L'ajustement du Canada aux forces économiques mondiales
La Banque du Canada s'intéresse à la question de l'ajustement de l'économie canadienne aux mouvements du taux de change depuis fort longtemps. Le Canada étant une économie très ouverte, nous devons constamment évaluer comment les mouvements du taux de change influent sur l'activité réelle, de manière à comprendre l'incidence de ces variations sur la conduite de la politique monétaire. Et, étant donné l'appréciation de 25 % qu'a enregistrée le dollar canadien depuis environ deux ans, cette préoccupation a gagné en importance.
Bien sûr, le taux de change n'est pas le seul facteur dont nous devons tenir compte. L'économie mondiale est façonnée par d'immenses forces, dont la montée en puissance de la Chine et de l'Inde et les déséquilibres financiers énormes qui s'aggravent aux États-Unis et en Asie. Résultat, non seulement les taux de change se sont réalignés, mais les prix relatifs ont aussi connu des variations considérables. Les prix des produits de base non énergétiques se sont raffermis, les cours pétroliers ont grimpé, les prix d'un grand nombre de biens de consommation se sont stabilisés ou ont reculé, et les coûts des services de communication et du matériel informatique ont chuté de façon notable. Aujourd'hui, je veux vous entretenir des types d'ajustement que ces forces commandent au sein de l'économie canadienne. Je ferai d'abord un survol du cadre de mise en oeuvre de notre politique monétaire et de la manière dont il facilite le processus d'ajustement. Je consacrerai quelques minutes à la prise en compte, par la Banque, des fluctuations du taux de change dans la conduite de la politique monétaire. Puis, je discuterai de la façon dont l'économie réelle s'adapte aux variations du taux de change et à d'autres forces qui sont à l'oeuvre à l'échelle mondiale. Enfin, je résumerai les projections économiques pour le Canada présentées dans le Rapport sur la politique monétaire.
Le rôle de la politique monétaire dans l'ajustement de l'économie
Permettez-moi d'abord de dire quelques mots sur notre cadre de mise en oeuvre de la politique monétaire. Selon la Loi sur la Banque du Canada, notre institution a été créée pour « atténuer, autant que possible par l'action monétaire, les fluctuations du niveau général de la production, du commerce, des prix et de l'emploi, et de façon générale pour favoriser la prospérité économique et financière du Canada ». Pour y arriver, nous nous efforçons d'instaurer un climat caractérisé par un niveau d'inflation bas, stable et prévisible. Plus particulièrement, notre objectif consiste à maintenir le taux d'accroissement annuel des prix à la consommation au point médian de 2 % d'une fourchette cible, qui va de 1 à 3 %. C'est ainsi que nous pouvons le mieux contribuer à une croissance vigoureuse et durable de la production et de l'emploi. Entendons-nous bien, la poursuite d'une cible d'inflation n'est pas une fin en soi. C'est plutôt le meilleur moyen que nous ayons pour respecter notre engagement de promouvoir la prospérité économique et financière des Canadiens et des Canadiennes.
Pour atteindre cet objectif, nous cherchons à faire tourner l'économie à plein régime, c'est-à-dire à garder l'offre et la demande globales en équilibre. Ainsi, lorsque la demande de biens et de services pousse l'économie canadienne aux limites de sa capacité et qu'elle menace de faire monter l'inflation au-dessus de la cible, la Banque majore les taux d'intérêt pour ralentir le rythme d'expansion de l'économie. Inversement, lorsque cette dernière fonctionne en deçà des limites de sa capacité et que l'inflation risque de glisser sous la cible, la Banque abaisse les taux d'intérêt pour stimuler la croissance. En maintenant l'inflation à un niveau bas et stable, la politique monétaire favorise une stabilité accrue de la production.
Notre régime de changes flottants est un élément important de notre cadre de conduite de la politique monétaire. Je m'empresse de préciser que nous n'avons pas de cible ou de niveau préféré en ce qui concerne le dollar canadien. Je reviendrai là-dessus dans un moment.
Mais, en premier lieu, j'aimerais vous exposer comment notre politique monétaire facilite le processus d'ajustement de l'économie aux puissantes forces économiques auxquelles elle est confrontée actuellement. Tout d'abord, un taux d'inflation bas et stable permet aux entreprises et aux consommateurs de mieux décoder les signaux que transmettent les prix sur les marchés, ce qui les aide à prendre de meilleures décisions à long terme lorsque d'importants événements économiques surviennent.
