Le besoin de flexibilité face aux défis économiques sur la scène mondiale
Bonjour. Je suis très heureux d'être à Calgary aujourd'hui pour vous entretenir de ce que je considère comme l'un des plus grands enjeux économiques auxquels nous sommes confrontés à l'échelle du globe, à savoir la façon dont nous pouvons accroître la flexibilité de notre économie.
J'entends consacrer une partie de mon discours à certaines préoccupations d'ordre structurel qui, à mon avis, sont fondamentales pour notre prospérité future. À la lumière des défis qui se posent sur la scène mondiale et qui sont devenus très évidents pour nous tous, je concentrerai mes remarques sur la nécessité d'une main-d'oeuvre bien formée et souple.
Mais tout d'abord, j'aimerais mettre mes observations en contexte en discutant brièvement du cadre de mise en oeuvre de la politique monétaire par la Banque du Canada.
Le cadre de mise en oeuvre de la politique monétaire
Notre but premier, à la Banque, est de favoriser le bien-être économique et financier des Canadiens et des Canadiennes. Au fil des ans, nous avons appris que la meilleure contribution que la politique monétaire peut apporter à cet égard est de donner confiance à ces derniers dans la valeur future de leur monnaie. Pour ce faire, nous maintenons l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible.
Le moyen optimal d'atteindre ce but a fait l'objet de nombreuses études et de nombreux débats et, bien entendu, de quelques essais et erreurs. Cependant, au début des années 1990, la Banque a décidé de réaliser la stabilité des prix en ciblant directement l'inflation. Elle a alors conclu avec le gouvernement fédéral une entente formelle qui définissait l'objectif consistant à faire reculer l'inflation pour qu'elle s'établisse à 2 % à la fin de 1995. Ce régime de cibles d'inflation a si bien fonctionné qu'il a été reconduit à quatre reprises, plus récemment vers la fin de 2006. C'est pourquoi nous continuerons à viser le maintien de l'inflation à 2 %, soit le point médian d'une fourchette cible qui va de 1 à 3 %, au cours des cinq prochaines années.
Nous n'avons toutefois pas l'intention de nous reposer sur nos lauriers. Nous réfléchissons depuis un certain temps à la question de savoir s'il serait possible d'améliorer ce qui s'est révélé une très bonne politique pour l'économie canadienne. C'est dans cet esprit que la Banque a annoncé la mise sur pied d'un important programme de recherche pour les trois années à venir, qui nous permettra de voir s'il existe des façons de perfectionner notre régime de cibles d'inflation. Nous voulons notamment examiner quels seraient les coûts et les avantages, d'une part, d'abaisser la cible d'inflation et, d'autre part, d'abandonner la cible d'inflation annuelle en faveur d'une cible fondée sur le niveau des prix. Cela dit, il faudrait que des résultats favorables à un changement soient très convaincants pour que nous soyons prêts à modifier un régime qui connaît manifestement beaucoup de succès depuis quinze ans.
Un facteur clé de ce succès tient aux efforts que nous avons déployés pour rendre ce système compréhensible, transparent et prévisible. Nous avons ainsi réussi à aider les gens à comprendre quelle sera la réaction de la Banque aux événements économiques et, par conséquent, réduit le risque de malentendu.
Les principes de base sont plutôt simples. Lorsque l'économie se met à tourner à un niveau supérieur à sa capacité de production et que l'inflation tendancielle risque ainsi de dépasser la cible, nous avons tendance à relever les taux d'intérêt, toutes choses égales par ailleurs. Cette intervention a pour effet de contenir la demande au sein de l'économie et, de ce fait, d'atténuer les pressions inflationnistes. À l'inverse, si l'économie se met à fonctionner en deçà de sa capacité et que l'inflation tendancielle semble susceptible de glisser sous la cible, nous sommes portés à abaisser les taux d'intérêt. Cette mesure stimule la demande et ramène par le fait même l'inflation vers la cible.
Un élément essentiel de ce système est qu'il établit très clairement que notre cible est axée sur un taux d'inflation national. Cela peut parfois être difficile à concevoir dans un pays aussi vaste et diversifié que le nôtre, où les écarts entre les régions au chapitre des pressions inflationnistes sont fréquents et prononcés. À l'heure actuelle, les taux d'inflation en Alberta sont considérablement plus élevés que ceux de la région centrale du Canada. En janvier, par exemple, l'inflation nationale, mesurée par l'indice global des prix à la consommation de l'ensemble du pays, affichait un taux d'augmentation annuel moyen de 1,2 %. Mais le taux national moyen cachait un taux d'inflation annuel nettement supérieur en Alberta, soit 3,9 %, contrairement à celui de l'Ontario (0,3 %) et du Québec (0,6 %).
