L'ajustement de l'économie canadienne aux forces à l'oeuvre à l'échelle mondiale

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Je suis heureux de l'occasion qui m'est donnée de revenir à Tokyo et de prendre la parole devant la présente assemblée. Quel que soit le pays où l'on se trouve de nos jours, tout le monde parle des mêmes puissantes forces économiques qui sont à l'oeuvre. Nous sommes tous conscients des déséquilibres financiers imposants et croissants aux États-Unis et en Asie. L'essor rapide des économies de marché émergentes alimente la demande de produits de base, ce qui pousse à la hausse les cours mondiaux du pétrole et de nombreuses matières premières non énergétiques. Parallèlement, les gains de productivité enregistrés dans quelques pays et la concurrence qui s'exerce à l'échelle du globe font diminuer les prix de certains biens de consommation, services de communication et équipements informatiques. Toutes ces forces entraînent des variations marquées des taux de change des principales monnaies, y compris une vive appréciation du dollar canadien par rapport à son pendant américain depuis à peu près deux ans. Bref, nous traversons actuellement une période chargée de défis sur le plan économique, non seulement au Canada et au Japon, mais partout dans le monde.

Aujourd'hui, j'aimerais aborder deux sujets. D'abord, je parlerai de l'ajustement de l'économie canadienne à ces forces, qui est facilité par le cadre de mise en oeuvre de la politique monétaire de la Banque du Canada. Puis, je passerai rapidement en revue les mesures qui doivent être prises par l'ensemble des pays pour aider à corriger les déséquilibres mondiaux de façon ordonnée.

Les ajustements au sein de l'économie canadienne

Permettez-moi de commencer par l'économie canadienne, avec pour toile de fond la conduite de la politique monétaire par la Banque du Canada, dont je dirai quelques mots.

Selon la Loi sur la Banque du Canada, notre institution a été créée « pour atténuer, autant que possible par l'action monétaire, les fluctuations du niveau général de la production, du commerce, des prix et de l'emploi, et de façon générale pour favoriser la prospérité économique et financière du Canada ». Pour y arriver, nous nous efforçons de garder l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible. Plus précisément, notre objectif consiste à maintenir le taux d'accroissement annuel des prix à la consommation à 2 %, soit le point médian d'une fourchette cible qui va de 1 à 3 %.

Pour atteindre cet objectif, nous cherchons à faire en sorte que l'économie tourne à son plein potentiel. J'entends par là que nous veillons à ce que l'offre et la demande globales restent en équilibre. En termes simples, si la demande de biens et de services pousse l'économie canadienne aux limites de sa capacité et menace de faire monter l'inflation au-dessus de la cible, la Banque majorera son taux d'intérêt directeur. Cette mesure entraînera un relèvement des autres taux d'intérêt et contribuera à ralentir la demande. À l'inverse, si l'économie fonctionne en deçà de sa capacité et que l'inflation risque de glisser sous la cible, la Banque abaissera son taux directeur en vue de stimuler la demande. Ainsi, en maintenant l'inflation à un niveau bas et stable, la politique monétaire favorise du même coup une plus grande stabilité de la production.

J'ajouterai que, depuis que le Canada a adopté son régime de cibles d'inflation, en 1991, nous avons obtenu d'excellents résultats. La hausse des prix s'est située en moyenne très près de 2 % et est demeurée à l'intérieur de la fourchette cible, mis à part de rares exceptions dues surtout aux variations importantes des cours du pétrole et du gaz naturel. De plus, nous avons pu constater que notre approche symétrique en matière de cibles d'inflation a contribué à atténuer les sommets et les creux du cycle économique.

Je dois aussi préciser que le régime de changes flottants est un élément essentiel de notre cadre de conduite de la politique monétaire. Nous n'avons pas de cible ou de niveau préféré en ce qui concerne le taux de change du dollar canadien, mais celui-ci est néanmoins un prix relatif important au sein de notre économie. Une monnaie flottante nous aide à atteindre notre cible d'inflation, et le rôle d'amortisseur qu'elle joue peut permettre d'atténuer les effets sur l'économie d'événements se produisant tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Canada. Je reviendrai sur ce point un peu plus tard.

Le contexte étant posé, examinons maintenant les façons dont l'économie canadienne s'adapte à l'évolution de la conjoncture économique mondiale. Comme je l'ai mentionné, le dollar canadien s'est vivement apprécié et les cours des produits de base ont très fortement augmenté depuis à peu près deux ans, bien qu'ils soient relativement stables depuis quelques mois. Les termes de l'échange du Canada — c'est-à-dire le ratio des prix que les Canadiens obtiennent de leurs exportations à ceux qu'ils paient pour leurs importations — se sont améliorés d'environ 15 % depuis la fin de 2001, ce qui a entraîné des revenus réels plus élevés et une demande intérieure plus forte au pays.

