L'évolution économique récente et la conduite de la politique monétaire

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Bonjour et merci de m'avoir invité. C'est toujours un plaisir de revenir à Montréal, une ville merveilleuse qui jouit d'une vitalité renouvelée depuis les deux ou trois dernières années.

J'aimerais vous parler de l'économie canadienne — de l'évolution des derniers mois et des perspectives pour la période à venir. Je vais donc examiner les prévisions économiques contenues dans notre dernier Rapport sur la politique monétaire, publié en avril. Je traiterai ensuite de ce qui a changé depuis.

Après la publication du Rapport, j'ai témoigné devant des comités de la Chambre des communes et du Sénat pour présenter notre point de vue sur la conjoncture économique. L'un des sénateurs m'a demandé quel genre de problème nous empêche de dormir, mes collègues de la Banque du Canada et moi. Je lui ai répondu que les banquiers centraux sont payés pour s'inquiéter. Mais il est vrai que les tracas ont été nombreux ces derniers mois. Des événements extraordinaires au Canada et à l'étranger, déconcertants il faut l'admettre, sont venus assombrir notre paysage économique.

La surveillance des conditions et des pressions de la demande

À la Banque, nous suivons de près les événements qui perturbent notre économie, ainsi que l'évolution de la conjoncture géopolitique, économique et financière mondiale. Nous le faisons dans l'optique de garder l'inflation près du point médian de notre fourchette cible, qui va de 1 à 3 %. Le maintien d'un taux d'inflation bas, stable et prévisible est la meilleure contribution que la politique monétaire puisse apporter à une croissance robuste et durable, propice à l'augmentation du niveau de vie des Canadiens et à la bonne tenue de l'économie en général. Un bas niveau d'inflation contribue aussi à faire en sorte que l'économie tourne près des limites de sa capacité en longue période.

À cette fin, nous surveillons attentivement les facteurs qui influent sur la demande et la production, et qui finissent par agir sur l'inflation à moyen terme. Et nous ajustons notre politique monétaire pour que la tendance future de l'inflation demeure près du taux cible de 2 %.

Le chemin parcouru

Pour mettre en contexte l'expérience récente, permettez-moi de vous rappeler le chemin que nous avons parcouru durant la dernière année et demie. Au lendemain du 11 septembre 2001, la Banque du Canada est intervenue rapidement et énergiquement en abaissant son taux directeur, afin de raffermir la confiance et de soutenir la demande intérieure.

Au printemps de 2002, des signes montraient déjà que la demande se raffermissait plus vite que prévu. Ainsi, même si les pressions de la demande ne se reflétaient pas encore dans les prix, nous avons commencé à réduire la détente monétaire que nous avions mise en place après le 11 septembre. La Banque a majoré son taux directeur à trois reprises entre avril et juillet 2002, pour une augmentation totale de trois quarts de point de pourcentage.

L'automne dernier, l'inflation était à la hausse au Canada. Mais nous n'avons pas relevé davantage les taux d'intérêt à ce moment-là, parce que nous estimions que la poussée de l'inflation était due surtout à des facteurs ponctuels et que ce mouvement allait s'inverser au cours de la prochaine année environ. De plus, l'incertitude financière et géopolitique considérable qui régnait alors, conjuguée à la faiblesse de l'économie mondiale, laissait entrevoir un ralentissement de la demande globale de produits canadiens.

Au premier trimestre de l'année, le taux d'accroissement de l'IPC global a dépassé de beaucoup la cible de 2 %. Cette hausse était due en grande partie à la montée des cours de l'énergie. Nous avons aussi observé une augmentation importante de l'inflation mesurée par l'indice de référence, qui exclut les huit composantes les plus volatiles de l'IPC, dont l'essence, le mazout et le gaz naturel, ainsi que l'effet des modifications des impôts indirects sur les autres composantes de cet indice. La montée de l'inflation mesurée par l'indice de référence a été exacerbée par de nouvelles augmentations des primes d'assurance automobile. Mais, même si l'on tient compte du caractère exceptionnel de ces augmentations, l'inflation était nettement au-dessus de la cible. Cela donne à penser que la forte demande intérieure exerçait des pressions sur l'appareil de production. Dans ce contexte, quelques indicateurs des attentes d'inflation à court terme ont affiché une hausse, même si les attentes à plus long terme sont restées ancrées autour de 2 %.

