La poursuite de cibles d'inflation au Canada : expérience et enseignements
Merci, Andrew. Je suis ravi d'être parmi vous à Atlanta pour vous parler de l'expérience du Canada en matière de cibles d'inflation.
Dans les années 1970 et 1980, le Canada — comme bien d'autres pays — a constaté que des taux d'inflation élevés et variables causaient énormément de dommage à l'économie. Il a fallu beaucoup de temps et beaucoup d'efforts déployés à l'intérieur de différents cadres de conduite de la politique monétaire pour ramener notre pays sur la bonne voie. J'aimerais discuter plus longuement de deux approches qui ont été adoptées au cours de cette période et qui visaient toutes deux à abaisser l'inflation.
La première approche, que le Canada a commencé à utiliser en 1975, était celle du ciblage d'un agrégat monétaire, plus précisément l'agrégat monétaire au sens étroit M1. Or, il s'est avéré que la croissance de M1 et l'inflation n'évoluaient de façon semblable que sur de très longues périodes. De plus, cette relation a été perturbée par les fortes baisses de la demande de monnaie qui se sont produites à l'époque. Après une période de recul, de 1975 à 1978, l'inflation s'est accélérée à nouveau de 1979 à 1982, et ce, malgré l'atteinte de la cible de croissance de M1 1. Incapable de contribuer systématiquement à la baisse de l'inflation dans des délais raisonnables, ce cadre de conduite de la politique monétaire n'a pu gagner la confiance et être compris du public.
La deuxième approche a été appliquée de 1982 à 1990. Pendant cette période, la politique monétaire ne s'appuyait sur aucune cible précise, sinon sur le désir de faire régresser l'inflation et — surtout après 1987 et 1988 — de se rapprocher de la « stabilité des prix ». Après la désinflation observée de 1982 à 1984, l'inflation n'a plus reculé. En l'absence de cible explicite, la politique monétaire demeurait encore mal comprise, et aucun point d'ancrage ne venait fixer les attentes relatives à l'inflation 2.
La forte expansion économique qui a marqué la fin des années 1980, conjuguée à un nouveau choc pétrolier et à l'entrée en vigueur de la taxe sur les produits et services, a fait craindre que l'inflation ne réapparaisse et ne demeure élevée. Tel est le contexte dans lequel, en 1991, le gouvernement canadien et la Banque du Canada ont convenu d'instaurer des cibles de réduction de l'inflation. Le Canada était alors le second pays, après la Nouvelle-Zélande, à se donner des cibles d'inflation officielles à moyen terme.
L'expérience canadienne : convenir d'une cible
J'aimerais maintenant examiner avec vous comment nous en sommes venus à adopter des cibles d'inflation. La Banque du Canada est régie par la Loi sur la Banque du Canada, dont le préambule indique qu'elle est instituée « pour contrôler et protéger la valeur de la monnaie nationale sur les marchés internationaux, pour atténuer, autant que possible par l'action monétaire, les fluctuations du niveau général de la production, du commerce, des prix et de l'emploi, et de façon générale pour favoriser la prospérité économique et financière du Canada ». Ce mandat se rapproche de celui, également vaste, que la législation confère à la Réserve fédérale aux États-Unis.
La théorie et l'observation des faits semblent indiquer qu'il n'existe pas d'arbitrage en longue période entre les niveaux de l'inflation et de la production. En fait, les résultats démontrent plutôt qu'un régime de faible inflation favorise une productivité plus élevée. De plus, la conduite de la politique monétaire repose essentiellement sur un seul outil. La contribution optimale que la politique monétaire puisse apporter au bien-être des Canadiens consiste donc à viser un taux d'inflation bas, stable et prévisible à moyen terme, ce qui maximise les niveaux de production soutenables et, avantage important, tend à atténuer les fluctuations de la production et de l'emploi. C'est là également le meilleur moyen de protéger la valeur de la monnaie nationale sur les marchés extérieurs en régime de changes flottants.
L'expérience des années 1970 et 1980 a sensibilisé à la fois le gouvernement et la Banque du Canada aux effets désastreux d'une inflation élevée et instable et les a ainsi dissuadés de tenter d'opérer directement des réglages de précision de la production et de l'emploi à court terme. En 1990, il y avait donc un désir croissant, de part et d'autre, d'instaurer une politique monétaire qui permettrait de mieux ancrer les attentes en matière d'inflation.
Il était primordial que les deux parties s'engagent dans le processus. Depuis 1967, la Loi sur la Banque du Canada accorde au gouvernement le pouvoir de demander ouvertement à la Banque d'adopter des mesures précises au cours d'une période donnée. Ce pouvoir n'a jamais été utilisé, mais le fait qu'il existe, et que la Loi exige du gouverneur de la Banque et du ministre des Finances qu'ils se consultent régulièrement, montre l'importance de la concertation entre les deux parties sur tout changement majeur apporté à l'objectif de la politique monétaire. D'une part, dans une société démocratique, le gouvernement doit être d'accord avec l'orientation générale de la politique monétaire; de plus, son soutien est essentiel à la crédibilité de l'objectif. D'autre part, en raison de son expertise dans le domaine, il importe que la banque centrale mène des recherches et des analyses à l'appui du cadre de conduite de la politique monétaire et de l'atteinte de l'objectif convenu.
L'entente conclue entre le gouvernement et la Banque relativement aux cibles de réduction de l'inflation a été annoncée dans un communiqué conjoint, émis à l'occasion de la présentation du budget de février 1991. La Banque a également publié un document d'information détaillé sur le cadre qu'elle utiliserait pour atteindre les cibles 3.
Comme les recherches empiriques sur le Canada indiquaient que l'horizon approprié pour la poursuite d'une cible d'inflation était d'environ 18 à 24 mois, l'atteinte de la première cible officielle, qui s'établissait à 3 % (avec une marge de fluctuation de ± 1 %), a été fixée pour décembre 1992. La série de cibles contenue dans l'entente visait à ramener l'inflation mesurée par l'indice de référence sur 12 mois à 2 % (toujours avec une marge de fluctuation de ± 1 %) avant décembre 1995.
La chute de l'inflation a été plus rapide que prévu, si bien que, dès janvier 1992, le taux d'inflation avoisinait 2 %.
L'accord avec le gouvernement a été renouvelé à trois reprises et, chaque fois, le point médian de la fourchette cible de maîtrise de l'inflation a été maintenu à 2 %. Tout au long de cette période — pendant laquelle deux gouvernements différents se sont succédé —, il y a eu une prise de conscience progressive, de part et d'autre, du rôle que la maîtrise de l'inflation joue dans la bonne tenue de l'économie canadienne. On a notamment reconnu l'effet de stabilisation automatique qu'exercent les cibles d'inflation en réaction aux chocs de la demande. Je reviendrai sur ce point plus tard.
De façon générale, le gouvernement et la Banque du Canada s'accordent sur l'objectif de la politique monétaire. Le succès de la mise en oeuvre d'une politique axée sur le maintien de l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible et d'une politique budgétaire qui vise, la plupart du temps, à dégager un léger excédent en vue d'alléger considérablement le ratio de la dette au PIB a eu pour effet d'accroître la crédibilité des deux politiques.
Le principal enseignement que la Banque du Canada tire de son expérience de la maîtrise de l'inflation a trait aux avantages qu'il y a à établir un point d'ancrage crédible pour la politique monétaire en augmentant la prévisibilité de l'inflation. Tel sera le thème du reste de mes propos.
L'établissement d'un point d'ancrage crédible axé sur la prévisibilité
Lorsque les premières cibles de réduction de l'inflation ont été annoncées au début de 1991, la Banque ne comptait pas sur un effet de crédibilité pour l'aider à réduire l'inflation. Des études menées par la suite ont d'ailleurs confirmé la pertinence de cette hypothèse : on n'a en effet noté aucune réduction manifeste des coûts de la désinflation attribuable à la crédibilité. La Banque avait alors affirmé que :
La décision de fixer des cibles formelles a pour but de donner aux entreprises et aux particuliers une idée claire de l'orientation à la baisse qui sera imprimée à l'inflation à moyen terme afin qu'ils puissent en tenir compte dans leurs décisions de nature économique [...] Les cibles de réduction de l'inflation fournissent aussi des renseignements sur les objectifs spécifiques que visera la politique monétaire de la Banque du Canada à court et à moyen terme. Ces renseignements devraient faciliter la compréhension des mesures prises par la Banque, non seulement par les participants aux marchés financiers, mais aussi par l'ensemble de la population. Ils devraient aussi fournir de meilleurs repères que ceux dont on dispose actuellement pour évaluer les résultats de ces mesures 4.
La crédibilité, l'inflation et les attentes d'inflation
Après que l'inflation eut chuté à 2 %, les attentes des prévisionnistes et des entreprises se sont rapidement mises à coïncider avec les cibles. On a d'abord observé ce mouvement pour les taux d'inflation attendus à l'horizon de deux ans. Il s'est ensuite étendu à l'horizon de six à dix ans. Enfin, les attentes relatives à l'inflation à long terme sur les marchés financiers, mesurées par l'écart entre les taux des obligations classiques à 30 ans et ceux des obligations indexées de même échéance, ont commencé à concorder avec le point médian de 2 % de la cible en 1997 5.