Comment l'économie canadienne a-t-elle réagi à cette montée des prix et de la demande? Dans sa livraison d'avril du Rapport sur la politique monétaire, la Banque a fait état d'un accroissement des dépenses d'investissement des entreprises dans les domaines de l'extraction pétrolière et gazière, des autres activités minières et de la fabrication de produits du bois. On assiste également à un essor des investissements dans des secteurs qui ne sont pas très ouverts aux échanges internationaux, tels que ceux de la production d'électricité, de la finance et des assurances, ainsi que de l'information et de la culture. En l'occurrence, les entreprises réagissent aux gains substantiels qui ont été enregistrés au chapitre de la demande intérieure. Par ailleurs, les investissements dans le logement ont été considérables.

Toutefois, dans d'autres secteurs largement tributaires du commerce international, les prix n'ont pas augmenté ou sinon très lentement. Je parle ici des industries productrices de biens, comme celles des pièces automobiles, du textile et de la confection, ainsi que de certaines branches du secteur des services, dont celle du tourisme. Les entreprises de ces secteurs se ressentent de l'appréciation du dollar canadien et doivent, de surcroît, faire face à une intensification de la concurrence provenant d'autres régions du globe.

Ce qui est rassurant, c'est que bon nombre d'entreprises canadiennes procèdent à des ajustements. Elles investissent pour élever leur degré de spécialisation et leur productivité ainsi que pour abaisser leurs coûts. Puisque la majorité des machines et du matériel destinés à améliorer la productivité sont facturés en dollars É.-U., l'appréciation de notre monnaie a facilité l'achat de tels outils par les entreprises canadiennes. La concurrence accrue encourage les sociétés à se spécialiser davantage et à offrir des services à plus forte valeur ajoutée et sur mesure.

Il se produit également d'autres types d'ajustements. Ainsi, un nombre croissant d'entreprises cherchent à comprimer leurs coûts en important plus d'intrants. C'est manifestement le cas des fabricants de matériel de télécommunication. D'autres firmes encore préfèrent délaisser la production de biens et de services peu rentables pour se tourner vers ceux qui offrent de meilleures perspectives de profits.

En considérant l'économie dans son ensemble, nous prévoyons que la croissance cette année et l'an prochain proviendra principalement du dynamisme de la demande intérieure, étant donné que l'appréciation passée du dollar canadien continue de restreindre le volume des exportations nettes. Comme nous l'avons indiqué dans notre dernière livraison du Rapport sur la politique monétaire, nous nous attendons à ce que l'économie canadienne retourne à son plein potentiel au second semestre de 2006. Bien entendu, nos prévisions demeurent entachées de risques, aussi bien à la hausse qu'à la baisse. Ceux-ci sont en grande partie liés à l'évolution de la situation sur la scène mondiale, aux modifications des prix relatifs qui les accompagnent — et dont j'ai déjà parlé —, ainsi qu'à la manière dont l'économie canadienne s'ajuste à ces facteurs.

Comment la Banque du Canada contribue-t-elle à ce processus d'ajustement? Notre politique monétaire vise actuellement à maintenir à un niveau élevé la progression de la demande intérieure. Les bas taux d'intérêt en vigueur stimulent en effet les dépenses des ménages et des entreprises, ce qui aide l'économie à tourner près des limites de sa capacité.

Cet aspect est particulièrement important dans le cadre du processus d'ajustement. Car en maintenant l'inflation à un niveau bas et stable comme nous le faisons, nous permettons aux entreprises et aux consommateurs de mieux décoder les signaux que transmettent les prix sur les marchés et, ainsi, de prendre de meilleures décisions à long terme lorsque d'importants événements économiques surviennent. Devant ces signaux, les secteurs en décroissance du fait d'une faible demande sont incités à libérer des ressources que pourront absorber les secteurs en expansion, qui bénéficient d'une demande vigoureuse. Naturellement, ce genre d'ajustement ne se produit pas du jour au lendemain, et ne se fait jamais simplement ni sans peine. Des travailleurs peuvent devoir déménager ou se recycler, et les entreprises en croissance peuvent mettre un certain temps à se doter des biens d'équipement dont elles ont besoin pour augmenter leur productivité. Inévitablement, certaines firmes mettront la clé sous la porte et des employés se retrouveront au chômage pendant quelque temps. Mais, du point de vue macroéconomique, les coûts sociaux et économiques liés aux ajustements seront moins élevés dans l'ensemble si les attentes d'inflation sont solidement ancrées, si l'économie fonctionne près des limites de sa capacité et si un taux de change flottant aide à absorber les chocs externes.