La politique monétaire agit aussi sur le processus d'ajustement grâce à notre stratégie visant à maintenir l'offre et la demande globales en équilibre. Dans ce contexte, les ressources économiques libérées par les secteurs en perte de vitesse, où la demande est faible, sont absorbées par les secteurs en expansion, qui bénéficient d'une demande vigoureuse. Naturellement, ce genre d'ajustement ne se fait jamais simplement ni sans peine, surtout sur le plan personnel. Mais, du point de vue macroéconomique, les coûts sociaux et économiques seront moins élevés si les attentes d'inflation sont solidement ancrées et si l'économie fonctionne près des limites de sa capacité.
Notre régime de changes flottants est un autre aspect de notre cadre de mise en oeuvre de la politique monétaire qui facilite le processus d'ajustement. Je m'explique. L'évolution de la demande mondiale de biens et de services d'un pays a tendance à faire fluctuer la monnaie du pays en question. Ces fluctuations contribuent à garder l'équilibre au sein de l'économie en compensant l'incidence des variations de la demande. Par exemple, une hausse de la demande mondiale de biens et de services canadiens donne généralement lieu à une appréciation de notre dollar. À son tour, celle-ci tend à freiner les exportations et à stimuler les importations. C'est ainsi qu'en favorisant une compression de la demande, le taux de change flottant aide à équilibrer l'offre et la demande globales. Parallèlement, lorsque la demande mondiale de biens et de services canadiens se tasse, le taux de change flottant contribue à renforcer cette demande, ce qui concourt là encore à maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande globales.
Les mouvements du taux de change et la politique monétaire
Cela m'amène à mon prochain sujet, soit la perception que nous avons, à la Banque du Canada, des variations du taux de change. Comme je l'ai dit plus tôt, nous n'avons pas de cible ou de niveau préféré en ce qui a trait au dollar canadien. Mais cela ne signifie pas pour autant que nous n'accordons pas d'importance à la valeur de la monnaie, loin de là. À la Banque, nous surveillons constamment de près le taux de change, à la recherche de renseignements précieux qui nous aident à mieux interpréter et prévoir la vigueur de la demande globale de biens et de services canadiens.
La prise en compte du taux de change dans la conduite de la politique monétaire est compliquée par le fait que les mouvements de ce taux ont diverses causes. Certains découlent d'une variation de la demande de biens et de services d'un pays et d'autres non. Il importe de faire la distinction entre les deux, parce que les deux types de mouvements n'ont pas les mêmes conséquences sur la demande au sein de l'économie et, partant, sur la politique monétaire. En fait, la cause d'une variation du dollar canadien peut être tout aussi importante pour la politique monétaire que la variation elle-même.
Permettez-moi de prendre quelques minutes pour vous expliquer ce qu'il en est. Premièrement, examinons la catégorie de mouvements du taux de change qui résultent de l'évolution de la demande extérieure. En 2003 et pendant une bonne partie de 2004, le dollar canadien s'est beaucoup apprécié. Cette situation était attribuable, au moins dans une certaine mesure, à la forte demande d'exportations canadiennes et à la flambée des cours mondiaux de bon nombre de ces exportations, notamment des produits de base. Le raffermissement du huard a, à son tour, stimulé les importations et freiné les exportations. Cet exemple illustre comment l'appréciation de notre monnaie peut ralentir la progression initiale de la demande globale. Si cet effet modérateur exercé sur la demande globale contrebalançait parfaitement l'augmentation initiale directe de celle-ci, toutes choses étant égales par ailleurs, aucune intervention ne serait requise dans l'optique de la politique monétaire.
Voyons maintenant la catégorie de mouvements qui ne sont pas liés à l'évolution de la demande de biens et de services d'un pays, mais qui peuvent plutôt être associés aux variations soit de la demande extérieure d'actifs financiers de ce pays, soit de la demande intérieure d'actifs financiers étrangers. Par exemple, ces deux dernières années, les investisseurs se sont inquiétés de plus en plus du niveau élevé et sans cesse croissant du déficit courant aux États-Unis, qui, selon le Bureau of Economic Analysis, a atteint en 2004 pas moins de 666 milliards de dollars É.-U., ou 5,6 % du PIB. C'est pourquoi le dollar américain s'est déprécié par rapport à beaucoup d'autres grandes monnaies, dont la nôtre. Dans ce cas, le raffermissement du dollar canadien a fait fléchir les exportations nettes, tout comme dans l'exemple précédent. Mais puisqu'il n'y a pas eu de hausse initiale de la demande à compenser, l'incidence sur la demande globale au pays serait clairement négative. Et, s'il devait persister, le recul de la demande exercerait des pressions à la baisse sur les prix et l'emploi au Canada qui pourraient faire tomber le taux d'inflation sous notre cible. En pareilles circonstances, et toutes choses étant égales par ailleurs, la Banque du Canada devrait mener une politique monétaire plus expansionniste que cela n'aurait été le cas autrement.