Devant cette évolution de l'inflation, le dynamisme de la demande intérieure, la diminution des écarts de taux d'intérêt sur les marchés du crédit et la réduction de l'incertitude géopolitique, nous avons augmenté le taux cible du financement à un jour de 25 points de base en mars et d'autant à la mi-avril, pour le porter à 3 1/4 %.

Dans notre Rapport sur la politique monétaire, en avril, nous affirmions que les risques qui pesaient sur l'économie mondiale semblaient mieux équilibrés qu'ils ne l'avaient été à l'automne. On s'attendait à ce que l'économie canadienne commence à progresser plus vite que la production potentielle vers la fin de 2003, et ce grâce à une reprise de l'activité aux États-Unis et à une nouvelle amélioration de la confiance des ménages et des entreprises.

Nous avions conclu que même si l'économie canadienne allait sans doute continuer de croître un peu moins rapidement que son potentiel durant les trois premiers trimestres de l'année, la faible marge de capacités inutilisées qui devrait apparaître en 2003 serait en grande partie absorbée avant la fin de l'an prochain.

Par ailleurs, nous avions prévu que l'inflation mesurée par l'indice de référence allait probablement descendre aux alentours de 2 1/2 % durant la seconde moitié de l'année et à environ 2 % vers le début de 2004, à mesure que disparaîtront les effets des facteurs spéciaux qui poussent l'inflation à la hausse. Nous avions souligné, également, que le taux d'accroissement de l'IPC global continuerait de dépendre dans une large mesure des cours du pétrole brut. Il devrait tomber provisoirement en deçà du taux d'augmentation de l'indice de référence au premier semestre de 2004, avant de se stabiliser à un niveau proche de celui-ci.

Les facteurs qui influent sur la politique monétaire

Dans notre rapport d'avril, nous avons énuméré les facteurs qui allaient surtout retenir notre attention dans la conduite de la politique monétaire. Il s'agit du rythme de l'expansion économique aux États-Unis et dans les pays d'outre-mer, de la vigueur de la demande intérieure, de la situation sur les marchés financiers ainsi que de la tenue de l'inflation et des attentes en matière d'inflation.

J'examinerai notre lecture de l'évolution de ces facteurs, en commençant par le contexte extérieur. En Europe, la croissance de l'économie et de la demande intérieure est demeurée décevante. Au Japon aussi, l'activité est restée faible. Bien que la progression de la demande ait été forte dans le reste de l'Asie, l'expansion économique de certains pays sera certainement freinée par l'épidémie de SRAS.

La demande intérieure ne s'est pas raffermie aussi vite que prévu aux États-Unis, ce qui aura des répercussions sur les exportations canadiennes, du moins à court terme. Les dépenses de consommation continuent de soutenir l'activité, mais les investissements fixes des entreprises américaines n'ont pas repris, et les attentes concernant le moment où cette reprise se produira ont été repoussées à la fin de l'année, alors que la confiance devrait se rétablir.

Voyons maintenant le deuxième facteur, soit la demande intérieure au Canada. Celle-ci est demeurée assez forte dans l'ensemble, grâce à la bonne tenue du marché de l'emploi, aux bas taux d'intérêt et à la remontée des profits des entreprises. La progression des dépenses de consommation a un peu ralenti au premier trimestre mais elle est restée assez vive, surtout dans le secteur du logement. Tant les entreprises que les administrations publiques ont accru leurs dépenses. Sous l'effet de la vigueur de la demande intérieure, le PIB a crû à un rythme annuel de près de 2 1/2 % au premier trimestre, comparativement à 1 1/2 % environ au quatrième trimestre de 2002.

Certains événements défavorables survenus dernièrement limiteront la croissance à court terme de l'économie canadienne. L'épidémie de SRAS a des conséquences importantes sur le tourisme, non seulement à Toronto mais dans l'ensemble du pays. Plus récemment, la fermeture des marchés d'exportation provoquée par l'apparition en Alberta d'un cas isolé de la maladie de la vache folle s'est répercutée sur l'industrie du boeuf et de la transformation du boeuf au Canada.