Il est clair que les écarts de taux d'inflation entre les régions traduisent les variations des prix relatifs des biens et services à l'échelle du Canada. Les secteurs énergétique et minier, qui revêtent une importance particulière pour l'Ouest, se sont raffermis ces dernières années par rapport au secteur manufacturier, concentré surtout dans la région centrale du pays. Avec ce déplacement de l'activité entre les secteurs industriels, on a assisté à un déferlement sur l'Alberta de vagues de nouveaux travailleurs venus pourvoir les postes du secteur énergétique en pleine expansion, ce qui a fait bondir la demande de logements et d'autres biens et services ainsi que leurs prix dans cette province.
Ces distinctions régionales et sectorielles sont importantes certes, mais notre mandat, à la Banque du Canada, est de travailler au bien-être économique de tous les Canadiens. C'est pourquoi il est vital de continuer à nous concentrer sur le taux d'inflation national. Nous ne pouvons pas diriger notre attention sur une seule région, car il est très probable qu'à un moment donné, différentes régions connaîtront des conditions économiques nettement divergentes. Et comme nous ne disposons à la Banque que d'un seul levier pour mener la politique monétaire, à savoir notre capacité de maîtriser le taux du financement à un jour, nous ne pouvons poursuivre qu'une seule cible : le taux d'inflation national.
Il reste que nous tenons bel et bien compte des difficultés que subissent les divers secteurs de l'économie et que nous sommes bien conscients des différents défis que les régions ont à relever. Afin de mieux comprendre les préoccupations de l'ensemble du pays, nous avons affecté des employés dans des bureaux régionaux, notamment à Calgary, pour solliciter activement les commentaires des entreprises. L'un des messages qui nous est communiqué est que celles-ci reconnaissent largement l'importance de la flexibilité et la nécessité de pouvoir s'adapter rapidement à des conditions changeantes. Il est certain que cette prise de conscience a aidé l'Alberta à mieux s'ajuster aux bouleversements économiques, et ce, plus rapidement aujourd'hui qu'au cours des années 1970 et 1980. Depuis cette époque, nous avons tous appris qu'il est inutile d'essayer de mettre l'économie à l'abri des ajustements nécessités par des changements mondiaux tels que les variations prononcées des cours de l'énergie.
Le besoin de flexibilité
Permettez-moi de dire quelques mots sur la flexibilité. J'aborderai la question sous deux angles. Je parlerai tout d'abord des aspects macroéconomiques, puis des enjeux microéconomiques.
Au Canada, les gouvernements fédéral et provinciaux jouissent d'une situation budgétaire solide. À l'échelon fédéral, la dette publique a été réduite. L'Alberta a réussi à éliminer sa dette, et d'autres provinces ont pris des mesures énergiques pour équilibrer leurs budgets. Ce succès leur a donné plus de flexibilité pour faire face aux chocs cycliques. Fait plus important encore, la baisse des ratios de la dette au PIB a permis de diminuer, au fil du temps, la part des recettes publiques qui doit être affectée au service de la dette. Les gouvernements disposent ainsi de revenus supplémentaires dont ils pourront se servir pour s'attaquer aux problèmes posés par les changements démographiques, mais sans avoir à hausser les impôts. Par ailleurs, les administrations fédérale et provinciales se sont efforcées de se préparer à ces changements en mettant en oeuvre des réformes visant à assurer la viabilité à long terme du Régime de pensions du Canada. Sur le plan budgétaire, le Canada se trouve donc dans une situation qui fait l'envie de presque tous les autres pays. De plus, comme je l'ai déjà mentionné, la Banque du Canada maintient l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible, ce qui permet aux entreprises et aux ménages d'avoir confiance dans la valeur de leur monnaie. Je peux donc affirmer avec certitude qu'en raison de sa situation budgétaire robuste et de son climat d'inflation basse, le Canada dispose de la souplesse nécessaire pour faire face à tout ce qui peut survenir dans l'avenir.
Cependant, si de bonnes politiques macroéconomiques sont une condition nécessaire pour que nous puissions relever les défis auxquels nous devons faire face, elles ne sont pas suffisantes. Il faut aussi pouvoir compter sur des politiques microéconomiques améliorées pour accroître la flexibilité et contribuer à la hausse de la productivité avec le temps. Ces politiques peuvent être envisagées sous plusieurs aspects importants. Je me limiterai à quelques-uns d'entre eux aujourd'hui, le premier étant la main-d'oeuvre.
Le développement d'une main-d'oeuvre flexible repose, comme toujours, sur l'éducation et la formation des jeunes. Nous devons non seulement investir dans l'éducation de base de nos enfants, mais aussi nous préparer à une économie où la plupart des travailleurs devront suivre de la formation tout au long de leur carrière, et où il sera considéré comme normal d'acquérir de nouvelles compétences ou de changer d'orientation professionnelle.