Les ajustements nécessaires à l'échelle internationale

Voilà résumée en quelques mots la façon dont le Canada s'ajuste aux forces économiques mondiales. Notre régime de changes flottants facilite les mouvements du taux de change réel de notre monnaie, ce qui est indispensable au processus d'ajustement. Mais ce n'est pas le cas de tous les pays. Lorsque le taux de change nominal est fixe, l'ajustement du taux de change réel ne peut s'effectuer que par l'intermédiaire de fluctuations marquées des salaires et des prix relatifs. En théorie, cela est possible, pourvu que les salaires et les prix soient extrêmement flexibles, tant à la hausse qu'à la baisse. Mais, en pratique, un tel degré de flexibilité n'existe pas. Par conséquent, lorsque les taux de change sont fixes, les ajustements peuvent quand même s'effectuer, mais au prix fort : la production diminue et le chômage augmente dans les pays dont la balance courante est déficitaire, et, à la longue, l'inflation monte en flèche dans ceux où elle est excédentaire.

Cependant, même si cet ajustement est coûteux, il donne des résultats, dans la mesure où les pays qui fixent le cours de leur monnaie en intervenant sur les marchés des changes ne contrebalancent pas les conséquences monétaires de cette intervention en la « stérilisant ». Il s'agit là d'un point important. La stérilisation de l'intervention empêche temporairement les variations des salaires et des prix qui permettent l'ajustement économique nécessaire. En pareils cas, celui-ci est retardé, aussi bien là où le solde de la balance courante affiche un excédent que là où il accuse un déficit. Cette approche ne permet pas d'éviter l'ajustement et les coûts qui y sont associés, mais seulement de les différer. En fait, les coûts finissent généralement par être plus élevés qu'ils ne l'auraient été autrement, précisément à cause de ce retard. Pour véritablement réduire ces coûts au minimum, il n'y a pas d'autre moyen que de permettre le flottement des taux de change nominaux.

Pendant des décennies, le Canada a bénéficié du régime de changes flottants dont il s'est doté, lequel facilite les ajustements économiques. Vers la fin des années 1990, la plupart des pays industrialisés et de nombreuses économies de marché émergentes avaient pu constater les avantages d'un tel régime. D'autres pays toutefois, en particulier ici en Asie mais aussi ailleurs, ont opté pour un régime de changes fixes. Et malheureusement, certains d'entre eux ont rejeté les mécanismes d'ajustement qui devraient aller de pair avec un tel régime. En stérilisant leurs interventions sur les marchés des changes, ils accumulent en effet des réserves de change encore plus considérables, mais surtout, ils nuisent à l'efficience de leur économie intérieure et entravent la résorption des déséquilibres.

En raison d'obstacles comme celui-ci, les déséquilibres mondiaux s'accentuent, ce qui accroît le risque d'une correction désordonnée à plus ou moins longue échéance. En outre, plus on retarde l'ajustement, plus on court le risque que les pays industrialisés prennent des mesures protectionnistes à l'encontre des économies de marché émergentes qui sont perçues comme ne jouant pas selon les règles du jeu. C'est peut-être d'ailleurs la plus grande menace pesant sur l'économie mondiale : une montée du protectionnisme pourrait étouffer la croissance du commerce international qui a entraîné une hausse des revenus aux quatre coins de la planète.

Alors, que faut-il faire? L'adoption de régimes de changes appropriés est un point de départ important. Mais ce n'est qu'un élément parmi d'autres d'un cadre de politiques facilitant les ajustements et la correction des déséquilibres mondiaux. En premier lieu, nous devons tous appuyer activement les négociations menées sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce dans le cadre de la déclaration de Doha, reconnaître la légitimité du rôle que joue l'OMC à titre d'arbitre du commerce international, et résister aux appels au protectionnisme qui sont lancés dans nos propres pays, sinon nous finirons tous par en pâtir. Deuxièmement, nous devons tous accroître la flexibilité de nos marchés intérieurs. Troisièmement, nous devons tous créer et maintenir un système financier solide. Et enfin, nous devons tous appliquer des politiques budgétaires et monétaires judicieuses.

Nous savons ce qu'il faut faire pour aider nos économies à s'ajuster aux forces qui sont à l'oeuvre à l'échelle mondiale. Nous discutons tous beaucoup des politiques à mener, mais nous tardons à agir. Si nous réussissons à passer à l'action, non seulement nous aiderons nos propres économies, mais nous améliorerons les perspectives de croissance à long terme de l'économie mondiale. Voilà un dénouement qui est dans l'intérêt de tous.