La politique monétaire et le taux de change au Canada
Je suis honoré d'être à Beijing et d'avoir l'occasion de m'adresser à vous. Je me propose aujourd'hui de vous parler de ce que je connais le mieux, soit la conduite de la politique monétaire canadienne. Je vous entretiendrai des aspects positifs et négatifs de l'expérience que le Canada a vécue lorsqu'il est passé d'un taux de change fixe à un taux de change flottant, et des efforts que nous avons déployés par la suite afin de trouver un point d'ancrage pour la politique monétaire. J'ose espérer que mes observations apporteront un éclairage utile, à un moment où la Chine doit faire des choix importants quant à ses propres régimes de change et de politique monétaire.
L'expérience canadienne est digne d'intérêt, voire porteuse d'enseignements, et ce, pour deux raisons principales. Premièrement, notre pays est pratiquement celui qui a appliqué le plus longtemps un régime de changes flottants. En effet, mis à part une période de huit ans, le taux de change du dollar canadien a toujours été flexible depuis 1950. De plus, le Canada est l'un des rares pays à être passé deux fois des changes fixes aux changes flottants en évitant à la fois les écueils d'une crise économique ou d'une dépréciation rapide de sa monnaie.
Deuxièmement, les résultats obtenus au Canada peuvent présenter un intérêt en raison de la longue expérience que la Banque du Canada a acquise dans la mise en oeuvre d'une politique monétaire indépendante et dans la maîtrise de l'inflation au moyen d'un régime de cibles d'inflation. De fait, en 1991, le Canada est devenu le deuxième pays à se doter de pareilles cibles. Je suis heureux de dire que notre cadre de conduite de la politique monétaire, fondé sur des cibles d'inflation et un taux de change flottant, s'est avéré très efficace. Il a, en effet, permis à la production et à l'emploi de se maintenir à des niveaux élevés, dans un climat d'inflation basse et stable.
Le passage des changes fixes aux changes flottants
Permettez-moi de vous parler d'abord des leçons que nous retenons du passage d'un régime de changes fixes à un régime de changes flottants. Comme je viens de le mentionner, le Canada a effectué cette transition à deux reprises durant les années d'après-guerre, la première fois en 1950, et la seconde, en 1970, au terme d'une période de huit ans durant laquelle la valeur de notre monnaie était à nouveau arrimée à celle du dollar américain.
Dans les deux cas, la décision de laisser flotter notre dollar était dictée par la volonté des autorités canadiennes d'agir dans le meilleur intérêt de l'économie nationale. Nous estimions que le maintien d'un taux de change fixe, dans une période de fortes entrées de capitaux, risquait d'avoir deux conséquences majeures au pays. D'une part, d'intenses pressions inflationnistes se seraient exercées sur l'économie; d'autre part, nous aurions pu être aux prises avec le problème — tout aussi grave — d'une alternance de cycles de surchauffe et de récession.
En 1950, la décision d'adopter un taux de change flexible n'a pas été facile à prendre, d'autant plus que nous avions participé activement à la mise en place des institutions issues des accords de Bretton Woods et d'un système de changes fixes à l'échelle mondiale. Le Canada s'était efforcé de rester fidèle à ce système à la fin des années 1940. Toutefois, en 1950, la progression substantielle des prix des produits de base et l'afflux de capitaux dans notre secteur des ressources naturelles engendraient des pressions à la hausse sur le dollar canadien. À cela s'ajoutaient des mouvements de capitaux spéculatifs à court terme, qui venaient accentuer la pression exercée sur la monnaie. Afin de conserver le régime de changes fixes, les autorités canadiennes ont d'abord décidé d'intervenir sur une grande échelle. Les réserves de change ont augmenté de 40 % en moins de trois mois, et l'offre de monnaie a crû rapidement à un moment où l'économie nationale tournait déjà aux limites de sa capacité.
Soucieuses à la fois de maintenir la stabilité des prix intérieurs et de prévenir un boom de l'activité économique susceptible d'être suivi d'une récession, les autorités canadiennes estimaient devoir choisir entre deux options : réévaluer le dollar canadien ou le laisser flotter. Le FMI privilégiait nettement la première possibilité. Mais quel était le niveau approprié du cours de notre monnaie? Il était impossible de le déterminer avec certitude, et nous avons donc choisi la seconde option. Nous avons laissé le dollar fluctuer sur le marché, avec l'intention d'en fixer de nouveau la valeur ultérieurement. Or, nous avons été surpris de constater la vitesse à laquelle les mouvements spéculatifs de capitaux ont ralenti une fois le flottement du taux de change instauré. Comme la suite l'a montré, le dollar canadien s'est apprécié de seulement 5 % au cours des trois mois qui ont suivi.
Bien que le FMI voyait d'un très mauvais oeil l'adoption par le Canada d'un taux de change flexible, il a accepté cette mesure à la condition qu'elle soit temporaire. Il s'attendait à ce que nous retournions au système de Bretton Woods dès que notre monnaie s'établirait à un nouveau taux d'équilibre. Cependant, le régime de changes flottants a mieux fonctionné que la quasi-totalité des observateurs ne l'avaient prévu, et la « période de transition » a duré douze ans.
Le dollar pouvant flotter librement, la Banque du Canada était en mesure de conduire une politique monétaire adaptée aux besoins de l'économie canadienne. Elle pouvait alors faire face à la menace inflationniste qui accompagnait la croissance économique rapide et les importants flux d'investissements. Grâce à l'appréciation du dollar canadien et à la résorption des mouvements spéculatifs, le taux d'inflation, qui dépassait les 10 % en 1950, avait chuté sous la barre des 3 % en 1952.
Comme la plupart des pays à cette époque, le Canada appliquait des mesures de contrôle des changes de grande envergure au moment où il a décidé de laisser flotter sa monnaie. Mais à la faveur de la confiance accrue qu'inspirait le fonctionnement des marchés des changes, le Canada a aboli à peu près toutes les restrictions aux mouvements de capitaux dès 1951, soit bien avant que la majorité des autres pays n'en fassent autant. En outre, l'élimination des contrôles et le passage à un régime de changes flottants ont facilité le développement de nos marchés financiers intérieurs. Et ce facteur, combiné aux effets du taux de change flottant, a aidé l'économie à subir les ajustements nécessaires, à une époque où un grand nombre de Canadiens et de Canadiennes quittaient les régions rurales pour s'établir dans les villes.
Transportons-nous maintenant en 1970, année où nous avons laissé flotter notre monnaie pour la seconde fois. Les raisons qui motivaient alors ce choix étaient sensiblement les mêmes que dans les années 1950; le dollar canadien subissait des pressions à la hausse, et les réserves de liquidités internationales s'accumulaient rapidement. Ces pressions provenaient des prix élevés des produits de base, d'une recrudescence des entrées de capitaux ainsi que d'une forte demande étrangère pour les produits canadiens, demande qui découlait de la vigueur de l'économie mondiale et de la politique budgétaire très laxiste des États-Unis. Ces conditions laissaient craindre, encore une fois, que la montée des pressions inflationnistes au Canada n'entraîne des cycles de surchauffe et de récession, et que les mouvements de capitaux spéculatifs à court terme n'aggravent la situation.
Les autorités ont envisagé un certain nombre de possibilités, dont celles de hausser le cours du dollar canadien par rapport à son pendant américain, ou de contenir le taux de change à l'intérieur d'une bande de fluctuation assez large. Ces solutions n'ont cependant pas été retenues, car elles auraient pu créer d'autres pressions spéculatives. Il était évident que l'option la moins risquée pour le Canada résidait dans un retour au taux de change flexible.
Des points d'ancrage pour les politiques intérieures
Le taux de change flexible se révélait à nouveau utile, car il permettait d'atténuer les pressions inflationnistes immédiates. Mais à l'époque, nous ne comprenions pas qu'un régime de changes flottants ne peut à lui seul offrir un cadre complet pour la conduite de la politique monétaire. Il manquait un point d'ancrage nominal. J'entends par là une cible claire pour la conduite de la politique monétaire, un moyen d'assurer au public que celle-ci est sur la bonne voie, et une façon de fixer ou d'« ancrer » les attentes d'inflation. La Banque du Canada a cherché un tel point d'ancrage tout au long des années 1970 et 1980, et a finalement opté pour des cibles d'inflation.
En février 1991, la Banque et le gouvernement fédéral ont annoncé l'adoption d'une série de cibles de réduction de l'inflation. Aux yeux des autorités, un régime de cibles d'inflation explicites, assorti d'un calendrier précis pour leur réalisation, représentait un moyen d'influer sur les attentes concernant le rythme d'augmentation des prix. Ce régime allait faciliter le recul de l'inflation et, en même temps, obliger la banque centrale à rendre compte de ses actes. L'entente sur les cibles d'inflation a été reconduite trois fois; depuis 1995, elle précise que la Banque doit viser un taux d'inflation de 2 %, soit le point médian d'une fourchette cible allant de 1 à 3 %.
Permettez-moi de souligner certains points au sujet de notre régime de cibles d'inflation. Premièrement, s'engager à maîtriser l'inflation représente la meilleure façon, pour la Banque, de favoriser une croissance vigoureuse et durable de la production et de l'emploi. Autrement dit, la poursuite de cibles d'inflation est un moyen de parvenir à un but, et non une fin en soi.
Deuxièmement, il faut savoir que notre approche en la matière est symétrique, ce qui signifie que nous sommes aussi préoccupés lorsque l'inflation tombe en deçà de la cible que lorsqu'elle la dépasse. Ainsi, quand la demande de biens et de services pousse l'économie canadienne aux limites de sa capacité et qu'elle menace de faire monter l'inflation au-dessus de la cible, la Banque majore les taux d'intérêt pour ralentir l'expansion de l'économie. Inversement, lorsque cette dernière fonctionne en deçà des limites de sa capacité et que l'inflation risque de glisser sous la cible, la Banque abaisse les taux d'intérêt pour stimuler la croissance.
Enfin, le régime de cibles d'inflation est très important en ce qui concerne l'obligation de la Banque de rendre des comptes aux Canadiens. Dans le cas où le rythme d'accroissement des prix s'écarterait de façon persistante de la cible, nous serions tenus d'informer le public des raisons de cet écart, des mesures que nous compterions prendre afin de ramener l'inflation au taux visé et du temps que nous estimerions nécessaire pour y parvenir.
Le régime de cibles d'inflation nous a fourni tous les avantages escomptés, et même certains auxquels nous ne nous attendions pas! Laissez-moi en citer quelques-uns. Le taux d'inflation est devenu plus stable, s'établissant tout près de 2 % en moyenne, et les attentes du secteur privé en matière d'augmentation des prix sont maintenant bien arrimées. Fait important à signaler, notre approche symétrique a également contribué à stabiliser l'activité économique, en atténuant les sommets et les creux du cycle conjoncturel. Ainsi, les entreprises et les particuliers peuvent former des projets économiques à long terme avec une confiance accrue dans l'avenir, sans avoir à gaspiller des ressources économiques limitées pour tenter de se prémunir contre la menace d'une inflation élevée ou d'une déflation.
En outre, nous avons constaté que lorsque les attentes d'inflation sont solidement ancrées, les variations du taux de change ont une incidence beaucoup moins marquée sur le taux d'accroissement des prix. Il en est ainsi parce que les marchés savent que la banque centrale est déterminée à préserver la valeur interne du dollar canadien.
Le fait que nous ayons un objectif clair et que nous expliquions publiquement comment nous comptons l'atteindre permet aux marchés financiers de mieux anticiper la façon dont nous réagirons à diverses situations. Par ailleurs, au sein même de la Banque, les délibérations sur la politique monétaire ont gagné en rigueur et en clarté grâce au régime de cibles d'inflation.