Je précise qu'il ne faut pas croire que la Banque du Canada réagit aux variations du taux de change en adoptant une approche mécanique et stéréotypée. C'est tout le contraire qui est vrai. L'analyse de ces mouvements et le choix des mesures de politique monétaire à appliquer dans les circonstances sont des tâches complexes. Pensons à l'évolution du cours du dollar canadien par rapport à son pendant américain ces toutes dernières années. Il est évident que l'appréciation du huard résulte à la fois d'un renforcement de la demande de biens et de services canadiens et de l'affaiblissement généralisé de la devise américaine. Mais, durant la période considérée, il y a eu des phases où l'un de ces facteurs semblait jouer un rôle plus prépondérant que l'autre, et vice-versa.
Les stratégies d'adaptation des entreprises
Maintenant que je vous ai expliqué comment la Banque du Canada aborde les mouvements du taux de change, j'aimerais vous entretenir de la manière dont l'économie réelle s'adapte à l'évolution de l'économie mondiale et aux variations importantes des prix relatifs qui en découlent.
Il est intéressant de comparer la situation des deux dernières années avec celle de la période allant de 1997 à 2002. Du début de 1997 à la fin de 2001, la chute des cours des produits de base avait causé un repli de plus de 6 % des termes de l'échange du Canada — c'est-à-dire le ratio des prix que les Canadiens obtiennent de leurs exportations à ceux qu'ils paient pour leurs importations. Dans le même temps, l'« exubérance irrationnelle » des investisseurs à l'égard des perspectives de croissance de l'économie américaine avait été à l'origine de flux de capitaux importants vers les États-Unis, qui a contribué à l'appréciation du dollar américain par rapport à d'autres monnaies. La valeur du dollar canadien est ainsi passée d'un peu moins de 75 cents É.-U. au début de 1997 à un creux d'environ 61,8 cents É.-U. en janvier 2002, et a terminé l'année à environ 63,4 cents É.-U.
Au cours de cette période, les coûts de main-d'oeuvre ont baissé au Canada comparativement aux prix des biens d'équipement, car la majorité de ces derniers sont importés et facturés en dollars É.-U., tandis que les coûts de main-d'oeuvre sont payés en dollars canadiens. Les entreprises ont réagi de manière appropriée à ces signaux transmis au moyen des prix en produisant davantage de services et de biens manufacturés qui demandent relativement plus de main-d'oeuvre et moins de machines et matériel.
La conjoncture dans laquelle nous avons évolué ces deux dernières années est, sous bien des aspects, l'inverse de celle qui avait cours de 1997 à 2002. Les prix des produits de base se sont redressés, et nos termes de l'échange se sont accrus de plus de 16 % entre le quatrième trimestre de 2001 et le quatrième trimestre de 2004. Les coûts de main-d'oeuvre ont augmenté par rapport à ceux des biens d'équipement, et, encore une fois, les entreprises canadiennes réagissent aux signaux provenant des prix. Nous observons actuellement une forte hausse des dépenses d'investissement dans les domaines de l'extraction pétrolière et gazière, des autres activités minières et de la fabrication de produits du bois. Les sociétés sont motivées à la fois par les prix élevés qu'elles obtiennent pour leurs produits et par l'espoir qu'ils se maintiendront à ce niveau.
On assiste également à un essor des investissements dans des secteurs peu ouverts aux échanges internationaux, tels que ceux qui concernent la production d'électricité, la finance et les assurances, ainsi que l'information et la culture. En l'occurrence, les entreprises réagissent aux gains substantiels qui ont récemment été enregistrés au chapitre de la demande intérieure.
Dans ces deux cas, il est essentiel de noter que les investissements prévus sont en grande partie motivés par la volonté d'accroître la capacité de production.
Il n'en va pas vraiment ainsi pour les secteurs largement tributaires du commerce international et qui n'ont pas connu de hausse des prix de leurs produits. Je veux parler notamment des industries des pièces automobiles, du textile et de la confection. Les entreprises concernées se ressentent de l'appréciation du dollar canadien et doivent, de surcroît, faire face à une concurrence accrue provenant de pays comme l'Inde et la Chine.