L'un des faits particulièrement visibles à peine deux ans après l'entrée en vigueur des cibles est que l'inflation attendue à l'horizon de deux ans ou plus avait tendance à être très peu influencée par l'évolution courante du taux d'inflation, que celui-ci soit mesuré par l'IPC global ou par notre indice de référence. Cette tendance tranchait avec les périodes antérieures de l'histoire canadienne, où les anticipations concernant l'avenir avaient été assez étroitement liées aux chiffres les plus récents de l'inflation.
À mesure que la cible de faible inflation gagnait en crédibilité, la nature même du processus d'inflation paraissait changer. La réaction à court terme de l'inflation aux excédents estimatifs de la demande ou de l'offre semble avoir diminué durant cette période 6. Il en va de même de sa réaction aux variations des prix relatifs, comme les modifications du taux de change et des cours de l'énergie 7. Ces modifications ont eu pour effet de renforcer la stabilité du processus d'inflation et, partant, de l'inflation elle-même.
De façon générale, il est devenu de plus en plus clair, au cours des dix dernières années, qu'une cible d'inflation est un antidote aux problèmes que soulèvent les anticipations inflationnistes. Elle crée, chez les observateurs de l'économie, les entreprises et les parties engagées dans des négociations salariales, un niveau de confiance et de compréhension beaucoup plus élevé que ne l'ont jamais fait les cibles d'expansion monétaire ou un désir de stabilité des prix exprimé en termes vagues. Les gens se préoccupent de l'inflation. Par conséquent, lorsque la politique monétaire met l'accent sur l'inflation elle-même et que la responsabilité des décideurs est liée à l'atteinte d'un taux donné d'inflation, le public peut voir et interpréter tant ce que la banque centrale cherche à accomplir que ses succès à cet égard.
Les attentes d'inflation revêtent une grande importance sur les marchés des changes. Le Canada a opté pour un régime de changes flottants en raison surtout des chocs asymétriques auxquels il doit faire face par rapport aux États-Unis, son principal partenaire commercial. Il est donc capital pour le Canada de doter sa politique monétaire d'un point d'ancrage crédible. La cible d'inflation a joué ce rôle de façon admirable. Les chocs subis par le taux de change n'ont pas menacé la stabilité monétaire intérieure.
La crédibilité et l'économie réelle
La stabilité accrue sur le plan de l'inflation a également été associée à des changements fondamentaux au sein de l'économie réelle au cours des années 1990. En effet, la durée moyenne des accords salariaux syndicaux et des contrats financiers s'est sensiblement prolongée, de nouveaux types de contrats financiers à long terme ont vu le jour, et le nombre des arrêts de travail a diminué. Bien que d'autres facteurs aient concouru à ces changements, la contribution des niveaux d'inflation bas et stables à ce résultat a été déterminante 8.
L'économie réelle est elle aussi devenue plus stable. Tant l'écart de production que le taux de chômage ont été moins volatils durant la dernière décennie — au cours de laquelle des cibles d'inflation ont été établies et atteintes — que pendant les dix années précédentes. De surcroît, depuis deux ans, le taux de chômage est à son plus bas niveau en vingt-cinq ans.
Comment se fait-il que la variabilité de l'inflation et de la production ait diminué? Il y a, je crois, deux raisons principales à cela. D'abord, comme je le mentionnais plus tôt, la crédibilité accrue de la politique monétaire a contribué à un comportement plus stable de l'économie. Ensuite, la politique monétaire elle-même a été améliorée avec l'adoption d'un cadre prospectif de poursuite de cibles d'inflation, qui a permis au Canada d'éviter les importants cycles de surchauffe et de récession enregistrés entre la fin des années 1960 et le début des années 1990, et ce, grâce à la prompte réaction de la politique monétaire à l'évolution économique.
Plus particulièrement, quand il se produit des chocs de demande, le cadre de maîtrise de l'inflation exerce un effet de stabilisation automatique sur l'économie. Par exemple, un choc négatif sur la demande entraîne une baisse des taux d'intérêt en deçà du niveau où ils se seraient situés sinon. Cela a pour conséquence de ramener la production vers le niveau de son potentiel, et l'inflation, au point médian de la fourchette cible. À cet égard, il convient de souligner le rôle des réactions symétriques aux chocs positifs et négatifs, lequel est facilité par l'accent mis sur le point médian visé.
