Les cibles de maîtrise de l'inflation : une perspective canadienne
Bonjour. La dernière fois que j'ai pris la parole devant votre association, il y a trois ans, j'ai parlé de la conduite de la politique monétaire en présence de chocs économiques. J'avais alors abordé sommairement la question du régime de cibles d'inflation appliqué par la Banque du Canada. Je suis heureux d'avoir accepté votre invitation et de revenir aujourd'hui vous expliquer plus en détail comment nous utilisons ces cibles comme point d'ancrage aux fins de la mise en oeuvre de notre politique monétaire.
L'invitation arrive à point nommé, puisque l'entente sur les cibles d'inflation conclue entre la Banque du Canada et le gouvernement canadien devra être renouvelée l'an prochain. À la Banque, nous analysons constamment le cadre de conduite de notre politique monétaire pour déterminer ce qui fonctionne bien et ce qui doit être amélioré. Aussi suivons-nous avec beaucoup d'intérêt le débat qui a cours ici aux États Unis, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Réserve fédérale, quant à l'opportunité d'adopter des cibles d'inflation.
Dans ce contexte, le procès-verbal de la réunion de février du Comité de l'open market indique que mes collègues de la Réserve fédérale ont eu une discussion au sujet des avantages et des inconvénients liés à l'adoption d'une cible explicite de maîtrise de l'inflation. Les partisans de cette option ont expliqué comment elle peut contribuer à arrimer les attentes d'inflation, à clarifier le processus décisionnel en matière de politique monétaire et à faciliter les communications. Les opposants ont pour leur part avancé qu'une cible de maîtrise de l'inflation ne présenterait sans doute que peu d'avantages. Selon eux, son adoption pourrait détourner l'objet de la politique monétaire ou en limiter la portée, et une telle cible pourrait sembler — et j'insiste sur le mot « sembler » — être incompatible avec le double mandat de la Réserve fédérale, qui consiste à favoriser la stabilité des prix et à maximiser l'emploi.
Avant de poursuivre, je tiens absolument à souligner que mon but, aujourd'hui, n'est pas d'intervenir dans le débat en cours à la Réserve fédérale. Je n'aurais pas la prétention de dicter à cette dernière la conduite qu'elle doit tenir. Je veux plutôt parler de l'expérience du Canada en matière de cibles d'inflation. Toutefois, ce faisant, j'examinerai certains des arguments invoqués lors de la réunion du Comité de l'open market que je viens de mentionner.
Pour commencer, j'exposerai le mandat conféré par la loi à la Banque du Canada et j'expliquerai comment les cibles d'inflation nous aident à le remplir. Puis, je traiterai de certains des choix que nous avons faits afin d'établir et de perfectionner notre régime de cibles d'inflation, et je discuterai de quelques-uns des avantages que nous pouvons lui attribuer, du moins en partie. Pour conclure, j'aborderai certaines des questions auxquelles nous continuerons d'être confrontés dans l'avenir.
Notre mandat et nos objectifs
Voyons d'abord le mandat de la Banque du Canada prescrit par la loi. Il est intéressant de le comparer avec celui qui est énoncé dans la Federal Reserve Act, puisque la nature du mandat de la Réserve fédérale est souvent invoquée, entre autres raisons, pour justifier la décision de ne pas adopter une cible explicite en matière d'inflation.
Les lois régissant la Banque du Canada et la Réserve fédérale comportent des différences marquées. Mais en ce qui a trait à la conduite de la politique monétaire, leurs similitudes sont frappantes. Notre mandat est exposé dans ses grandes lignes dans le préambule de la Loi sur la Banque du Canada. Ce préambule a été rédigé en 1934 et n'a pas été modifié de façon substantielle en 70 ans. Il spécifie que la banque centrale est instituée pour « réglementer le crédit et la monnaie dans l'intérêt de la vie économique de la nation », ainsi que pour « atténuer, autant que possible par l'action monétaire, les fluctuations du niveau général de la production, du commerce, des prix et de l'emploi, et de façon générale pour favoriser la prospérité économique et financière du Canada ». Par comparaison, les dernières modifications apportées à la Federal Reserve Act obligent la Réserve fédérale à maintenir une croissance du crédit et de la masse monétaire proportionnelle à la capacité à long terme de l'économie d'accroître la production, de façon à favoriser efficacement la réalisation d'un niveau maximum d'emploi, de la stabilité des prix et de taux d'intérêt à long terme modérés.