Il y a deux autres points que j'aimerais souligner en ce qui a trait à ce régime. D'abord, notre expérience à ce chapitre nous a enseigné à quel point il est important de disposer d'un point d'ancrage pour la politique budgétaire également. À la suite de l'adoption de cibles d'inflation en 1991, les attentes d'inflation à court terme ont rapidement fléchi. Les attentes à long terme, par contre, ont mis beaucoup plus de temps à s'ajuster, et ce, pour deux raisons. Premièrement, il a fallu un certain temps pour que la Banque assoie sa crédibilité. Mais surtout, le gouvernement fédéral devait assainir les finances publiques. La Banque se rendait compte, en effet, que les problèmes d'ordre budgétaire l'empêchaient de mener une politique monétaire aussi expansionniste qu'elle l'aurait voulu durant la première moitié des années 1990. Au milieu de cette décennie, cependant, le gouvernement s'est engagé à mettre fin aux déficits budgétaires qui se succédaient d'année en année, et à ramener le ratio de la dette publique au PIB sur une trajectoire descendante et viable. Grâce à cet engagement, le Canada a enfin pu compter sur des points d'ancrage à la fois pour ses politiques monétaire et budgétaire. Cela nous permet aujourd'hui d'orienter la politique monétaire plus directement en fonction des conditions économiques du pays.
D'autre part — et c'est là le second point que je souhaite mettre en évidence — , nous avons constaté qu'en présence de ces deux points d'ancrage, le régime de changes flottants pouvait jouer un rôle plus efficace au sein de l'économie canadienne. Ce régime, en effet, remplit une fonction très importante en aidant l'économie à s'adapter à l'évolution de la conjoncture. Les variations du taux de change envoient les signaux appropriés aux entreprises et aux consommateurs et facilitent ainsi les ajustements économiques requis. Voici un exemple observé récemment. Lorsque la demande mondiale de biens et de services canadiens augmente, il s'ensuit généralement une appréciation de notre dollar. Celle-ci, à son tour, tend à freiner les exportations et à stimuler les importations. De cette façon, le taux de change flexible favorise l'équilibre de l'offre et de la demande globales au sein de l'économie, ce qui contribue à contenir l'inflation. Ce processus joue aussi en sens inverse. L'idée qu'il importe de retenir ici est la suivante : une fois que des points d'ancrage sont en place à l'égard des politiques, un taux de change flexible représente un atout majeur pour une économie, car il aide à équilibrer l'offre et la demande globales.
Conclusion
En conclusion, je tiens à rappeler que le Canada a fait figure de pionnier en ce qui a trait au régime de changes flottants et aux cibles d'inflation. Et la vaste expérience que nous avons acquise dans ce domaine pourrait être utile aux autres pays qui envisagent de modifier la façon dont ils mènent leur politique monétaire. Notre longue expérience du taux de change flexible s'est révélée très positive, et celui-ci continue de faire partie intégrante de notre cadre de conduite de la politique monétaire.
Toutefois, l'expérience nous a aussi appris qu'un taux de change flottant, à lui seul, ne suffit pas. Un pays a aussi besoin d'un point d'ancrage intérieur pour sa politique monétaire. Au Canada, nous avons essayé différentes approches et avons finalement adopté un cadre fondé sur des cibles d'inflation et un taux de change flottant. Ce cadre aide l'économie à absorber les chocs d'origine tant externe qu'interne. En outre, conjugué à une politique budgétaire visant le maintien du ratio de la dette publique au PIB sur une trajectoire descendante et viable, il a contribué à stabiliser la production et l'emploi et à les garder à un niveau élevé, en plus de se traduire par un taux d'inflation bas et stable.
Pour terminer, je tiens à dire que la transformation récente de l'économie chinoise est absolument remarquable. Les efforts déployés par les autorités et le peuple chinois en vue d'élever le niveau de vie et d'intégrer le pays dans l'économie mondiale méritent d'être salués. Mais il reste encore beaucoup à faire. J'espère donc que mes observations sur la lutte que le Canada a menée pour se doter d'un cadre de politique adapté à ses besoins sauront apporter un éclairage utile, à un moment où la Chine doit prendre des décisions à l'égard de ses propres politiques.