Ce qui est rassurant, c'est que dans l'adversité, bon nombre de ces entreprises procèdent à des ajustements. Elles investissent pour accroître leur productivité et réduire leurs coûts, et non pour relever leur capacité de production. Puisque la majorité des machines et du matériel destinés à améliorer la productivité sont fabriqués à l'étranger et facturés en dollars É.-U., l'appréciation du huard a abaissé leurs coûts par rapport à ceux de la main-d'oeuvre au Canada.
D'autres entreprises emploient des stratégies différentes pour s'adapter à la hausse du dollar canadien et à l'intensification de la concurrence que leur livrent des fournisseurs étrangers. Un nombre croissant cherchent à comprimer leurs coûts en augmentant leurs importations d'intrants. D'autres encore préfèrent délaisser la production de biens et de services peu rentables pour se tourner vers ceux qui offrent de meilleures perspectives de profits.
Naturellement, tous ces ajustements ont une incidence sur le marché canadien du travail. Dans l'ensemble, la progression de l'emploi a été forte, mais avec des différences importantes selon les secteurs. Ainsi, des gains ont été réalisés à ce chapitre dans les secteurs producteurs de matières premières et dans ceux qui sont peu exposés à la concurrence internationale. Par contre, l'emploi a chuté dans un certain nombre d'industries manufacturières. Cela tient, au moins en partie, au fait que certaines entreprises substituent actuellement des biens d'équipement à la main-d'oeuvre en vue de réduire leurs coûts, c'est-à-dire qu'elles font l'inverse de ce que nous observions à la fin des années 1990 et au début de la présente décennie.
Les perspectives économiques du Canada
Avant de conclure, permettez-moi de passer rapidement en revue les projections économiques pour le Canada que nous avons publiées hier dans notre dernière livraison du Rapport sur la politique monétaire.
L'évolution de l'économie mondiale est généralement conforme aux attentes, et les perspectives de la poursuite d'une croissance vigoureuse sont assez favorables, surtout à court terme. Les prévisions pour l'économie canadienne d'ici la fin de 2006 demeurent essentiellement les mêmes que celles qui avaient été présentées dans la Mise à jour de janvier du Rapport.
Dans notre scénario de référence, nous prévoyons un taux d'expansion annualisé de quelque 2 1/2 % au premier semestre de 2005 et de 3 % au second. L'activité devrait s'accroître à un rythme avoisinant 3 1/2 % tout au long de 2006, amenant ainsi l'écart de production à se résorber au second semestre de l'an prochain. En moyenne annuelle, la croissance s'établirait ainsi aux alentours de 2 1/2 % en 2005, soit un niveau légèrement inférieur à celui avancé dans la Mise à jour de janvier, tandis que la projection pour 2006 reste à peu près inchangée, à environ 3 1/4 %.
Comme nous nous attendons à ce que l'économie tourne de nouveau à plein régime au second semestre de l'an prochain, l'inflation mesurée par l'indice de référence devrait remonter à 2 % vers la fin de 2006. Selon un scénario élaboré à partir des cours à terme du pétrole, le rythme d'augmentation de l'IPC global devrait demeurer supérieur à la cible de 2 % pendant quelque temps, puis se replier en deçà de ce niveau au second semestre de 2006.
À la lumière de cette projection, une réduction du degré de détente monétaire sera requise au fil du temps. Je tiens toutefois à préciser encore une fois que la Banque n'a en tête aucun calendrier ou sentier d'évolution particulier pour les taux d'intérêt.
Conclusion
Le temps est venu pour moi de conclure. Comme je le disais au début, de puissantes forces économiques sont à l'oeuvre à l'échelle mondiale, et il appartient à chaque pays de s'y adapter. De leur côté, les entreprises canadiennes procèdent aux ajustements nécessaires pour pouvoir faire face aux enjeux de l'heure et tirer parti des nouveaux débouchés. Pour notre part, à la Banque du Canada, nous continuerons à surveiller ces forces de près et à évaluer leur incidence. Nous continuerons également à mettre en oeuvre la politique monétaire de sorte que l'inflation se maintienne près de la cible et donc que l'économie canadienne fonctionne à plein régime. C'est ainsi que nous faciliterons les ajustements auxquels se livrent les entreprises canadiennes face aux transformations que subit l'économie mondiale.