Déclaration préliminaire devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce

Lorsque Malcolm et moi nous sommes présentés devant vous en novembre dernier, une lourde incertitude pesait sur les perspectives économiques du monde entier et du Canada. Cette incertitude découlait en grande partie des attentats terroristes survenus aux États-Unis en septembre, au moment où l'on constatait un ralentissement plus marqué que prévu de l'économie mondiale.

Pour faire échec à cette incertitude et ranimer la confiance des consommateurs et des entreprises, la Banque du Canada est intervenue énergiquement en vue d'assouplir les conditions monétaires. De septembre dernier à janvier 2002, nous avons abaissé les taux d'intérêt de 200 points de base, ce qui a porté à 375 points de base leur diminution totale depuis janvier 2001.

Tout compte fait, la confiance des consommateurs n'a pas été ébranlée autant que beaucoup le craignaient par suite de ces événements tragiques. Elle s'est vivement redressée à mesure que les incertitudes géopolitiques et économiques s'atténuaient. L'économie mondiale a commencé à se ressaisir. Ici, au Canada, une reprise solide semble être en cours. La croissance au quatrième trimestre de 2001 et au premier trimestre de 2002 a été nettement plus forte que prévu, de sorte que le niveau de l'activité économique est maintenant supérieur à ce que nous projetions il y a six mois. Cette vigueur se reflète dans le nombre extraordinairement élevé d'emplois créés depuis le début de 2002. Si l'on se réfère aux deux scénarios que nous avions formulés en novembre dernier, il est manifeste que c'est le plus optimiste des deux qui se réalise actuellement, celui où le rétablissement de la confiance des consommateurs ramène promptement une reprise de la croissance économique.

Comment la Banque envisage-t-elle l'avenir de l'économie?

Au premier semestre de 2002, la croissance économique du Canada devrait se situer entre 3 1/2 et 4 1/2 % en taux annuel. Nous prévoyons qu'au deuxième semestre de 2002 ainsi qu'en 2003, l'économie du pays poursuivra sa progression à un rythme légèrement supérieur à celui de sa capacité (ou de son potentiel) de production, que nous estimons à environ 3 % par année.

Vous vous souviendrez que, lors de notre dernière présence parmi vous, j'ai parlé du concept de production potentielle. Nous formulons la politique monétaire de manière à garder l'inflation à un taux bas et stable, contribuant ainsi à maintenir la croissance de l'économie au niveau de son plein potentiel.

Il y a six mois, nous pensions que le rythme d'expansion de l'activité serait bien inférieur à celui des capacités de production au quatrième trimestre de 2001 et au premier trimestre de cette année. Nous étions alors d'avis que l'écart entre le niveau d'activité observé et celui de la production potentielle se creuserait au cours de cette période. Mais la croissance a été beaucoup plus vigoureuse qu'on ne s'y attendait, ce qui signifie que notre économie tourne à un niveau bien plus élevé que prévu. Par conséquent, l'écart est plus mince que ce que nous avions projeté et il est en train de se rétrécir. Nous croyons maintenant qu'il aura disparu au second semestre de 2003.

Le profil d'évolution que nous envisageons aujourd'hui est de nature à amener l'inflation mesurée par l'indice de référence à s'établir à 2 % vers la fin de 2003. Le taux d'augmentation de l'IPC global continuera probablement à varier dans les prochains mois, sous l'effet des fluctuations des prix du pétrole et du gaz naturel. Mais, tout comme l'inflation mesurée par l'indice de référence, il devrait se situer à 2 %, le point médian de notre fourchette cible, vers la fin de 2003.

Bien que l'inquiétude soit moins grande qu'à l'automne dernier, les perspectives sont toujours entachées de risques et d'incertitudes considérables, qui sont susceptibles de renforcer ou de ralentir la progression de l'activité.

Étant donné la forte détente monétaire et budgétaire en place, l'expansion de la production pourrait même être supérieure à ce qui est projeté. Mais il est possible également que le dynamisme récent des achats de biens de consommation durables tienne en partie à des dépenses anticipées, de sorte que la croissance de la dépense des ménages sera plus faible que prévu. Par ailleurs, il subsiste une incertitude marquée quant au moment et à l'ampleur de la relance des investissements des entreprises en Amérique du Nord, surtout à cause de la faiblesse persistante des profits. De plus, les tensions qui règnent au Proche-Orient risquent de se répercuter sur les cours du pétrole brut et l'économie mondiale.

Bien que nous soyons confrontés aux mêmes risques que nos voisins du sud, il existe entre les situations de nos deux pays quelques différences dignes de mention. D'abord, comme nous l'indiquons dans notre Rapport sur la politique monétaire publié la semaine dernière, la demande finale au Canada devrait s'avérer un moteur plus important de la croissance de l'économie au premier trimestre, tandis que l'apport venant de la reconstitution des stocks sera moindre ici qu'aux États-Unis.

Deuxièmement, si la fragilité plus marquée que prévu de la confiance des grandes entreprises constitue encore un risque pour les deux pays, il reste que les secteurs qui font face aux plus grands défis, comme le matériel informatique et les télécommunications, représentent une proportion plus importante de l'activité économique aux États-Unis qu'au Canada.

Comment interpréter l'évolution récente de l'économie canadienne du point de vue de la politique monétaire?

Comme je l'ai mentionné, notre économie tourne nettement plus rapidement que prévu, de sorte que la marge de capacités inutilisées se rétrécit et devrait se résorber plus tôt que nous ne le supposions en novembre dernier. Dans un tel contexte, notre tâche consistera à évaluer la vitalité de l'économie à mesure qu'elle s'approchera des limites de sa capacité et à réduire la détente monétaire en temps opportun et avec mesure. Nous veillerons à ce que l'inflation se maintienne près du taux visé, afin que l'économie puisse continuer à fonctionner à plein régime à moyen terme.

Qu'entendons-nous par « en temps opportun et avec mesure »?

L'importance d'agir « en temps opportun » tient au fait qu'il y a toujours un décalage entre le moment où nous prenons des mesures de politique monétaire et celui où elles se font sentir sur l'économie. Nous devons aussi être tournés vers l'avenir, car nos interventions mettent de un an à dix-huit mois avant de se répercuter entièrement sur la production, et de dix-huit mois à deux ans avant d'agir pleinement sur l'inflation.

Et nous devrons faire preuve de « mesure » dans les jugements que nous porterons lorsque notre économie s'approchera des limites de sa capacité. Si les données que nous recevrons indiquent que les capacités excédentaires sont absorbées plus rapidement que prévu, nous devrons réduire le degré de détente monétaire avec plus de célérité. Par contre, si elles laissent entendre que le retour à la pleine utilisation des capacités se fait plus lentement que nous ne le croyions, nous devrons alors ralentir le pas.

Permettez-moi, pour conclure, d'utiliser une analogie bien connue tirée du domaine de la conduite automobile. Au cours de la dernière année, nous avons donné un coup d'accélérateur pour aider l'économie canadienne à remonter la pente. À présent que la route s'est aplanie, la prudence nous dicte de relâcher la pression sur l'accélérateur — je dis bien relâcher la pression, et non écraser les freins — afin de poursuivre notre chemin à une vitesse de croisière sûre.

C'est dans cet esprit que nous avons relevé le taux cible du financement à un jour de 25 points de base le 16 avril.