L'évolution de la situation sur les marchés financiers est un troisième élément que nous examinons attentivement. L'automne dernier, les primes de risque ont enregistré des hausses marquées en réaction à l'inquiétude qui régnait sur les marchés financiers. Au cours des derniers mois, ces primes de risque ont baissé et les conditions des marchés boursiers et obligataires continuent à s'améliorer. Ces résultats montrent que l'inquiétude a diminué, et ils augurent bien pour les dépenses futures des entreprises.

Comme vous le savez, la valeur du dollar américain a subi depuis la mi-avril un ajustement important vis-à-vis des autres grandes monnaies du monde, y compris la nôtre. L'ampleur et le rythme de la montée du dollar canadien ont dépassé toutes les attentes et auront un effet modérateur sur la demande globale à la fin de l'année et l'an prochain. Pour fixer l'orientation de la politique monétaire, nous devons prendre cet effet en considération. Nous devons aussi comprendre tous les autres facteurs qui expliquent ces fluctuations du taux de change et en tenir compte également.

En plus d'exercer une incidence sur la demande globale, l'évolution des taux de change a des conséquences directes sur les prix des biens et services faisant l'objet d'échanges internationaux, et donc sur l'inflation. Cependant, nos recherches indiquent que, dans les économies comme celle du Canada, l'incidence des mouvements des taux de change sur les prix à la consommation était moins marquée ces dernières années, où le taux d'inflation était relativement bas, que durant les années précédentes, où l'inflation était élevée.

L'évolution de l'inflation

Cela m'amène au quatrième facteur dont nous tenons compte dans la formulation de la politique monétaire, soit l'évolution de l'inflation et des attentes en matière d'inflation. Commençons par l'inflation.

Dans le communiqué du 3 juin annonçant notre dernière décision concernant le taux directeur, nous avons précisé que l'inflation a reculé plus que prévu. Ce recul est dû en partie à des facteurs temporaires, notamment les rabais offerts sur l'électricité en Ontario. Par conséquent, nous nous attendons à ce que l'inflation mesurée par l'indice de référence augmente dans les mois à venir, à mesure que ces facteurs disparaîtront. Néanmoins, on estime maintenant que le taux d'accroissement de l'indice de référence et de l'IPC global reviendra à la cible de 2 % un peu plus tôt que la Banque ne le prévoyait en avril, à cause de la modération anticipée des hausses des primes d'assurance automobile et d'une certaine faiblesse de la demande à court terme. Comme je l'ai dit plus tôt, l'appréciation du dollar canadien ne devrait pas avoir un effet direct prononcé sur l'indice de référence, mais elle freinera la progression de l'IPC global.

Quelques mots, enfin, sur les attentes en matière d'inflation. Comme je l'ai mentionné, nous étions inquiets du fait que la brusque accélération du taux d'augmentation de l'IPC, survenue l'hiver dernier, commençait à exercer des pressions à la hausse sur les attentes des Canadiens à l'égard de l'inflation. Or, le récent repli de l'inflation aura probablement un effet modérateur sur ces attentes. Nous vérifierons si c'est bien le cas lors de l'enquête régulière auprès des entreprises, que nous mènerons d'ici la prochaine date d'annonce préétablie.

Je vous ai présenté sommairement quelques-uns des événements récents qui vont influencer la demande de produits et de services canadiens. J'ai mentionné, entre autres, la faiblesse persistante des économies américaine et mondiale, et les inquiétudes entourant les répercussions économiques du SRAS. Ces facteurs laissent prévoir une certaine faiblesse de notre économie à court terme. L'appréciation du dollar canadien par rapport au dollar américain est un autre des facteurs qui conditionnent la demande, même si c'est aussi un résultat d'autres influences au sein de l'économie.

Pour l'avenir, nous restons d'avis que la croissance de l'économie canadienne sera soutenue par la fermeté de la demande intérieure et par la relance de l'économie américaine vers la fin de 2003 et en 2004.

Comme toujours, nous allons évaluer soigneusement les données économiques. Nous continuerons de nous renseigner sur les projets des entreprises. Et nous poursuivrons nos analyses afin de chercher à mieux comprendre les forces qui jouent au sein de l'économie à moyen terme.

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