Nous devons être conscients qu'à cause des changements démographiques, il y aura de moins en moins de jeunes sur le marché du travail. C'est pourquoi nous devons apprendre à nous concentrer sur les moyens de tirer le meilleur parti possible des travailleurs expérimentés et formés. Comment pouvons-nous exploiter pleinement les compétences de ces travailleurs qui sont actuellement dans la cinquantaine ou la soixantaine? Beaucoup de personnes souhaiteraient peut-être continuer de travailler bien après l'âge normal de la retraite; il importe donc, afin d'accroître la flexibilité, de supprimer tout obstacle qui les empêche de le faire.
Cela signifie que nous, les employeurs, devons assouplir notre façon d'organiser les horaires de travail, examiner la possibilité de réviser la conception de nos régimes de pension, consacrer davantage d'efforts au perfectionnement des compétences et faire montre d'une plus grande ouverture à l'égard de l'embauche de travailleurs d'âge mûr. Enfin, nous devons accorder une plus large place aux programmes de mentorat pour que les jeunes travailleurs puissent profiter des compétences et de l'expérience de leurs collègues plus âgés, ce qui permettrait d'éviter la perte de capital intellectuel.
J'ai parlé des obligations des gouvernements et de nos obligations en tant qu'employeurs. Mais les employés ont aussi une obligation, celle de saisir toutes les occasions qui se présentent pour acquérir de nouvelles compétences. Le manquement de l'un d'entre nous à ses obligations équivaudrait à un manque de vision, car c'est notre niveau de vie à tous qui en souffrira. Et ces obligations, nous les aurons toujours. Même en période de tension sur le marché du travail, comme celle que nous vivons en ce moment, aucun de nous ne peut se permettre de perdre de vue l'importance du perfectionnement des compétences.
Nous devons garder à l'esprit que le développement et l'utilisation des compétences ne sont pas les seuls facteurs qui comptent. Les provinces doivent veiller à ne pas dresser d'obstacles qui entravent la mobilité des travailleurs. À ce chapitre, je félicite chaudement l'Alberta et la Colombie-Britannique d'avoir récemment conclu une entente permettant la libre circulation de la main-d'oeuvre et de l'investissement entre les deux provinces.
Le marché du travail n'est pas le seul qui doit être capable de s'ajuster : la souplesse est importante dans toutes nos politiques. Nous devons avoir en place le cadre législatif et réglementaire propre à encourager la concurrence et à favoriser le libre jeu des forces du marché. Nous devons absolument éliminer les obstacles au commerce interprovincial. Comme vous le savez, ces obstacles peuvent prendre la forme de contraintes réglementaires de toutes sortes, dans des domaines aussi diversifiés que le transport, l'emballage et les services financiers.
Tirer profit de l'essor de l'Alberta
L'Alberta doit se doter de politiques qui favorisent la flexibilité pour que son économie puisse tirer parti de l'essor enregistré actuellement et jeter les bases solides sur lesquelles elle pourra s'appuyer dans l'avenir. La province dispose d'un important capital de connaissances en pleine croissance, qui ouvre des avenues pour la création d'entreprises complémentaires du secteur du pétrole et du gaz. Ce capital sert également de plateforme, qui prend aussi appui sur des professionnels compétents et des ressources financières, propice à l'expansion des secteurs essentiels que sont l'éducation et la santé.
Un défi à relever en Alberta, qui est aussi une occasion à saisir, consiste à produire et à exploiter des hydrocarbures à un moment où les préoccupations concernant les changements climatiques s'intensifient à l'échelle du globe. Dans le monde entier, on observe une augmentation de la demande de produits et de technologies qui limitent ou réduisent l'émission de gaz à effet de serre. L'Alberta ne serait-elle pas l'endroit rêvé pour concevoir ce genre de technologies? Comme je l'ai déjà dit, grâce à la croissance fulgurante du secteur albertain du pétrole et du gaz, la province est devenue un pôle d'attraction pour les travailleurs, dont beaucoup possèdent les connaissances spécialisées et l'esprit d'innovation qu'il faut pour mettre au point de tels produits.
Le capital de connaissances et l'essor de l'Alberta donnent également à Calgary une occasion en or de bâtir un secteur des services financiers solide. Cette industrie pourrait contribuer de façon notable à l'avenir de la ville, car elle attire des travailleurs hautement qualifiés, qui constituent une grande valeur ajoutée. En outre, Calgary possède des atouts naturels. Elle est située au coeur du pays du pétrole, abrite la Bourse de croissance TSX, et une nouvelle bourse énergétique est sur le point d'y être établie. Toutefois, Calgary ne peut vraisemblablement exploiter pleinement ces atouts tant que le Canada au complet n'est pas doté d'un cadre plus efficient pour son marché des valeurs mobilières.
