La Banque du Canada et la stabilité financière
Je suis très heureux d'être à Montréal aujourd'hui. Le mois dernier, lorsque j'ai pris la parole en public pour la première fois comme gouverneur, j'ai parlé de la contribution que la Banque du Canada apporte à la bonne tenue de l'économie. Cette contribution, c'est le maintien de l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible. J'ai aussi souligné combien il est important d'entretenir un dialogue franc avec les marchés financiers et le public. Cela est nécessaire si nous voulons formuler et mener une politique monétaire efficace, tout spécialement en période de grande incertitude.
Bien sûr, la stabilité monétaire qu'engendre un bas taux d'inflation est essentielle à la bonne tenue de l'économie. Mais, pour bien fonctionner, celle-ci a besoin aussi d'un système financier efficient et stable. Et avec l'interdépendance grandissante au sein de l'économie mondiale, il est encore plus important que tous les pays appliquent de saines politiques macroéconomiques et disposent de systèmes financiers robustes.
J'aimerais discuter avec vous aujourd'hui de la contribution de la Banque à la stabilité financière, au pays et à l'étranger. Je dirai également quelques mots sur la conjoncture économique.
L'ouverture du Canada sur le monde
Une économie ouverte comme la nôtre est très sensible à ce qui se passe ailleurs dans le monde. C'est pourquoi le Canada s'intéresse de très près à la santé et à la solidité de l'environnement international.
Étant donné que plus de 80 % de nos échanges commerciaux se font avec les États-Unis, l'évolution de la situation dans ce pays a forcément une incidence très profonde sur notre économie. Toutefois, comme l'a montré l'expérience récente, des événements se produisant dans des pays lointains peuvent aussi avoir des répercussions chez nous. La crise du peso mexicain en 1994-1995 et la crise financière asiatique en 1997-1998 l'ont bien illustré. Dans les deux cas, le Canada a été rudement secoué.
On aurait tort de conclure de mes propos que la mondialisation, c'est-à-dire l'intégration croissante des économies nationales et des marchés financiers, est à blâmer pour tout cela. J'estime au contraire que la mondialisation est, et continuera d'être, une source de richesse et de croissance pour Montréal, pour le Canada, et d'ailleurs pour tous les pays.
Toutefois, les épisodes récents de turbulence ont fait ressortir certaines faiblesses dans le système financier mondial. Et nous devons chercher à y remédier afin que tous les habitants de notre « village planétaire » puissent récolter les fruits de l'intégration. J'aimerais donc vous expliquer ce que fait la Banque pour promouvoir la stabilité financière.
L'importance de la solidité des systèmes financiers
En plus de chercher à réaliser la stabilité monétaire par l'entremise d'un bas taux d'inflation, les banques centrales, dont la Banque du Canada, ont le devoir de promouvoir la stabilité et la solidité du système financier de leur pays.
Une économie de marché comme la nôtre ne peut bien fonctionner sans l'appui d'un système financier robuste. Des institutions financières vigoureuses, une infrastructure solide et des marchés efficients sont nécessaires pour faciliter les transactions et canaliser l'épargne vers des investissements productifs. Pour qu'une économie puisse afficher de bons résultats, les particuliers et les entreprises doivent être convaincus que la monnaie et les créances financières peuvent être créées, détenues, transférées et réglées de manière fiable et efficiente.
Mais si les mécanismes en place ne fonctionnent pas bien, les chocs qui frappent le système financier peuvent s'amplifier en passant d'un compartiment à un autre et en traversant les frontières. Que ces chocs soient de nature économique ou qu'ils émanent du système financier, ils peuvent finir par avoir un impact important sur l'ensemble de l'économie.
Les pays ont donc tout intérêt à veiller à la bonne marche de leurs systèmes financiers, afin que ceux-ci ne provoquent pas l'instabilité et empêchent qu'elle se répande à l'échelle tant nationale qu'internationale.
