Les politiques économiques et les nouvelles réalités
Bonjour. Je suis ravi d'être à Mexico aujourd'hui, en présence de représentants du milieu des affaires.
Je suis heureux également d'avoir l'occasion de rencontrer nos collègues de la Banque du Mexique. Nos deux banques centrales entretiennent depuis longtemps une relation des plus fructueuses, qui a rendu possibles notamment des accords de swap, des recherches conjointes et d'étroites consultations. Je crois que les fonctionnaires et les chefs d'entreprises canadiens et mexicains ont beaucoup en commun, et beaucoup à apprendre les uns des autres.
En effet, le Canada et le Mexique sont à maints égards des partenaires, soumis aux mêmes contraintes et confrontés aux mêmes enjeux. Nous avons une frontière commune avec notre principal marché d'exportation, les États-Unis. Nos deux pays ont enregistré récemment une baisse de leurs échanges transfrontaliers avec leur grand voisin, en raison du tassement de la demande intérieure américaine, mais aussi à cause de problèmes commerciaux précis et de l'engorgement des postes frontaliers consécutif au resserrement des mesures de sécurité.
Comme vous, nous avons subi les effets du ralentissement de l'économie mondiale et des déséquilibres économiques à l'échelle internationale, bien que le Canada semble avoir été un peu moins durement touché que le Mexique par ces facteurs au cours des trois dernières années. Et, comme vous, nous nous concentrons sur les changements structurels qui nous permettront d'absorber les chocs et de continuer à prospérer dans un monde en mutation.
Aujourd'hui, j'aimerais centrer mes propos sur la façon dont le Canada s'est adapté à l'évolution des changements profonds dans l'économie mondiale. Je parlerai des efforts que nous avons déployés pour nous ajuster aux forces économiques à long terme et des défis qui nous attendent à cet égard.
Je passerai également en revue certains des enseignements que nous avons tous tirés de l'expérience des deux dernières décennies, enseignements qui ont permis aux décideurs publics canadiens et mexicains d'améliorer le cadre de conduite de leurs politiques macroéconomiques, de façon à mieux gérer les changements et à mieux s'y adapter. Je conclurai mon exposé en vous livrant quelques réflexions sur la manière dont le Canada et le Mexique peuvent continuer à s'ajuster à l'évolution du contexte économique dans l'avenir.
La leçon la plus importante que nous avons apprise est qu'il est essentiel de procéder à des ajustements structurels pour s'adapter aux nouvelles réalités, et que les politiques macroéconomiques ont un rôle à jouer pour que ces changements occasionnent le moins de perturbations économiques et sociales possible.
Les ajustements passés
Au cours des dernières décennies, le Canada a traversé deux périodes où des ajustements économiques considérables ont été nécessaires. La première remonte aux années 1970, quand nous avons subi les contrecoups de la crise pétrolière ainsi que d'une baisse rapide du rythme de croissance de la productivité. Les autorités canadiennes avaient alors recouru à des politiques macro et microéconomiques pour tenter de protéger l'économie contre les retombées de ces événements. En conséquence, notre ajustement a été plus lent et plus pénible qu'il aurait dû l'être. Notre pays s'est retrouvé au bout du compte avec une économie affaiblie, un taux d'inflation élevé et de lourds déficits budgétaires des administrations publiques.
La leçon que les Canadiens ont tirée de cette période est que les politiques microéconomiques aussi bien que macroéconomiques doivent clairement viser à faciliter l'ajustement aux changements. Au début des années 1990, il était manifeste que nous avions besoin d'un cadre de politiques économiques susceptible d'appuyer cet ajustement, de réduire l'inflation et d'assainir nos finances publiques.
Le premier changement important a eu lieu en 1991, lorsque la Banque et le gouvernement du Canada ont convenu d'adopter une série de cibles explicites de réduction de l'inflation. L'entente initiale prévoyait que la cible d'inflation descendrait graduellement à 2 %, soit le point médian d'une fourchette de 1 à 3 %. L'entente a été reconduite trois fois depuis et s'étend maintenant jusqu'à la fin de 2006. Chaque fois, le milieu de la fourchette visée a été maintenu à 2 %.
Ce régime nous a été très profitable. Depuis la fin de 1994, l'inflation s'est située en moyenne à presque exactement 2 %. Et en plus d'avoir baissé, elle est devenue plus stable qu'elle ne l'était dans les années 1970 et au début de la décennie suivante. Fait non moins important, nous avons constaté que les attentes d'inflation des Canadiens s'étaient rapidement alignées sur la cible de 2 %. Elles sont d'ailleurs demeurées proches de cette cible au cours des dernières années.
