs à l'échelle mondiale accordent beaucoup d'importance à l'amélioration de leurs systèmes bancaires et financiers nationaux. Des organisations comme le G7, le G10 et le Forum sur la stabilité financière se sont penchées sur des façons d'accroître la stabilité des systèmes financiers. Je voudrais d'ailleurs féliciter Tim Geithner, de la Réserve fédérale américaine, pour son travail remarquable dans ce domaine. M. Geithner prendra la parole tout de suite après moi. Grâce à tous les efforts qui ont été déployés, la stabilité des systèmes financiers a réellement été améliorée ces dernières années.

Depuis les années 1990, des pays se sont également rendu compte de l'extrême importance de développer des marchés intérieurs de titres, pour leur propre protection ainsi que pour le bon fonctionnement du système économique mondial. Des progrès notables ont aussi été réalisés dans ce domaine. Il y a dix ans, alors que le souvenir de la crise du peso était encore très vif dans l'esprit des gens, qui aurait cru que le Mexique serait en mesure aujourd'hui d'émettre des obligations à long terme à taux fixe en pesos affichant des écarts si faibles par rapport aux obligations du Trésor américain?

La politique budgétaire est aussi un aspect important. Les administrations publiques doivent gérer leurs finances de façon responsable. Cela ne veut pas dire qu'elles sont tenues d'afficher des budgets parfaitement équilibrés année après année. Elles doivent par contre maintenir, et s'engager à maintenir, le ratio de la dette au PIB à un niveau raisonnable et éviter d'accumuler des dettes qui limiteront la marge de manœuvre des gouvernements futurs.

Conclusion

Permettez-moi de conclure en revenant sur ce que j'ai dit au début de mon discours. J'ai expliqué pourquoi un ordre commercial et financier mondial libéralisé est essentiel pour favoriser la croissance et la prospérité économiques. Et j'ai insisté sur l'importance d'un régime de changes flottants, qui est déterminant dans l'atteinte de bons résultats tant à l'échelle nationale qu'internationale. Nous devons inciter les pays ayant une importance systémique à adopter un régime de changes flottants appuyé par des marchés financiers intérieurs bien développés et efficaces.

Mais il faut garder à l'esprit que la mise en place de tels marchés au sein des économies émergentes ne se fera pas du jour au lendemain. En outre, elle pourra exiger une certaine gestion des flux de capitaux et un certain degré d'intervention sur les marchés des changes au sein de ces économies. Ces contrôles et ces interventions sont gênants et peuvent entraîner de nombreux problèmes à la longue. Ils doivent donc être éliminés le plus vite possible. Mais dans la mesure où les pays progressent vers l'adoption de régimes de changes plus flexibles, ceux d'entre nous qui sont dotés de marchés bien développés devront faire preuve de tolérance. Et vous qui faites partie de l'ACI devrez continuer d'évoluer dans cet environnement quelque peu inconfortable.

Dans l'intervalle, je peux affirmer que la Banque du Canada fera tout en son pouvoir pour fournir de l'aide et pour persuader les pays en transition vers un régime de changes flottants d'agir le plus rapidement possible afin de faciliter la convergence souhaitée.

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