Selon les résultats d'analyses effectuées à la Banque, l'établissement d'un cadre réglementaire uniforme au Canada servirait sans aucun doute les intérêts de tous les Canadiens, et plus particulièrement des Calgariens. Ce cadre doit être fondé sur des principes uniformes, appliqués comme il se doit, en tenant compte de la taille et de la complexité de l'émetteur. De plus, on doit veiller à une observation rigoureuse de nos lois sur les valeurs mobilières. Je crois que tout comme l'Alberta a joué un rôle de premier plan dans la réforme du Régime de pensions du Canada, qui en a fait un modèle du genre dans le monde, le gouvernement provincial et le milieu des affaires de Calgary joueront un rôle prépondérant dans la mise en place d'un cadre uniforme de réglementation des valeurs mobilières au Canada – un cadre qui aidera à développer le potentiel de cette ville au-delà du secteur du pétrole et du gaz.
Les enjeux économiques
Avant de conclure, j'aimerais exposer brièvement les plus récentes observations de la Banque du Canada sur l'évolution des économies mondiale et canadienne.
Le mois dernier, j'ai participé aux réunions du G7 en Allemagne. Les discussions au sujet de l'économie mondiale concordaient en gros avec les prévisions de la Banque présentées dans la Mise à jour de janvier du Rapport sur la politique monétaire. Les perspectives demeurent très favorables à l'échelle du globe. Même si la faiblesse du secteur du logement aux États-Unis se poursuivra vraisemblablement pendant un certain temps, elle ne semble pas s'être propagée au reste de l'économie américaine, et la croissance devrait s'accélérer au cours de l'année. La Banque estime qu'à la fin de 2006, l'économie canadienne tournait à un niveau équivalent ou tout juste supérieur à sa capacité de production. Elle s'attend encore à ce que l'économie du pays fonctionne près de son plein potentiel tout au long de 2007 et de 2008. Le taux d'augmentation de l'IPC global, à l'échelle nationale, devrait se situer en moyenne tout juste au-dessus de 1 % au premier semestre de 2007, puis retourner à la cible de 2 % au début de 2008. L'inflation mesurée par l'indice de référence devrait rester près de 2 % jusqu'à la fin de l'an prochain.
Tel est le scénario de référence de la Banque concernant les perspectives économiques. Mais s'il est une chose dont nous sommes certains, c'est que l'économie n'évoluera pas exactement de la façon dont nous le supposons. Par conséquent, un élément très important des perspectives établies par la Banque est l'évaluation que celle-ci fait des risques, tant à la hausse qu'à la baisse, qui entourent sa projection.
Le principal risque à la hausse touchant l'inflation projetée reste lié à la possibilité que la demande des ménages canadiens soit plus forte que prévu. Les dépenses de consommation pourraient être supérieures aux attentes, en raison surtout des emprunts garantis par la valeur nette accrue des propriétés. Divers indicateurs des crédits aux ménages ont également connu un fort mouvement ascendant au cours de la dernière année.
Le plus important risque à la baisse continue de provenir des États-Unis, où, comme je l'ai signalé, l'activité est encore visiblement faible dans le secteur du logement. Mais il y a des signes encourageants. Le ralentissement des secteurs américains de l'automobile et du logement ne semble pas s'être propagé au reste de l'économie. Certaines observations laissent croire que les ajustements ont déjà été opérés en grande partie dans le secteur de l'automobile, et qu'ils se poursuivent dans celui de l'habitation.
Dans l'ensemble, la Banque estime que les risques qui pèsent sur ses perspectives d'évolution de l'inflation au Canada sont relativement équilibrés. Il subsiste toutefois une possibilité que la résorption des déséquilibres mondiaux devienne désordonnée.
Le 6 mars, nous avons laissé le taux directeur inchangé, soit à 4 1/4 %. À la lumière des perspectives que nous entrevoyons, nous jugeons, à l'heure actuelle, que le taux cible du financement à un jour se trouve à un niveau compatible avec la réalisation de la cible d'inflation à moyen terme.
Conclusion
J'ai discuté de ce qui, à mon avis, sont les grands défis auxquels nous sommes tous confrontés et j'ai attiré l'attention sur le besoin vital de flexibilité dont nous devons tous faire preuve : gouvernements, travailleurs et entreprises. Cette flexibilité est d'une importance cruciale. Elle permettra à chacun de nous de tirer profit des occasions offertes par l'expansion de l'activité à l'échelle mondiale.
Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions.