Responsabilité et transparence dans la conduite de la politique monétaire au Canada

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Les institutions publiques connaissent depuis une dizaine d'années de profonds changements. L'un des plus importants est la place croissante accordée à la responsabilité, ou l'obligation de rendre compte, qui amène les institutions publiques à devenir plus ouvertes et à donner plus d'information sur leurs opérations, bref, à faire preuve d'une plus grande « transparence », pour employer le mot à la mode.

Nulle part ce mouvement vers une transparence accrue n'a été plus marqué que parmi les banques centrales des grands pays industriels. Traditionnellement, ces institutions ont été plutôt fermées, presque mystérieuses, conformément à la pensée voulant que les mesures de politique monétaire ne soient efficaces que si elles créaient un effet de surprise auprès des marchés financiers. Depuis quelques années, la philosophie qui sous-tend la politique monétaire au Canada et dans la plupart des grands pays a plutôt évolué dans le sens opposé. Ce revirement ne s'explique pas seulement par l'obligation de rendre compte; il est aussi dû au fait que les banques centrales reconnaissent maintenant qu'elles peuvent en fait obtenir de meilleurs résultats en faisant preuve de transparence.

Aujourd'hui, j'aimerais vous parler d'abord de certaines des mesures que nous avons prises afin d'accroître la transparence de la conduite de la politique monétaire canadienne. Je profiterai aussi de l'occasion pour exposer ensuite le point de vue de la Banque sur l'évolution économique récente au Canada et à l'étranger, et je vous donnerai un aperçu de ce que l'avenir laisse présager. Enfin, je vous expliquerai ce que fait la politique monétaire pour maintenir l'expansion actuelle au pays à un niveau que l'économie peut soutenir.

Responsabilité et transparence dans la conduite de la politique monétaire

À mon avis, pour que les institutions publiques puissent être transparentes et rendre vraiment compte de leurs actions, il est indispensable qu'elles poursuivent des objectifs clairs. C'est certainement le cas pour les autorités monétaires.

L'adoption au Canada, en 1991, de cibles précises de réduction de l'inflation a marqué un pas important vers une plus grande ouverture. L'inflation a diminué rapidement par la suite, et, depuis 1994, nous visons à la maintenir à un niveau bas et stable, soit à l'intérieur d'une fourchette de 1 à 3 %. Cette fourchette explicite constitue un repère précis à partir duquel nous pouvons mesurer les réussites ou les échecs de la Banque et donc sur lequel nous pouvons nous appuyer pour rendre compte au public de nos actions.

Toutefois, comme je l'ai déjà souligné à maintes reprises, un bas taux d'inflation n'est pas une fin en soi. C'est parce qu'il contribue à rendre l'économie plus productive, plus stable et plus prospère que nous lui accordons autant d'importance. En définitive, notre responsabilité envers le public consiste à maîtriser l'inflation en vue d'améliorer la tenue générale de l'économie.

Il est intéressant de constater que lorsqu'une banque centrale adopte une cible explicite de maîtrise de l'inflation, comme l'a fait la Banque, et qu'elle a l'obligation de rendre compte de la réalisation de cette cible, le mouvement vers une transparence accrue s'accélère. En effet, il devient rapidement évident que la politique monétaire est mieux en mesure d'atteindre la cible visée si le public et les marchés financiers comprennent les facteurs qui agissent sur l'inflation ainsi que l'évaluation qu'elle fait de ces facteurs et les mesures qu'elle est susceptible de prendre pour y faire face.

Ici, au Canada, nous avons pu constater que les succès répétés de la Banque dans la réalisation des cibles ont eu pour effet de modifier les attentes du public au sujet de l'inflation : plus l'engagement de la Banque envers la réalisation des cibles devenait crédible, plus les Canadiens élaboraient leurs projets en supposant que la tendance future de l'inflation allait demeurer à l'intérieur de la fourchette visée.

Un engagement crédible à maîtriser l'inflation engendre au fil du temps d'autres effets positifs. À mesure que la crédibilité se renforce, l'incertitude à l'égard de l'inflation future diminue. Les taux d'intérêt sont plus bas qu'ils ne le seraient autrement, et les investissements effectués en machines et matériel et dans les nouvelles technologies augmentent, ce qui a pour effet à long terme de consolider la croissance économique.

Mais ce n'est pas tout. Plus les Canadiens sont convaincus que l'inflation restera maîtrisée, moins ils sont prompts à réagir aux perturbations inattendues qui pourraient influencer l'évolution de l'inflation. Cela favorise une plus grande stabilité économique et donne à la Banque un peu plus de temps pour évaluer l'ampleur et la persistance de telles perturbations. Grâce à la confiance accrue du public, la Banque dispose aussi d'une plus grande marge de manoeuvre pour sonder les limites de la capacité de production de l'économie et créer des emplois sans provoquer de pressions inflationnistes, lesquelles nuiraient au maintien de l'expansion économique.

La transparence et la responsabilité dans la conduite de la politique monétaire reposent sur l'efficacité des communications. C'est pourquoi la Banque a mis en oeuvre diverses initiatives visant à améliorer ses communications avec le public.

Il y a cinq ans, nous avons remanié notre Rapport annuel pour en faire un compte rendu plus simple et d'une lecture plus facile de la façon dont nous avons géré la Banque au cours de l'année écoulée et de l'efficacité avec laquelle nous nous sommes acquittés de nos principales fonctions.

À cette même époque, nous avons aussi commencé à publier notre Rapport sur la politique monétaire, qui paraît tous les six mois, soit en mai et en novembre. Ce rapport décrit la façon dont nous menons la politique monétaire et présente notre analyse des données économiques récentes ainsi que nos prévisions en matière de croissance économique et d'inflation.

À la suite de la publication de chaque livraison du Rapport sur la politique monétaire, nous rencontrons les médias, des économistes du secteur privé et des analystes financiers. De plus, je me présente devant un comité du Parlement pour discuter avec des élus du contenu du Rapport. Ces deux initiatives constituent des éléments importants du processus par lequel nous rendons compte de nos actions.

Cependant, la période de six mois qui s'écoule entre la publication de chaque livraison du Rapport sur la politique monétaire paraît plutôt longue, aux yeux surtout des participants au marché et des économistes qui suivent de près l'évolution de la politique monétaire. C'est pour cette raison que paraîtra le mois prochain, dans la livraison d'hiver 1999-2000 de la Revue de la Banque du Canada, une mise à jour émanant du Conseil de direction de la Banque de l'analyse présentée dans le Rapport. Une telle mise à jour est publiée à intervalles réguliers (soit en février et en août), entre les livraisons du Rapport sur la politique monétaire.

À cause de l'étendue du Canada et de la grande diversité de ses régions économiques, il est important pour la Banque de maintenir un dialogue avec des gens de partout au pays pour avoir de l'information de première main sur ce qui se passe dans tous les coins de la scène économique canadienne. C'est pourquoi, en 1997, nous avons établi cinq bureaux régionaux, dont un dans les provinces de l'Atlantique, situé ici même à Halifax. Les représentants de la Banque qui travaillent dans ces bureaux entretiennent des contacts avec des associations, des entreprises, des groupes communautaires, des fonctionnaires, des collèges et des universités de la région afin de transmettre et d'obtenir des renseignements et de permettre un échange de points de vue sur l'économie et la politique monétaire.

De plus, mes collègues de la Haute Direction à Ottawa et moi-même rendons fréquemment visite à des groupes locaux, comme le vôtre, pour répondre à leurs questions et prêter l'oreille à leurs commentaires et à leurs préoccupations. Ces rencontres nous aident à faire en sorte d'être entendus et d'entendre de vive voix ce qui se passe d'un océan à l'autre.

J'aimerais aussi vous signaler que, si vous aimez naviguer dans Internet, vous trouverez une foule de renseignements sur le site Web de la Banque du Canada. Nos publications, allocutions et communiqués de presse récents y sont versés. Le site contient également de l'information sur les taux d'intérêt et les taux de change ainsi que des notes expliquant simplement et brièvement divers aspects de la politique monétaire. On y trouve aussi un petit programme très intéressant, la feuille de calcul de l'inflation, qui vous permet de connaître l'effet qu'a eu l'inflation sur la valeur de votre argent pendant une période donnée, quelle qu'elle soit, au cours des 85 dernières années. Cet outil aide vraiment à comprendre à quel point l'inflation gruge le pouvoir d'achat de la monnaie au fil du temps.

C'étaient là quelques-unes des mesures que nous avons prises afin de devenir une institution plus ouverte, accessible et responsable envers le public canadien.

Permettez-moi maintenant de vous faire part de mon point de vue sur la situation actuelle de l'économie canadienne et ses tendances ainsi que sur les perspectives d'évolution de l'inflation et de la politique monétaire.

L'économie canadienne : évolution récente et perspectives

L'année 1999 s'est avérée très bonne pour le Canada. Notre économie s'est nettement remise de la crise financière mondiale de 1997-1998 et de l'incidence négative que cette dernière a eue sur les prix des principaux produits de base que nous exportons. De fait, je m'attends à ce que les résultats du dernier trimestre de 1999 révèlent, une fois qu'ils seront disponibles, que la croissance économique s'est chiffrée à près de 4 % par rapport au quatrième trimestre de 1998. L'emploi a également connu une vive progression, faisant passer le taux de chômage à l'échelle nationale juste sous la barre des 7 %, ce qui ne s'était pas vu depuis 18 ans. L'économie de la Nouvelle-Écosse s'est aussi très bien comportée au cours de la dernière année, tant au chapitre de la production qu'à celui de l'emploi. De fait, pour ce qui est de la création d'emplois durant ces douze mois (c'est-à-dire de décembre 1998 à décembre 1999), les gains enregistrés dans la province ont été supérieurs à la moyenne nationale.

Un certain nombre de facteurs ont contribué à l'essor de l'économie canadienne. À l'étranger, tout d'abord, l'étonnant dynamisme du marché américain nous a été très favorable. L'accélération de la croissance en Europe et la reprise observée dans certains des pays asiatiques qui avaient été les plus touchés par la crise financière nous ont également aidés, de même que le redressement qu'ont connu les cours des produits de base à la faveur du raffermissement de l'activité économique à l'échelle mondiale. D'autre part, la progression plus forte que prévu de la dépense intérieure, attribuable à un regain de confiance des agents économiques, à la croissance de l'emploi et au niveau relativement bas des taux d'intérêt, a aussi joué un rôle dans l'accélération de l'expansion économique.

Lorsque j'ai exposé quelles étaient les perspectives d'évolution de notre économie à Charlottetown au début du mois de novembre, et à nouveau peu de temps après, au moment de la parution du dernier Rapport sur la politique monétaire, j'ai indiqué que la Banque s'attendait à ce que la tenue de l'économie canadienne soit bonne en l'an 2000. J'entendais par là que la croissance se poursuivrait à un rythme sain et que le taux de l'inflation tendancielle (mesuré par l'indice des prix à la consommation hors alimentation, énergie et effet des variations des impôts indirects) demeurerait près du point médian de la fourchette cible de 1 à 3 % que nous visons.

Les renseignements recueillis depuis lors donnent à penser que la croissance de la demande au Canada sera peut-être plus vive encore que nous l'avions envisagé, en raison de la vigueur inattendue de l'économie mondiale (surtout de l'économie américaine) et des marchés internationaux des matières premières. Il se peut donc que le rythme de l'expansion économique cette année soit un peu plus rapide que prévu et s'inscrive dans la partie supérieure de la plage de 2 3/4 à 3 3/4 % que nous avions projetée à l'automne.

J'avais aussi fait remarquer, en novembre dernier, que des risques d'inflation pesaient sur nos prévisions concernant le Canada, que la Banque en était consciente et qu'elle devait se tenir prête à y faire face, puisque la politique monétaire doit être prospective. J'avais alors insisté sur deux risques en particulier, soit, d'une part, que les pressions inflationnistes s'intensifient aux États-Unis et que cela ait des répercussions sur notre pays, et, d'autre part, que la demande de produits canadiens se renforce sensiblement au pays comme à l'étranger.