La contribution de la Banque à la stabilité du système financier canadien
Au Canada, la Banque partage la responsabilité de la stabilité financière au niveau fédéral avec trois autres institutions : le Bureau du surintendant des institutions financières, la Société d'assurance-dépôts du Canada et le ministère des Finances. Différents organismes provinciaux jouent également un rôle important dans ce domaine.
La Banque se penche sur les questions de stabilité financière touchant l'ensemble du système et laisse aux autres institutions la responsabilité première des questions plus spécifiques. La Banque cherche avant tout à assurer la solidité du système financier et son bon fonctionnement. À cette fin, elle fournit des liquidités aux acteurs financiers dans des circonstances normales ou exceptionnelles. Elle conseille le gouvernement fédéral dans la conception et l'orientation du système financier. Elle exerce une surveillance générale sur les grands systèmes de compensation et de règlement afin d'éviter que la défaillance d'un participant ne crée un effet domino. Elle offre des services bancaires à ceux qui exploitent et utilisent ces systèmes. Et elle collabore aux travaux des autres organismes nationaux et internationaux qui s'intéressent à la stabilité financière.
Grâce aux efforts réunis de tous ceux qui s'emploient à promouvoir la stabilité financière au Canada, nous disposons d'un système financier efficient et robuste. Ce système est conforme à toutes les principales normes internationales, comme le Fonds monétaire international (FMI) l'a reconnu officiellement en 1999.
Il reste que le paysage financier ne cesse de se modifier. La concurrence accrue au niveau mondial et l'émergence des nouvelles technologies de l'information favorisent la création de produits financiers de plus en plus sophistiqués. De plus, les institutions financières inventent constamment de nouvelles façons de fournir les services à leur clientèle.
Qu'est-ce que cela signifie pour l'engagement de la Banque envers la stabilité financière? Tout simplement que la banque centrale, de même que les autres organismes fédéraux et provinciaux chargés de veiller à la santé de notre système financier, doit suivre de près l'évolution de la situation et en mesurer toutes les implications possibles pour la stabilité financière. Il lui faut continuer de renforcer la résistance du système financier canadien aux chocs. Mais, malgré les plus grandes précautions, il arrivera parfois que des difficultés surviennent et nous devrons alors intervenir pour les résoudre de façon efficace et au moindre coût possible. Parce que si les risques que cela se produise sont faibles, les conséquences, elles, pourraient être majeures.
La contribution de la Banque à la stabilité financière mondiale
Passons maintenant aux initiatives visant à réformer l'architecture financière internationale et à la contribution de la Banque à la stabilité financière mondiale.
Au lendemain des crises financières des années 1990, on a créé de nouveaux organismes internationaux et renforcé les anciens afin de cerner les lacunes du système financier mondial et d'y remédier.
La Banque du Canada participe activement à plusieurs forums internationaux où les grandes questions concernant la stabilité financière sont débattues. De plus, nous travaillons en étroite collaboration avec d'autres membres à mettre au point des cadres de prévention, de gestion et de résolution des crises internationales.
J'aimerais souligner en particulier la participation de la Banque à deux nouveaux groupes formés en 1999 : le Groupe des Vingt et le Forum sur la stabilité financière. Le Groupe des Vingt, qui est présidé actuellement par M. Martin, le ministre des Finances du Canada, rassemble les autorités de pays développés et d'économies à marché émergent qui discutent des facteurs essentiels au bon fonctionnement de l'économie mondiale. Ces facteurs touchent notamment les régimes de change, les bonnes pratiques en matière de transparence dans la conduite des politiques budgétaire, monétaire et financière, et le rôle du secteur privé dans la résolution des crises. Pour sa part, le Forum sur la stabilité financière se charge de repérer les faiblesses systémiques et s'occupe de dossiers tels que les places financières extraterritoriales, les mouvements de capitaux et les normes et codes financiers internationaux.
