Allocution de remise des diplômes
L'Université Queen's a pour devise « Sapientia et doctrina stabilitas », que l'on pourrait traduire par la phrase suivante : « La sagesse et le savoir seront le pilier de tes jours ». Cette devise s'applique particulièrement bien à vous qui recevez vos diplômes d'ingénieur aujourd'hui. Jamais dans l'histoire du Canada le développement et la mise à profit du savoir n'ont joué un rôle aussi crucial dans l'essor économique de notre pays. Jamais non plus il n'a été aussi essentiel pour l'avenir du Canada et du monde de faire preuve de sagesse dans l'élaboration des politiques publiques. Aujourd'hui, j'aimerais vous dire quelques mots sur les défis que vous aurez à relever pour appliquer le savoir et la sagesse afin de favoriser la croissance économique et le développement social.
En 1776, Adam Smith publiait sa Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, le premier traité de science économique moderne. Il y posait la question qui est au coeur même de l'économie : pourquoi certains pays connaissent-ils la croissance et la prospérité, et d'autres, non? Smith soutenait essentiellement que la prospérité passe par la répartition efficiente des ressources, par le jeu de la concurrence et par l'accumulation rapide du capital. Pendant près de deux siècles, la plupart des économistes ont approfondi et peaufiné ces idées à l'intérieur d'un cadre où la création du savoir n'avait guère ou pas de rôle à jouer dans l'explication de l'expansion économique. La majorité des économistes élaboraient des modèles où l'état de la technologie intervenait en tant que donnée exogène, si bien que l'innovation technologique était rarement vue comme un déterminant de la croissance économique.
Depuis quelques décennies, cependant, une nouvelle école de pensée se fait jour : « l'économie de la croissance », qui s'appuie sur des modèles où le changement technologique est endogène et même essentiel au processus de croissance. (Bien sûr, les ingénieurs savent cela depuis longtemps, mais les économistes n'apprennent pas vite!) Aujourd'hui, l'économie de la croissance met l'accent non seulement sur la répartition efficiente des ressources et l'accumulation du capital, mais également sur la création et la diffusion du savoir ainsi que sur les politiques favorisant le progrès technologique. La réflexion s'articule autour des quatre grands axes suivants :
- le rôle de la recherche et de la création du savoir;
- le rôle du développement et de l'application efficients de la recherche dans l'accroissement de la productivité;
- le rôle de la direction d'une entreprise dans l'appropriation des avantages des nouvelles technologies;
- le rôle de l'État dans l'élaboration d'un cadre propice au changement et à l'innovation technologiques.
Ce sont là quatre enjeux importants auxquels vous, de la promotion sortante de sciences appliquées de 2002, devrez faire face après votre départ de Queen's. Permettez-moi de décrire brièvement les défis qui vous attendent à l'égard de chacun.
Premièrement : La recherche et la création du savoir
La création du savoir est essentielle à la croissance. Le Canada pourrait se contenter d'appliquer le fruit des recherches d'autres pays, mais cela ne le mènera pas à la tête du peloton. Pour que notre pays soit un chef de file dans le monde, il nous faut mener nos propres recherches. La quantité de recherche est importante, mais la qualité l'est encore plus. L'excellence de la recherche est, en fait, l'un des facteurs clés d'une expansion vigoureuse et soutenue. Dans nos universités et dans nos laboratoires privés, nous devons viser le sommet. Votre défi consiste à exceller dans la création du savoir. J'espère qu'un certain nombre d'entre vous se dirigeront vers les études supérieures, la recherche et l'enseignement et que vous serez toujours en quête d'excellence.
Deuxièmement : L'application du savoir à l'élaboration de nouveaux produits et processus
L'élaboration de nouveaux produits et de processus plus efficients est au coeur même du secteur du génie, et elle est absolument nécessaire à la croissance économique. Malheureusement, depuis quelques décennies, les entreprises canadiennes accusent un certain retard par rapport à leurs concurrents internationaux dans l'application de la recherche à la mise au point de produits et de processus. En clair, cela signifie que, sans innovation dans ce domaine, la croissance économique canadienne se fera distancer par celle des autres pays et, à plus long terme, notre niveau de vie relatif reculera. Le défi qui vous attend au cours des prochaines décennies est d'utiliser votre savoir pour faire du Canada un leader mondial de la création de nouveaux produits et processus.
Troisièmement : La gestion
La gestion du savoir et des travailleurs du savoir est indispensable à l'augmentation de la rentabilité des entreprises et de la productivité. Nous commençons seulement à comprendre l'importance de la gestion du savoir, et les techniques autant que les processus dans ce domaine ont grandement besoin d'être développés. Les recherches et l'expérience ont démontré qu'il ne sert à rien d'investir dans une nouvelle technologie au sein d'une entreprise, à moins que chacun n'adopte cette technologie et ne l'intègre dans sa façon de travailler.
Malheureusement, les hauts dirigeants canadiens — moi y compris — n'ont pas été suffisamment attentifs à cette problématique. Nous n'avons pas encore fait assez pour adapter nos entreprises et nos institutions afin qu'elles retirent le maximum des investissements technologiques. Nous ne saisissons pas toute l'incidence des nouvelles technologies sur les travailleurs. Et nous n'avons pas évalué d'assez près si les structures organisationnelles de nos entreprises favorisaient l'intégration des technologies et des processus nouveaux.
J'espère que vous, qui êtes les futurs gestionnaires du savoir, saurez relever le défi de faire des entreprises et des institutions canadiennes des leaders en la matière.
Quatrièmement : La politique publique
La mission la plus ardue qui vous attend sera peut-être de trouver un cadre de politique publique qui appuie le progrès technologique et la croissance de la productivité. Les gouvernements s'y efforcent actuellement, et il vous faudra en faire autant tout au long de votre carrière.
Les solutions ne sont pas évidentes. Je me suis attaqué à la question lorsque j'oeuvrais dans les secteurs de la politique fiscale, de la politique budgétaire et de la politique en matière de santé, et je poursuis maintenant mes efforts à titre de responsable de la politique monétaire du pays. Sur le plan de la politique macroéconomique, je crois que nous avons quelques réussites très modestes à notre actif. Mais, dans le combat que nous menons en vue d'élaborer un cadre de politique publique optimal pour la croissance soutenue d'une nation d'innovateurs, nos réussites sont encore plus rares.
J'espère que certains d'entre vous se joindront au secteur public et participeront à cette démarche.
Tels sont les quatre défis qui vous attendent, collectivement et individuellement, vous, de la promotion sortante de 2002 de Queen's. Je sais que vous vous appliquerez à accomplir non seulement un bon, mais un excellent travail.
Tous mes voeux de succès vous accompagnent. Que la sagesse et le savoir soient le pilier de vos jours.