Déclaration préliminaire devant le Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes
Monsieur le Président, distingués membres du Comité, bonjour. C'est pour moi un honneur d'être invité à témoigner devant vous pour vous aider dans le cadre de votre examen des défis auxquels le secteur manufacturier canadien est confronté.
Pour autant que je sache, c'est la première fois qu'un gouverneur ou qu'un premier sous-gouverneur de la Banque du Canada se présente devant ce comité. J'ai donc pensé qu'il serait approprié de commencer par une très brève description du cadre de conduite de la politique monétaire de la Banque. Je passerai ensuite aux forces mondiales à l'origine des défis qui se posent dans notre secteur manufacturier ainsi qu'à leurs implications pour l'ensemble de l'économie. Enfin, je vous ferai part de renseignements que nous avons recueillis concernant la façon dont les fabricants d'ici relèvent ces défis.
Selon la Loi sur la Banque du Canada, notre institution a été créée « pour atténuer, autant que possible par l'action monétaire, les fluctuations du niveau général de la production, du commerce, des prix et de l'emploi, et de façon générale pour favoriser la prospérité économique et financière du Canada ». Au fil des ans, il est devenu évident que le meilleur moyen qui s'offre à nous pour nous acquitter de ce mandat consiste à garder l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible. Plus précisément, notre objectif est de maintenir le taux d'accroissement annuel des prix à la consommation à 2 %, soit le point médian d'une fourchette cible qui va de 1 à 3 %.
Pour atteindre cet objectif, nous cherchons à faire en sorte que l'économie tourne à son plein potentiel. J'entends par là que nous veillons à ce que l'offre et la demande globales au sein de notre économie restent en équilibre. En termes simples, si une forte demande de biens et de services canadiens pousse l'ensemble de l'économie aux limites de sa capacité et menace de faire monter l'inflation au-dessus de la cible, la Banque majorera son taux d'intérêt directeur. Cette mesure entraînera un relèvement des autres taux d'intérêt et un ralentissement de la demande, ce qui concourra à maintenir l'offre et la demande en équilibre, et l'inflation au niveau visé. Par contre, si l'économie dans son ensemble fonctionne en deçà de sa capacité et que l'inflation risque de glisser sous la cible, la Banque abaissera son taux directeur en vue de stimuler la demande. En gardant l'inflation à un niveau bas et stable, la politique monétaire contribue à faire tourner l'économie à plein régime et favorise une plus grande stabilité de la production. Il s'agit là d'un point crucial, puisque cela facilite l'ajustement de l'économie aux forces qui sont à l'oeuvre à l'échelle du globe.
L'un des éléments clés de notre cadre de mise en oeuvre de la politique monétaire est le régime de changes flottants. Je tiens à préciser que nous n'avons pas de cible ou de niveau préféré en ce qui concerne le taux de change du dollar canadien. Celui-ci est néanmoins un prix relatif important au sein de notre économie. Pour ce qui est de la politique monétaire de la Banque, les variations du taux de change nous renseignent sur les événements économiques qui peuvent avoir une incidence directe sur la demande au Canada. Et les mouvements eux-mêmes ont leur effet propre sur la demande : ils modifient les prix relatifs des biens et services canadiens et entraînent un déplacement de la demande entre les produits nationaux et étrangers. Le défi qui se pose pour la Banque est d'analyser ces variations, ainsi que d'autres données, et d'orienter la politique monétaire de telle sorte qu'elle aide à maintenir la demande et l'offre en équilibre, et l'inflation au taux cible.
Lorsque le cours du dollar canadien monte ou descend, nous tentons de déterminer quelle part de ce mouvement est attribuable à l'évolution de la demande mondiale de biens et de services canadiens et quelle part s'explique par d'autres facteurs qui n'ont rien à voir avec cette évolution. Il est important que nous comprenions les causes des changements du taux de change, parce que les implications pour l'économie — et les mesures appropriées de politique monétaire — varient selon ces causes. Ce sujet a été expliqué en détail dans la Mise à jour de janvier 2005 de notre Rapport sur la politique monétaire, qui se trouve dans la trousse que vous avez reçue.
Voilà en très peu de mots en quoi consiste notre cadre. Permettez-moi maintenant d'appliquer ce cadre à la situation actuelle. Je suis sûr que les membres du Comité sont bien au fait des forces mondiales qui ont une incidence non seulement sur les fabricants canadiens, mais aussi sur l'économie toute entière. Ces dernières années, la croissance économique a été incroyablement forte dans le monde. Les liquidités ont atteint des niveaux exceptionnellement élevés, que les banques centrales tâchent maintenant de réduire. Parallèlement, nous avons constaté un déficit persistant et croissant de la balance courante des États-Unis, auquel font écho les excédents substantiels et grandissants de la balance d'autres pays, notamment asiatiques, et de nombreux pays exportateurs de pétrole. Ces déséquilibres sont liés aux flux financiers engendrés par un mauvais appariement entre l'épargne et l'investissement à l'échelle internationale.