Face à des chocs d'offre, qui se traduisent par un taux d'inflation plus élevé que prévu pour un niveau de demande donné, le fait de se concentrer sur l'inflation attendue dans 18 à 24 mois permet de ne pas tenir compte des chocs temporaires, dans la mesure où ceux-ci ne se répercutent pas sur les attentes d'inflation, ce qui, comme je l'ai signalé précédemment, n'est généralement plus le cas. Prenons l'exemple des variations des prix causées par des composantes volatiles, comme les prix de l'énergie ou ceux des fruits et légumes. Pour nous guider dans la conduite de la politique monétaire, nous recourons à un indice de référence qui exclut ces composantes. Cet indice nous donne, ainsi qu'aux marchés financiers, une indication relativement sûre de la tendance fondamentale de l'inflation. La réaction du taux d'intérêt à ce qui est perçu comme un choc des prix provisoire peut donc être minime. Par conséquent, la production varie peu et a tendance à être plus stable que lorsque l'absence d'attentes fermement ancrées oblige les autorités monétaires à réagir plus vigoureusement aux chocs de prix, même si elles sont d'avis que ceux-ci seront d'assez courte durée.
Au fur et à mesure qu'il a pris conscience de la valeur de taux d'inflation bas, stables et prévisibles, le public s'est mis à aborber les questions de politique monétaire dans le cadre de la poursuite des cibles d'inflation. Au cours des périodes qui ont précédé la reconduction de l'entente relative aux cibles de maîtrise de l'inflation entre la Banque du Canada et le gouvernement canadien en 1998 et en 2001, le débat a porté sur le niveau approprié de la cible (un point médian de 1, 2 ou 3 %, par exemple) et sur certains détails d'ordre technique, et non sur le bien-fondé d'une cible d'inflation.
Améliorations visant à accroître la prévisibilité
Dans l'entente que nous avons conclue en mai dernier, nous avons maintenu le point médian de 2 % comme cible d'inflation. La Banque a publié une note d'information décrivant les améliorations qu'elle compte apporter au cadre de réalisation de cette cible 9. Ces améliorations, qui devraient permettre d'accroître la prévisibilité de l'inflation à long terme, sont au nombre de quatre : premièrement, nous avons prolongé la durée de l'entente, qui passe maintenant à cinq ans, contre trois pour les deux précédentes; deuxièmement, la Banque a clairement fait savoir qu'elle vise le point médian de sa fourchette cible de maîtrise de l'inflation, qui va de 1 à 3 %; troisièmement, elle s'est engagée à accorder dans le Rapport sur la politique monétaire et ses Mises à jour une attention particulière aux écarts persistants qui pourraient survenir entre l'inflation mesurée par l'IPC et le point médian visé; quatrièmement, elle a modifié la définition de sa mesure de l'inflation tendancielle, afin de mieux cerner la tendance fondamentale de l'inflation.
Les avantages, sur le plan de la prévisibilité, qu'offre une entente d'une plus grande durée vont de soi. Le renforcement du message selon lequel la Banque vise le point médian de 2 %, conjugué à l'attention particulière qui sera accordée aux écarts persistants par rapport à ce dernier, est destiné à indiquer clairement que nous ne sommes pas indifférents aux variations de la tenue de l'inflation à l'intérieur de la fourchette cible. En effet, nous visons constamment à ramener l'inflation à 2 % à un horizon de 18 à 24 mois. Grâce à l'adoption d'une telle pratique, le taux d'inflation moyen sur des périodes de plus en plus longues aura tendance à se rapprocher de 2 % 10.
Jusqu'à l'an dernier, la Banque utilisait, pour mesurer l'inflation tendancielle, un indice de référence correspondant à l'IPC hors alimentation, énergie et effet des modifications des impôts indirects. Les prix des aliments et de l'énergie étant très volatils, leurs fluctuations ont tendance à s'inverser assez rapidement. Par conséquent, comme il faut un certain temps avant que les mesures de politique monétaire agissent pleinement, il serait inapproprié de tenter de neutraliser les mouvements de courte durée de l'IPC global causés par ces fluctuations. Parmi les éléments de la composante « alimentation », toutefois, seuls les prix des fruits et légumes sont très changeants. Et dans le cas de l'énergie, les cours de l'électricité au Canada ne sont pas particulièrement instables. C'est pourquoi notre nouvelle mesure de l'inflation tendancielle n'exclut que les éléments volatils de l'alimentation et de l'énergie, ainsi que les trois autres composantes les plus variables de l'IPC, soit les produits du tabac, le transport interurbain et les intérêts sur les prêts hypothécaires. Comme auparavant, l'effet des modifications des impôts indirects sur les autres composantes est également exclu. Non seulement le nouvel indice de référence repose sur des bases statistiques plus solides, mais il s'est aussi avéré un meilleur indicateur de l'évolution future de l'IPC global que son prédécesseur 11.
De manière générale, nous nous attendons à ce que ces améliorations contribuent à accroître la prévisibilité de l'inflation au Canada dans les années à venir, ce qui devrait étayer les avantages que tire l'économie canadienne du point d'ancrage crédible que sont les cibles de maîtrise de l'inflation.
Bibliographie
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