Le mandat de la Réserve fédérale est un peu plus précis que le nôtre, en ce sens qu'il prévoit explicitement que la politique monétaire doit viser à faire en sorte que l'économie américaine fonctionne aux limites de sa capacité. Mais le point à retenir est que les mandats des deux banques centrales font référence à la production, aux prix et à l'emploi. De fait, la mise en oeuvre d'une politique monétaire susceptible de créer les conditions propices à une croissance maximale et durable à long terme constitue l'un des principaux objectifs de toutes les banques centrales, étant admis que la politique monétaire ne peut à elle seule assurer cette croissance.
La question suivante se pose alors : quel mode de conduite de la politique monétaire est le plus favorable à une croissance durable, compte tenu qu'aux termes de notre mandat, cela doit se faire « autant que possible par l'action monétaire »? Au cours des ans, les banques centrales ont cherché à répondre à cette question en mettant à l'essai divers cadres de mise en oeuvre. Elles ont d'abord tenté de rattacher les taux de change au cours de l'or. Puis, la plupart ont essayé d'arrimer leur monnaie à d'autres devises. D'autres encore ont pris pour cible le crédit ou la croissance des agrégats monétaires, et beaucoup se sont tout simplement fiées à leur jugement. Tous ces systèmes ont amené des problèmes, sur lesquels je ne m'étendrai pas aujourd'hui.
Mais à la longue, il est devenu évident que le meilleur moyen pour que la politique monétaire favorise une expansion économique durable consiste à ancrer les attentes concernant le pouvoir d'achat futur de la monnaie. La leçon que nous avons tirée des expériences amères de bon nombre de pays, notamment le Canada et les États-Unis, c'est que lorsque la politique monétaire est axée sur des objectifs à court terme, des erreurs sont commises, l'incertitude s'accroît et les fluctuations de l'activité économique s'amplifient. La poursuite de la stabilité des prix intérieurs, quelle que soit la définition qu'on lui donne, est la meilleure contribution que la politique monétaire puisse apporter à la stabilisation économique et à la croissance à long terme. De fait, comme l'a dit mon prédécesseur Gordon Thiessen : « L'accent mis sur la stabilité des prix nous aide à éviter les erreurs [en matière de politique] qu'il nous arrivait souvent de commettre lorsque nous visions directement la production et l'emploi 1. »
À la fin des années 1980, la Banque du Canada a été confrontée à la question de savoir comment la poursuite de la stabilité des prix pourrait, premièrement, contribuer à ancrer les attentes concernant le pouvoir d'achat futur de la monnaie; deuxièmement, lui servir de guide dans la conduite de la politique monétaire; et, troisièmement, l'aider à expliquer aux marchés, aux politiciens et au public canadien en quoi consiste le travail de leur banque centrale et à quelles actions ils peuvent s'attendre de sa part.
En 1991, la Banque et le gouvernement canadien ont convenu que le régime de cibles d'inflation constituait le cadre le plus approprié pour parvenir à ces objectifs. Un tel régime était, selon nous, le plus approprié pour favoriser une croissance vigoureuse et durable de la production et de l'emploi. Je tiens à préciser que la poursuite de cibles d'inflation n'est pas une fin en soi. C'est plutôt le meilleur moyen que nous ayons pour respecter notre engagement de promouvoir la prospérité économique et financière du Canada.
La version canadienne du régime de cibles d'inflation
J'aimerais maintenant dire quelques mots au sujet des choix particuliers que nous avons faits au fil des ans pour façonner notre cadre de maîtrise de l'inflation. Une banque centrale qui veut poursuivre des cibles d'inflation et mener une politique monétaire indépendante doit laisser flotter sa monnaie. Les autorités monétaires, on le sait, ne peuvent contrôler à la fois la valeur interne et la valeur externe de leur monnaie. Comme nous disposons d'un seul instrument, nous ne pouvons viser qu'une cible. La nôtre étant l'inflation, nous adhérons naturellement à un régime de changes flottants.
Une fois que la Banque et le gouvernement se sont entendus sur le concept des cibles d'inflation, nous avons dû effectuer des choix afin de le mettre en pratique. Nous avons défini notre objectif de stabilité des prix comme étant un taux d'inflation bas et stable. À l'instar de nombreuses autres banques centrales, nous avons arrêté une cible pour le taux d'accroissement annuel de l'indice des prix à la consommation (IPC). Initialement, nous visions la réduction de l'inflation. Il a donc été annoncé que la cible baisserait graduellement pour passer de 3 % (soit le point médian d'une fourchette allant de 2 à 4 %), à la fin de 1992, à 2 % (le point médian d'une fourchette allant de 1 à 3 %) avant la fin de 1995. La cible n'a pas changé depuis. Permettez-moi de vous expliquer certaines des décisions clés que nous avons prises en 1991 et les raisons qui ont motivé nos choix au fur et à mesure que nous précisions les caractéristiques de notre régime de cibles d'inflation.
Premièrement, pourquoi avoir choisi l'IPC comme cible? Principalement parce que c'est une notion comprise par un vaste public et que c'est la mesure de l'inflation la plus familière aux Canadiens et aux Canadiennes. Le choix d'un indicateur bien connu comme cible nous facilite la tâche quand vient le temps d'expliquer nos actions et de rendre des comptes à la population canadienne. Toutefois, les variations des prix de composantes particulièrement volatiles de l'IPC peuvent entraîner de fortes fluctuations de l'indice. C'est pourquoi nous utilisons une mesure de l'inflation tendancielle comme guide. Celle-ci exclut les composantes les plus volatiles de l'indice et l'effet des modifications des impôts indirects sur les autres composantes, nous donnant ainsi une meilleure indication de la tendance de l'inflation.
Deuxièmement, pourquoi avoir établi une fourchette? Même si nous visons la cible de 2 %, nous avons adopté une fourchette, comme d'ailleurs beaucoup d'autres banques centrales, parce que le mécanisme de transmission de la politique monétaire comporte des décalages dont la durée est longue et variable. Si nous nous fixions une cible d'inflation trop précise, nous risquerions de provoquer une « instabilité de l'instrument »; autrement dit, nous serions forcés de modifier brusquement et fréquemment notre taux directeur, ce qui entraînerait une instabilité accrue au sein de l'économie. Par ailleurs, l'inflation mesurée peut être elle-même volatile sous l'effet de l'ajustement de certains prix. Signalons toutefois que la fourchette ne représente pas une zone d'indifférence; nous cherchons bel et bien à réaliser la cible de 2 %.
Troisièmement, étant donné qu'il convient de mener constamment une politique monétaire prospective, quel délai fallait-il prévoir pour l'atteinte de la cible? Dès le départ, nous avons précisé que si un choc de demande faisait dévier l'inflation de la cible, nous mettrions en oeuvre une politique susceptible de ramener l'inflation au taux de 2 % à un horizon de 18 à 24 mois. Nous avons opté pour ce délai parce que nos recherches à ce sujet indiquent que les variations de taux d'intérêt ne font sentir pleinement leur effet sur la production qu'au bout de 12 à 18 mois, et sur les prix, qu'après 18 à 24 mois. Bien entendu, la durée des décalages est toujours incertaine, et je reviendrai sur cette question un peu plus tard.
Bien sûr, il y aura toujours par moments des variations prononcées des prix relatifs au sein de l'économie; celles des cours de l'énergie en sont un bon exemple. En régime de cibles d'inflation, l'objectif n'est pas de tenter de contrebalancer ou de freiner ces mouvements des prix relatifs. L'expérience nous a enseigné qu'en présence d'une cible d'inflation claire et d'attentes d'inflation solidement ancrées, les variations de ce type n'ont que des effets ponctuels sur le niveau des prix et n'exercent pas de pression sur l'inflation.
Avant de passer à la section suivante, j'aimerais préciser deux points concernant notre régime de cibles d'inflation. Le premier est que notre approche en la matière est symétrique, et nous insistons sur cet aspect. J'entends par là que nous sommes aussi préoccupés lorsque l'inflation tombe en deçà de la cible que lorsqu'elle la dépasse. Il s'agit là d'une question extrêmement importante. Lorsque la demande de biens et services pousse l'économie canadienne aux limites de sa capacité et qu'elle menace de faire monter l'inflation au-dessus de la cible, la Banque majore les taux d'intérêt pour ralentir le rythme d'expansion de l'économie. Inversement, lorsque cette dernière fonctionne en deçà des limites de sa capacité et que l'inflation risque de glisser sous la cible, la Banque abaisse les taux d'intérêt pour stimuler la croissance. Que le choc de demande soit positif ou négatif, la Banque intervient de façon appropriée.
Cette approche symétrique est notre réponse au reproche selon lequel les banques centrales ciblent l'inflation au détriment de la croissance. Au contraire, c'est en prêtant une attention particulière aux signes d'un écart par rapport à la cible que nous sommes mieux en mesure de réagir en temps opportun aux chocs de demande, qu'ils soient positifs ou négatifs. Voilà comment nous pouvons faire tourner l'économie près de son plein potentiel et ainsi maintenir l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible.
En second lieu, il s'avère très utile pour la Banque de disposer d'une cible d'inflation sur le plan de la reddition de comptes. Dans le cas où l'inflation s'écarterait de façon persistante de la cible, nous nous sommes engagés à expliquer les raisons de cet écart, les mesures que nous prendrons afin de ramener l'inflation au taux visé et le temps que nous jugeons nécessaire pour y parvenir.
Notre expérience en matière de cibles d'inflation
J'aimerais vous entretenir maintenant de notre expérience en matière de cibles d'inflation. De la même façon que le Canada a fait figure de pionnier en adoptant un taux de change flottant, il a aussi été parmi les tout premiers à se doter de cibles d'inflation. Et, comme dans d'autres pays qui se sont engagés dans cette voie, les résultats obtenus ont été indiscutablement positifs. De fait, pour reprendre les paroles de Claudio Borio, « aucun pays ayant opté pour des cibles d'inflation ne l'a regretté » 2.
En 1991, le Canada avait plusieurs raisons impérieuses de se munir d'un régime de cibles d'inflation. Par rapport à aujourd'hui, le taux d'inflation était encore relativement élevé. De plus, la Banque du Canada et le gouvernement fédéral voulaient réduire au minimum la possibilité que l'entrée en vigueur de la taxe sur les produits et services donne lieu à une spirale des salaires et des prix. Nous étions conscients de l'importance de veiller à ce que le grand public et les marchés financiers comprennent nos actions. Et lorsque les pressions inflationnistes se sont intensifiées vers la fin des années 1980, nous avons observé que l'absence d'un point d'ancrage monétaire faisait augmenter les attentes d'inflation.
Quand on considère le bilan du Canada depuis 1991, au chapitre de l'inflation et de la croissance économique, on constate que tous les avantages que nous espérions tirer des cibles d'inflation se sont effectivement matérialisés. Nous nous attendions à ce que l'inflation se stabilise et c'est ce qu'elle a fait, et même plus tôt que prévu. Nous estimions que notre crédibilité allait se renforcer et que les attentes d'inflation s'arrimeraient solidement autour de la cible, et c'est ce qui s'est produit. De fait, les attentes à court terme se sont rapidement ancrées à notre cible, bien que celles à long terme aient mis un peu plus de temps à s'en rapprocher. Conjuguée à l'assainissement marqué des finances publiques du Canada au milieu des années 1990, notre excellente feuille de route en matière d'inflation a contribué à rehausser notre crédibilité. Aujourd'hui, la moyenne des projections du secteur privé concernant la hausse des prix au Canada se situe près de la cible de 2 % jusqu'à un horizon très éloigné.
Par ailleurs, nous étions d'avis qu'il serait profitable d'établir un paradigme clair quant à notre mode de fonctionnement sous un régime de cibles d'inflation, et ce fut le cas. À l'interne, nos délibérations sur la politique monétaire ont gagné en rigueur et en clarté grâce à l'accent mis sur l'inflation. Mais, surtout, en faisant preuve de transparence à propos de notre paradigme opérationnel, nous avons permis aux marchés et aux analystes de mieux anticiper la façon dont nous allions réagir à différents résultats économiques. Désormais, les marchés et les analystes financiers se fondent davantage sur leurs propres prévisions concernant l'économie et l'inflation lorsqu'ils évaluent l'orientation future de notre taux directeur. Ils n'ont pas, à juste titre, à se fier au libellé de nos communications pour guider leurs actions.
Les résultats empiriques montrent que la poursuite de cibles d'inflation au Canada a connu un succès éclatant. Le taux d'augmentation de l'IPC s'est situé en moyenne très près de 2 % et est demeuré à l'intérieur de la fourchette cible depuis que nous avons adopté notre cadre de maîtrise de l'inflation, mis à part de rares exceptions dues principalement aux fluctuations appréciables des cours du pétrole ou d'autres produits de base. En outre, il semble que le régime de cibles d'inflation ait bien joué son rôle de stabilisateur macroéconomique, en contribuant à atténuer les sommets et les creux du cycle économique.
Notre approche symétrique en matière de cibles d'inflation est cruciale à cet égard. Comme nous veillons à prévenir les pressions tant inflationnistes que déflationnistes, les entreprises et les particuliers peuvent former des projets économiques à long terme avec une confiance accrue. On ne gaspille plus des ressources économiques rares pour tenter de se prémunir contre la menace d'une inflation galopante. Et comme notre paradigme établit clairement que nous nous attachons à prévenir les pressions déflationnistes, le Canada a su éviter tout risque grave de déflation. Durant tous les chocs que nous avons subis, les attentes d'inflation au Canada sont demeurées remarquablement bien arrimées à la cible de 2 %.
À l'époque où nous envisagions d'adopter un cadre de maîtrise de l'inflation, nous avons entendu un grand nombre des arguments contre un tel cadre qui sont invoqués aujourd'hui aux États-Unis. Certains affirmaient que la poursuite de cibles d'inflation risquait de restreindre notre marge de manoeuvre ou qu'elle nous empêcherait d'exercer notre propre jugement dans la conduite de la politique monétaire. Notre expérience montre bien que ces préoccupations n'étaient aucunement fondées.
Permettez-moi d'illustrer mes propos par deux exemples récents. Immédiatement après les attentats du 11 septembre 2001, nous avons abaissé les taux d'intérêt avec célérité et résolution afin de soutenir la confiance, qui aurait pu être fortement ébranlée par les événements. Constatant que l'importante perte de confiance appréhendée ne s'était pas manifestée au cours des mois suivants, nous avons pu faire marche arrière et resserrer quelque peu les conditions monétaires. Notre régime de cibles d'inflation n'a pas limité notre marge de manoeuvre. En fait, c'est parce que notre paradigme était clair que les marchés financiers ont été en mesure de comprendre pourquoi nous avons procédé à ces modifications rapides des taux d'intérêt.
Je citerai, d'autre part, notre réaction au réalignement continu des monnaies du monde depuis les deux dernières années. L'économie canadienne a dû s'adapter aux brusques fluctuations non seulement de la valeur externe de notre dollar mais aussi de la demande étrangère de beaucoup de nos biens et services. Les cibles d'inflation fournissent à la Banque une ligne directrice solide pour faire face à l'appréciation de la monnaie, ce qui nous permet de nous concentrer sur la stabilisation macroéconomique au moment où les divers secteurs de l'économie composent avec le choc de taux de change. Notre paradigme nous a fourni la souplesse voulue pour exercer notre jugement devant l'incertitude considérable qui a marqué cette période.
La poursuite des cibles d'inflation dans l'avenir
Avant de conclure, j'aimerais aborder l'avenir du régime de cibles d'inflation au Canada. Comme je l'ai mentionné au début, notre entente actuelle avec le gouvernement fédéral doit être renouvelée en 2006. Il est donc utile de réfléchir aux aspects de notre régime qu'il convient de conserver et à ceux qui gagneraient peut-être à être modifiés.
Du point de vue de la banque centrale, l'entente de base ayant pour objet le maintien de l'inflation au point médian de 2 % d'une fourchette cible allant de 1 à 3 % a porté ses fruits, de même que la décision de prendre pour cible le taux d'accroissement de l'IPC. Celui-ci n'est peut-être pas un indicateur parfait de l'inflation, mais c'est la mesure la plus aisément reconnue et comprise, et il s'agit donc sans doute du meilleur choix en l'occurrence. Cependant, vu la volatilité inhérente à cet indice, la Banque privilégie une mesure de l'inflation tendancielle à des fins opérationnelles. Je m'attends à ce que ces éléments de notre cadre restent en place. Mais une bonne politique publique exige que nous continuions à mener les recherches nécessaires pour confirmer que ce sont toujours là les meilleures solutions.
En outre, la Banque du Canada continuera de reconnaître l'importance des communications et de la transparence au regard de la conduite de la politique monétaire. Un cadre de maîtrise de l'inflation est un outil utile pour ancrer les attentes, mais son efficacité se trouve grandement accrue lorsque la banque centrale communique bien. Par ailleurs, une approche symétrique en matière de cibles d'inflation permet à cette dernière de démontrer de façon convaincante la pertinence des mesures de politique monétaire qu'elle prend, même dans un contexte économique difficile.
Je ne voudrais toutefois pas donner à entendre qu'il ne reste plus aucune question à régler pour l'avenir. L'une des questions auxquelles nous devons actuellement faire face est celle de savoir si une période de 18 à 24 mois constitue l'horizon approprié pour permettre à la politique monétaire de ramener l'inflation à la cible après divers types de chocs. Parmi ces derniers, il nous faut prendre en compte les variations considérables des prix des actifs. Ce type de variations peut-il nous renseigner sur l'état de l'inflation au-delà de l'horizon dont nous nous servons habituellement? Et si oui, que faire alors? Je ne veux surtout pas insinuer que nous devrions fixer une cible pour les prix des actifs. Il s'agit plutôt de déterminer s'il y aurait lieu un jour d'allonger le délai nécessaire pour ramener l'inflation à la cible.
Une question analogue s'applique aux chocs de taux de change. La mondialisation semble avoir modifié la façon dont les économies s'adaptent aux fluctuations des taux de change. Ce constat concerne aussi bien l'ajustement de l'activité économique réelle aux chocs que la transmission directe des variations du taux de change aux prix. On est amené à se demander si une période de 18 à 24 mois est trop courte pour que la politique monétaire puisse réagir aux chocs de taux de change. D'un autre côté, la réduction de la persistance de l'inflation que nous avons observée sous notre régime de cibles d'inflation donne à penser qu'il serait peut-être plus approprié de raccourcir le délai utilisé aux fins de la conduite de la politique monétaire.
Compte tenu du succès avec lequel nous avons su affronter les chocs dans un délai de 18 à 24 mois, nous ne devrions pas modifier notre cadre à la légère. Nous devons néanmoins réfléchir sérieusement à l'horizon approprié pour faire face aux différents chocs à mesure que le ciblage de l'inflation évoluera dans l'avenir.
Conclusion
Je terminerai en insistant sur certains points essentiels. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que notre régime de cibles d'inflation représente le cadre de conduite de la politique monétaire qui convient au Canada. L'approche symétrique que nous appliquons pour maintenir l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible nous a permis de jeter les bases d'une croissance solide et durable de la production et de l'emploi. Ce faisant, nous respectons notre engagement à « favoriser la prospérité économique et financière du Canada », tel qu'il est énoncé dans la Loi sur la Banque du Canada. Grâce à notre cadre de maîtrise de l'inflation, notre politique monétaire est mieux ciblée, nos communications sont plus claires et les attentes d'inflation au Canada sont plus solidement ancrées.
Alors que le taux d'augmentation des prix à la consommation est bas et paraît stable, il pourrait être tentant pour certains de penser qu'il n'est pas nécessaire de se doter d'un point d'ancrage pour l'inflation. À mon avis, ce serait commettre une très grave erreur que de tirer une telle conclusion. Au contraire, il est particulièrement crucial en ce moment, face aux importantes variations des termes de l'échange et aux autres chocs, que les banques centrales disposent d'un point d'ancrage, afin de pouvoir garder leur politique monétaire bien ciblée. Je crois que les cibles d'inflation constituent le meilleur point d'ancrage connu à ce jour.
Bien entendu, je ne prétends pas que les cibles d'inflation représentent l'aboutissement historique de la politique monétaire. Et c'est avec plaisir que je suis prêt à en débattre. J'espère que mes remarques d'aujourd'hui auront contribué à étayer le contexte des discussions en cours ici aux États-Unis. Et je peux vous assurer qu'au Canada, nous continuerons à suivre ces dernières avec un vif intérêt.