Nous avons aussi assisté à la montée en puissance de la Chine et de l'Inde. L'expansion vigoureuse enregistrée dans ces pays et au sein d'autres économies de marché émergentes a entraîné une forte augmentation des prix d'un grand nombre de biens que produit le Canada. Par ailleurs, la vive concurrence livrée par des entreprises de fabrication du monde entier a fait baisser les prix de nombreux biens durables et semi-durables. Tout ceci a donné lieu à une amélioration de nos termes de l'échange et à une augmentation des revenus des Canadiens, en particulier ceux des producteurs de matières premières, de produits métalliques, de produits énergétiques, de matériaux de construction et de machines. Nous avons aussi observé une hausse rapide de la valeur externe de notre dollar, qui s'explique dans une large mesure, mais pas entièrement, par la demande mondiale accrue de biens et de services canadiens.
Dans ce contexte, les fabricants du pays sont devenus de plus en plus efficients. De fait, la productivité a considérablement progressé dans le secteur manufacturier — la production a augmenté malgré une diminution du nombre d'emplois. Cette situation a été très difficile pour beaucoup de travailleurs de ce secteur qui ont perdu leur poste en raison des changements qui s'y sont opérés. Nous en sommes tous bien conscients. Mais il ne faut pas oublier non plus que cette situation tient en partie au fait que de nombreuses entreprises profitent de l'appréciation du dollar canadien pour investir dans des machines et du matériel afin d'être plus productives. Ces gains de productivité augurent bien pour l'avenir : une plus grande efficience permet d'améliorer notre compétitivité à l'échelle internationale et notre capacité de faire face aux chocs ainsi qu'aux changements fondamentaux qui se produisent au sein de l'économie mondiale.
En effet, des entreprises de toutes les régions du pays déploient de réels efforts pour s'adapter à l'intensification de la concurrence. Nous avons fait un suivi de ce processus d'adaptation au moyen de nos communications régulières avec des groupes d'entreprises, des fabricants et des exportateurs, ainsi que par l'entremise de nos enquêtes sur les perspectives des entreprises. Un exemplaire de la livraison du printemps de l'Enquête sur les perspectives des entreprises se trouve dans votre trousse.
Nos enquêtes ont mis en lumière trois facteurs qui sont problématiques pour les fabricants : la pénurie de main-d'oeuvre, l'appréciation du dollar canadien et la concurrence de l'Asie. Permettez-moi de dire quelques mots sur chacun d'eux. Les enquêtes ont révélé que la pénurie de main-d'oeuvre spécialisée constitue le principal problème de certaines entreprises du secteur manufacturier, comme c'est le cas pour des firmes d'autres secteurs. Cependant, les conclusions de notre plus récente enquête donnent à penser que, malgré la difficulté d'attirer de la main-d'oeuvre spécialisée, les intentions d'embauche demeurent fermes dans la plupart des branches d'activité et dans toutes les régions du Canada. Un bon nombre des travailleurs qui seront embauchés pour pallier la pénurie de main-d'oeuvre dans les secteurs en expansion sont ceux que les secteurs en perte de vitesse licencient.
Depuis 2003, année où le dollar canadien a commencé à s'apprécier, nous demandons régulièrement aux entreprises comment elles s'ajustent à cette appréciation. Environ la moitié des firmes interrogées se sont dites désavantagées par la montée du dollar. La plupart d'entre elles font partie des secteurs largement tributaires du commerce international, dont celui de la fabrication.
Enfin, bon nombre des entreprises sondées ont aussi affirmé avoir subi les effets de la concurrence de plus en plus vive livrée par l'Asie de même que des hausses considérables des coûts de leurs intrants, et surtout du renchérissement de l'énergie.
Face à ces trois défis, de nombreuses entreprises ont amorcé une restructuration en profondeur. En fait, quelque 80 % des fabricants interrogés ont déclaré avoir modifié leur fonctionnement. Beaucoup d'entreprises effectuent un repositionnement en se spécialisant dans la production à haute valeur ajoutée. Certaines délaissent la production de masse à forte intensité de main-d'oeuvre en faveur de la production à plus petite échelle de biens personnalisés. Plusieurs améliorent la qualité de leurs produits et services. D'autres transfèrent leurs opérations à forte intensité de main-d'oeuvre à l'étranger, mais conservent les activités hautement spécialisées au Canada et les développent.
Permettez-moi de vous exposer un dernier point très important. À partir de nos discussions avec ces entreprises et de notre analyse des données, il est clair que le secteur manufacturier n'est pas monolithique. Il n'existe pas de stratégie unique qui peut convenir à tous les fabricants, parce que chaque entreprise est unique. Certaines entreprises de fabrication doivent relever des défis qui sont propres à leur secteur. D'autres, comme les producteurs de machines et de matériel, connaissent une demande vigoureuse. Cependant, même si chaque entreprise est unique, presque toutes cherchent des moyens de s'adapter, et de prospérer, dans cette période riche en défis.
C'est avec plaisir que Paul et moi répondrons maintenant à vos questions.