Les priorités de la Banque dans la promotion de la stabilité financière mondiale
Étant donné ses champs de compétence, la Banque a mis et continuera de mettre l'accent, dans sa participation internationale, sur trois éléments clés de la stabilité, à savoir les régimes de change, l'infrastructure du système financier et la participation du secteur privé à la résolution des crises.
Compte tenu de notre longue expérience des taux de change flottants et de notre solide réputation dans le domaine des cibles d'inflation, un certain nombre de banques centrales de pays à marché émergent nous ont demandé de l'aide pour élaborer et appliquer des cadres de politique fondés sur des cibles d'inflation. Nous avons accédé à plusieurs de ces demandes et nous pensons être de nouveau appelés à le faire dans l'avenir.
En ce qui concerne l'infrastructure du système financier, parallèlement à nos propres travaux sur la supervision des principaux systèmes de paiement et l'approvisionnement en liquidités au Canada, nous étudions ces mêmes questions selon une perspective mondiale au sein de différents comités de la Banque des Règlements Internationaux. De plus, nous contribuons à la formulation de normes ayant pour objet d'assurer le fonctionnement harmonieux des systèmes de paiement.
Par ailleurs, la Banque participe de près aux efforts internationaux visant à réduire les risques associés au règlement des opérations de change et des opérations sur titres.
Le dernier élément est la participation du secteur privé à la résolution des crises. Nous savons tous que, même avec les meilleures mesures de prévention, on ne pourra pas éliminer complètement le risque que des perturbations économiques et financières d'origine étrangère se transmettent aux économies nationales des quatre coins du monde. La communauté internationale s'est entendue sur de nouveaux mécanismes d'aide à offrir en cas d'urgence aux pays membres du FMI qui sont en difficulté. Les ressources du Fonds monétaire ne sont toutefois pas illimitées. Le secteur privé est donc appelé à jouer un rôle clé dans la résolution des crises.
Il est essentiel de mieux définir le volume de l'aide officielle pouvant être offerte si l'on veut encourager les débiteurs et les créanciers du secteur privé à trouver ensemble des solutions en période de crise. Bien que nous espérions que les parties intéressées réussiront, dans la plupart des cas, à corriger la situation de leur plein gré, force est de reconnaître que, dans certaines circonstances, un moratoire (c'est-à-dire la suspension temporaire des paiements au titre du service de la dette) aurait l'avantage de donner au pays débiteur en difficulté l'occasion de s'organiser pour faire face à ses problèmes.
Il n'existe pas encore de large consensus à l'échelle internationale sur les limites des prêts officiels et les moratoires. Nous allons donc poursuivre nos travaux à cet égard.
Avant de résumer les principaux points que j'ai soulevés aujourd'hui, j'aimerais vous donner un aperçu de la situation économique actuelle au Canada.
L'évolution économique récente
Lorsqu'il s'agit de prévoir l'évolution à court terme de l'économie canadienne, nous faisons tous face présentement à un certain nombre d'incertitudes. La plus importante a trait à l'ampleur et à la durée du ralentissement de l'économie américaine.
Le fait que les données économiques récentes concernant l'Amérique du Nord soient contrastées accentue l'incertitude. Il est vrai que ces données confirment qu'il y a une décélération de l'activité, mais certaines d'entre elles sont plus faibles que prévu, et d'autres meilleures. C'est particulièrement le cas ici, au Canada. Mais aux États-Unis, aussi, on a eu droit à de bonnes et à de mauvaises nouvelles.
Dans ce pays, le nombre d'indicateurs positifs, bien qu'il ne soit pas concluant, laisse espérer la fin prochaine du ralentissement. Nous continuons de croire que l'économie américaine va se redresser au second semestre de l'année, grâce au repli des taux d'intérêt et à la modération des prix de l'énergie. Le moment exact où se produira la reprise, cependant, demeure inconnu et dépendra en grande partie de l'évolution de la confiance des consommateurs américains.