Le régime de cibles d'inflation nous a procuré plusieurs avantages. L'un des plus notables est le fait que la Banque du Canada est désormais en mesure d'expliquer plus clairement aux entreprises, aux travailleurs et au public en général la nature et les motifs de ses interventions. On ne doit pas sous-estimer à quel point il est bénéfique que la population comprenne les politiques et les actions des autorités monétaires. Cette compréhension facilite la conduite de la politique monétaire et donne aux citoyens des balises pour mesurer le travail accompli par leur banque centrale. Bien qu'il n'existe pas de mécanisme parfait à cet égard, notre expérience nous apprend que la politique monétaire donne de meilleurs résultats à l'intérieur d'un cadre clair et bien compris de tous.
Le deuxième grand ajustement, au Canada, a consisté dans le redressement de nos finances publiques. À l'aube des années 1990, les déficits combinés des gouvernements fédéral et provinciaux s'élevaient à quelque 8 % du PIB, un niveau de toute évidence insoutenable. De 1993 à 1997, les administrations publiques du Canada ont donc pris des mesures énergiques destinées à résorber leurs déficits, lesquelles ont porté leurs fruits.
Cet effort d'assainissement a contribué à accroître la crédibilité de nos politiques économiques et a fait baisser la prime de risque exigée par les investisseurs sur les obligations du gouvernement canadien.
Notre économie, comme la vôtre et celle de nombreux autres pays, a aussi subi des ajustements structurels dans les années 1990, et ce, dans le secteur public aussi bien que dans le secteur privé. Ces ajustements ont été extrêmement utiles, car ils ont rendu l'économie canadienne plus flexible.
Les gouvernements se sont efforcés d'atténuer les distorsions au sein de l'économie en éliminant de nombreuses subventions aux entreprises, en réduisant l'impôt sur le revenu des particuliers et en réformant le régime d'assurance-chômage. Pour leur part, les entreprises ont relevé le défi de la libéralisation du commerce en améliorant la qualité de leurs produits et en s'employant activement à les vendre à de nouveaux clients nord-américains. Ces ajustements n'ont pas été faciles. Mais au bout du compte, ils ont placé l'économie canadienne en meilleure position pour surmonter les chocs et ainsi connaître une croissance durable.
Le régime de changes flottants du Canada a facilité ces ajustements structurels. La dépréciation de notre dollar, à la fin des années 1990, a soutenu la demande extérieure, ce qui a compensé en partie le fléchissement de la demande du secteur public. Elle a aussi eu comme effet positif d'envoyer des signaux aux entreprises au sujet des types d'ajustements qui s'imposaient.
En somme, un cadre de conduite des politiques macroéconomiques solide, des ajustements structurels appropriés et un régime de changes flottants ont tous fait leur part pour aider l'économie à s'adapter aux conditions changeantes qui ont marqué les années 1990. Bien que les correctifs apportés n'aient pas été sans mal, les résultats ne se sont pas fait attendre. À la fin de la décennie, les Canadiens commençaient à voir leurs revenus réels augmenter.
Les forces internationales
Voilà qui conclut ce bref retour en arrière. Jetons maintenant un coup d'oeil aux forces internationales qui sont toujours à l'oeuvre au sein de nos économies. Le Canada comme le Mexique devront accroître leur productivité afin de soutenir la concurrence féroce livrée par la Chine et d'autres pays où les coûts de fabrication sont bas.
Il est clair, par ailleurs, que tous les pays devront trouver le moyen de devenir plus compétitifs. Au Canada, nous aurons la possibilité d'enregistrer à nouveau des gains de productivité marqués et constants au cours des prochaines années, grâce à nos investissements passés dans les technologies de l'information et des communications. Évidemment, les technologies seules ne sauraient être garantes d'une productivité accrue. Pour parvenir à réaliser des gains de productivité, les entreprises devront faire les investissements nécessaires et procéder aux changements organisationnels qui s'imposent. Elles devront aussi assurer la formation requise à leurs employés pour qu'ils puissent tirer pleinement avantage des technologies.
D'autres forces agissant sur l'économie mondiale méritent notre attention. À ce titre, mentionnons les graves déséquilibres des balances courantes et des balances des capitaux des divers pays. En outre, de nouveaux acteurs, en Asie notamment, deviennent de plus en plus puissants sur la scène économique internationale. Comme je l'ai souligné, ce phénomène assujettit nos fabricants à une concurrence plus intense. Mais il signifie également que de nouveaux débouchés et de nouvelles sources de demande, en rapide expansion, font leur apparition dans le monde.
Les ajustements à venir
Devant toutes ces forces, quel genre d'ajustements économiques devrons-nous entreprendre dans les prochaines années? Voyons ceux qui seront requis au Canada.
Premièrement, l'économie canadienne devra compter sur davantage d'activités hautement productives. Pour qu'il y ait une reprise vigoureuse de la croissance de la productivité, les gouvernements doivent faire en sorte que leurs politiques microéconomiques encouragent la flexibilité et n'entravent pas l'innovation dans les secteurs public et privé.
Le Canada bénéficie déjà d'une main-d'oeuvre instruite et qualifiée. Néanmoins, les travailleurs doivent continuer d'avoir accès à la formation dont ils ont besoin pour tirer parti des nouvelles technologies. Et les entreprises doivent s'assurer que leur structure organisationnelle et leurs pratiques leur permettent d'exploiter au maximum les possibilités offertes par ces technologies.
Deuxièmement, le Canada, comme le Mexique, doit veiller à ce que sa situation budgétaire reste saine. Comme je l'ai souligné, nous sommes parvenus à réduire considérablement notre ratio de la dette publique au PIB au Canada. Ce ratio devra diminuer encore pour que nous disposions de la marge de manoeuvre nécessaire pour répondre aux besoins d'une population vieillissante.
Troisièmement, nous devons mettre en place des politiques microéconomiques appropriées en matière d'emploi, de propriété intellectuelle, d'environnement et d'investissement étranger, entre autres domaines.
Quatrièmement, il est essentiel que nos politiques sociales trouvent un juste équilibre entre deux grands objectifs : créer des conditions propices pour que les changements requis s'effectuent, et soutenir les membres de notre société qui sont touchés par les ajustements structurels.
Cinquièmement, je pense qu'il est crucial que le Mexique et le Canada continuent à travailler ensemble, et avec nos partenaires américains, pour que l'ALENA soit encore plus bénéfique. Et les bienfaits que nous procure cet accord devraient nous conforter dans notre résolution de voir une libéralisation accrue des échanges commerciaux dans le monde. Nous devons continuer à militer pour l'abolition des barrières commerciales dans les négociations multilatérales menées dans le cadre de la déclaration de Doha. Ce ne sera pas facile, mais les avantages économiques que nous en retirerons à long terme en valent la peine.
Quel est le rôle de la politique monétaire dans tout cela? Comme toujours, il consiste à faciliter les ajustements en contribuant à maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande au sein de l'économie.
Pour nous, à la Banque du Canada, cela signifie que nous chercherons à garder l'inflation aux environs de 2 %, en essayant de faire tourner l'économie aussi près que possible des limites de sa capacité. Voilà notre souci constant. Mais en même temps, nous allons surveiller de près les forces à long terme qui déterminent les ajustements économiques. Nous savons que, dans le contexte de l'appréciation de notre monnaie, l'économie canadienne devra s'appuyer davantage sur la demande intérieure, et moins sur la demande étrangère, afin de connaître une croissance vigoureuse et continue. Nous tiendrons compte de cet aspect dans la formulation de la politique monétaire.
Le Canada et le Mexique sont dotés d'un régime de changes flottants, qui constitue un élément clé de leur cadre de conduite de la politique monétaire. Grâce à ce régime, les autorités monétaires sont en mesure d'adapter les conditions monétaires à la situation économique du pays. Le flottement du dollar, comme celui du peso, facilite les ajustements nécessaires et envoie d'importants signaux aux agents économiques au moyen des prix.
Conclusion
Permettez-moi maintenant de conclure. Certes, les ajustements requis peuvent s'avérer pénibles pour beaucoup d'entreprises et d'employés. Mais dans le monde d'aujourd'hui, refuser de s'adapter n'est pas une solution envisageable.
Heureusement, dans nos économies, le contexte actuel se prête relativement bien à ces ajustements. La demande mondiale se raffermit et les conditions du crédit sont favorables. Nous savons mieux ce que nous devons faire. Et nous avons réussi à renforcer considérablement nos cadres macroéconomiques.
Compte tenu des défis que nous aurons à relever, il est d'autant plus important que nous continuions à renforcer nos cadres de politiques économiques afin de pouvoir nous adapter aux nouvelles réalités et en tirer parti. Plus vite nous pourrons nous adapter, plus nous pourrons créer de richesse pour nos concitoyens.
Je ne dis pas que les ajustements seront faciles. En effet, l'expérience des dernières décennies nous prouve qu'ils peuvent être ardus, du moins à court terme. Mais si nous décidons de faire le saut et de saisir les occasions que le changement entraîne, nos sociétés en profiteront assurément.