Il ressort de l'évolution économique enregistrée depuis novembre que ces risques demeurent. Il faut donc que la Banque continue d'être vigilante et qu'elle soit prête à réagir promptement afin de maintenir la tendance de l'inflation à un bas niveau. Que l'on ne s'y trompe pas : une résurgence de l'inflation compromettrait les chances que l'expansion soit durable.

Bien entendu, le défi que nous devons relever en matière de politique monétaire consiste à évaluer avec soin le moment où une intervention s'avère nécessaire. Idéalement, nous voudrions que l'économie se rapproche le plus possible des limites de sa capacité de production. Une fois ce seuil atteint, le taux d'inflation peut rester bas et stable pendant que l'activité économique s'accroît à une cadence qui puisse être soutenue en longue période. C'est lorsque la vigueur persistante de la demande pousse l'économie à fonctionner bien au delà des limites de sa capacité durant un certain temps que les pressions inflationnistes commencent à se manifester. Et c'est précisément ce que la politique monétaire doit essayer d'éviter.

Malheureusement, en pratique, il est très difficile d'évaluer avec exactitude où se situe ce seuil optimal d'utilisation des capacités. Et cela devient encore plus problématique après une période de restructuration importante comme celle qu'a traversée le Canada durant les années 1990. Bien que les mesures habituelles donnent à penser que notre économie tourne actuellement à plein régime, il est tout à fait possible que les changements structurels opérés aient entraîné un accroissement de notre capacité de production; le problème est que nous ne savons pas vraiment quelle est son ampleur.

C'est pourquoi la Banque surveille étroitement une vaste gamme d'indicateurs qui peuvent l'aider à évaluer l'intensité des pressions présentes et futures s'exerçant sur l'appareil de production et l'inflation. Parmi ces indicateurs figurent notamment les variations inattendues du taux d'inflation, l'évolution des attentes en matière d'inflation, d'autres mesures des pressions au sein des marchés des biens et du travail, l'expansion de la monnaie et du crédit et les renseignements que nos représentants régionaux obtiennent grâce aux liens qu'ils entretiennent avec des entreprises dans tous les coins du pays.

Étant donné la vive progression que connaît actuellement la demande et les niveaux élevés de l'activité économique, et compte tenu de l'incertitude entourant les évaluations de la production potentielle au pays, la Banque doit continuer d'être vigilante. Elle doit toujours être à l'affût des signes annonciateurs de pressions sur les prix et les coûts et se tenir prête, si de tels signes se manifestent, à s'opposer rapidement aux pressions naissantes.

Pour conclure, je dirai que la Banque du Canada a pris toute une série de mesures pour devenir plus ouverte, ou plus « transparente », en ce qui concerne la conduite de la politique monétaire et pour mieux rendre compte de ses actions. Par l'entremise des rapports que nous publions à intervalles réguliers et des allocutions que nous prononçons, comme celle d'aujourd'hui, nous avons l'intention de continuer à tenir le public au courant de l'état dans lequel se trouve notre économie et de la direction qu'elle nous semble emprunter, des risques que nous envisageons et de la mesure dans laquelle la politique monétaire peut contribuer à les réduire.

Ces jours-ci, la Banque est attentive aux risques accrus d'inflation qui se profilent en raison de l'expansion plus synchronisée qu'on ne s'y attendait des principales économies mondiales. Non seulement la très forte activité aux États-Unis continue-t-elle de stimuler la demande de produits canadiens, mais en plus la remontée des cours des matières premières alimente notre revenu national et accentue l'essor de la dépense intérieure au pays.

La Banque demeure déterminée à maintenir la tendance de l'inflation à l'intérieur de sa fourchette cible de 1 à 3 %. Et la raison à cela est tout simplement qu'un taux d'inflation bas et stable est essentiel à la poursuite d'une expansion économique saine et durable.

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