Ici, au Canada, les dernières données tirées des comptes nationaux, qui comprennent des révisions au profil de croissance des trois premiers trimestres de 2000, révèlent que le niveau de l'activité économique n'était pas aussi élevé à la fin de l'année dernière que nous l'avions d'abord estimé. De plus, les indicateurs les plus récents donnent à penser que l'économie a progressé moins rapidement au premier trimestre de 2001 qu'au dernier trimestre de 2000.
On le voit clairement dans l'industrie automobile, où il a fallu réduire la production à cause de l'affaiblissement de la demande et de l'accumulation de stocks excédentaires aux États-Unis. Les produits électroniques et de télécommunications sont deux autres secteurs où l'activité – qui se situait à de très hauts niveaux – a ralenti et où la production mondiale dépasse la demande.
Ce sont là trois industries de premier plan. Il est donc naturel qu'elles attirent beaucoup d'attention, en particulier dans les régions du Canada où elles sont fortement concentrées. Mais ramenons les choses à leur juste mesure : plusieurs autres secteurs importants de notre économie affichent encore un dynamisme considérable. Par exemple, les investissements dans le domaine de l'énergie et les commandes dans l'industrie aérospatiale ici, au Québec, sont remarquablement vigoureux. Le volume des ventes au détail autres que celles de voitures reste élevé, tout comme le taux d'activité dans les secteurs du logement et de la construction non résidentielle, ainsi que dans la plupart des autres industries de services.
Lorsque nous avons examiné l'ensemble de ces données au début de mars, nous sommes arrivés à la conclusion que nous disposions, à court terme, de la latitude voulue pour assouplir la politique monétaire sans provoquer de pressions sur la capacité et l'inflation. Nous avons donc abaissé le taux d'escompte de 50 points de base le 6 mars dernier, ce qui porte le total des réductions depuis janvier à 75 points de base.
Avant de prendre cette mesure, nous avons aussi tenu compte des incertitudes entourant le moment et l'ampleur de la reprise attendue aux États-Unis, et de leurs conséquences sur la croissance de la demande globale au Canada. La Banque reste d'avis que la réduction des taux d'intérêt au pays et la hausse des revenus disponibles alimentée par les récentes baisses d'impôts devraient aider à soutenir l'expansion de la demande intérieure au deuxième semestre de l'année.
L'impulsion additionnelle donnée à l'économie est compatible avec le maintien de l'inflation mesurée par l'indice de référence à près de 2 %, soit le point médian de la fourchette de maîtrise de 1 à 3 % que vise la Banque. Pour ce qui est du taux d'augmentation de l'IPC global, nous prévoyons encore qu'il baissera pour s'établir autour de 2 % au second semestre, en supposant que les cours mondiaux du pétrole demeurent environ aux niveaux actuels.
Par conséquent, nous restons relativement optimistes quant aux perspectives économiques du Canada pour le reste de l'année et le début de 2002. Mais, étant donné les incertitudes qui planent, nous continuerons de suivre de près l'évolution de la situation, ici et à l'étranger.
Conclusion
Permettez-moi maintenant de conclure.
L'interdépendance croissante des économies nationales, les mouvements considérables de capitaux et les nouvelles sources de risques potentiels découlant de la mondialisation ont fait pleinement ressortir l'importance de politiques macroéconomiques saines et de systèmes financiers robustes et efficients.
L'utilisation par la Banque de cibles d'inflation pour la conduite de la politique monétaire, notre régime de changes flottants et la transparence des mesures de politique se sont avérés précieux durant les périodes difficiles que nous avons dû traverser au cours de la dernière décennie.
Les Canadiens peuvent être fiers de leur système financier, dont la solidité et l'efficience sont reconnues mondialement. Mais pour que notre système demeure solide et efficient, nous devons faire en sorte que ceux parmi nous qui veillent à la stabilité financière évoluent au même rythme que les marchés.
La Banque du Canada continuera de travailler étroitement avec ses partenaires canadiens et étrangers afin de renforcer la stabilité financière, chez nous et ailleurs dans le monde. Car, pour paraphraser John Donne, de nos jours, nul pays n'est une île complète en elle-même.