L'économie canadienne à l'approche de l'an 2000
Je suis toujours très heureux de revenir chez moi et de m'entretenir avec les habitants de ma province natale. Si je suis à Regina aujourd'hui, c'est parce que le Conseil d'administration de la Banque du Canada y tient une de ses réunions. En effet, une fois par an, les membres du Conseil se réunissent ailleurs que dans la ville d'Ottawa, dans les diverses régions du pays en alternance. Et cette année, c'est le tour de Regina, à notre grand plaisir.
Dans mon allocution d'aujourd'hui, j'aimerais faire le point sur l'évolution récente de l'économie canadienne et ses perspectives d'avenir. Je vous informerai ensuite de l'état d'avancement des travaux d'adaptation des systèmes à l'an 2000 dans le secteur financier canadien.
La tenue récente de l'économie canadienne
Ici, en Saskatchewan, vous ne savez que trop bien à quel point les deux dernières années ont été difficiles pour l'économie canadienne, particulièrement pour les producteurs de matières premières. Mais il y a des raisons d'être optimistes quant à l'avenir et, pour les apprécier pleinement, il importe de bien comprendre les chocs extérieurs qui ont perturbé notre économie depuis le milieu de 1997 et comment celle-ci y a fait face.
La crise financière mondiale, qui a débuté en Asie du Sud-Est au milieu de 1997 et s'est propagée à d'autres pays en 1998, a entraîné un repli marqué des cours mondiaux des matières premières. En septembre de l'année dernière, le prix moyen (en dollars É.-U.) des principaux produits de base canadiens était inférieur d'environ 20 % à ce qu'il avait été dix-huit mois plus tôt.
Par ailleurs, les répercussions de la décision de la Russie de suspendre, en août 1998, le remboursement du service de sa dette ont été ressenties partout. Les conditions se sont resserrées sur l'ensemble des marchés financiers. De nombreuses sociétés emprunteuses des pays industriels jouissant d'une cote de solvabilité élevée ont été confrontées à une diminution de l'offre de crédit et à une hausse du coût des emprunts, de la même façon que les gouvernements des économies à marché émergent.
Malgré tout, l'économie canadienne s'est étonnamment bien comportée au cours de la dernière année. Bien sûr, elle n'a pas connu un essor exceptionnel. Certaines industries de notre secteur primaire — les exploitations agricoles notamment — sont d'ailleurs toujours aux prises avec la faiblesse des cours. Les prix des céréales, en particulier, ont été durement touchés par l'abondance de l'offre mondiale et l'atonie de la demande. Toutefois, dans l'ensemble, notre économie affiche une bonne tenue. Je m'attends à ce que les données publiées pour le troisième trimestre de 1999 indiquent que la production a progressé d'environ 4 % depuis le troisième trimestre de 1998, comparativement à une croissance d'à peine 2 1/2 % pour la même période un an plus tôt.
Il ne fait aucun doute que le dynamisme de l'activité aux États-Unis et la réaction rapide, particulièrement celle de la Réserve fédérale américaine, des principales banques centrales aux difficultés financières mondiales, ont atténué l'incidence de la crise asiatique sur l'économie canadienne. De même, les efforts accomplis par les économies à marché émergent d'Asie pour régler leurs problèmes ont contribué à restaurer graduellement la confiance et à améliorer la situation économique internationale.
Si l'importance de ces facteurs favorables est indéniable, il reste que nous nous sommes mieux tirés de cette crise que des précédentes parce que notre économie repose maintenant sur des bases plus solides que par le passé. Cela traduit un certain nombre d'améliorations fondamentales de notre structure économique. J'en citerai trois en particulier. La première, c'est la faible inflation que nous connaissons et l'engagement qu'a pris la Banque du Canada de la maintenir à de bas niveaux. La seconde réside dans l'élimination quasi totale des déficits gouvernementaux et l'orientation à la baisse du niveau élevé de l'endettement public par rapport à la taille de notre économie (tel que mesuré par le ratio de la dette publique au PIB). La troisième est la restructuration majeure qu'ont effectuée les entreprises canadiennes dans les années 1990 en réaction à l'intensification de la concurrence mondiale et aux progrès techniques.
Bien sûr, tout cela ne s'est pas fait sans heurt. Vous vous souviendrez que, durant l'été de 1998, notre monnaie n'a cessé de perdre du terrain sous l'effet de la baisse marquée des prix des produits de base, elle-même aggravée par les retombées des événements survenus en Russie. Et l'apparition de signes augurant une possible perte de confiance dans les avoirs en dollars canadiens a amené la Banque du Canada, en août 1998, à relever sensiblement les taux d'intérêt à court terme.
Mais une fois que la tourmente inhabituelle qui a agité le monde s'est apaisée, nous avons été capables d'annuler assez rapidement cette hausse. En conséquence, les taux d'intérêt pour toute la gamme des échéances sont redescendus à des niveaux inférieurs aux taux américains, ce qui est compatible avec le fait que l'inflation est plus basse au Canada qu'aux États-Unis.
En plus de réduire l'incidence de la crise sur notre secteur des ressources naturelles, la dépréciation du dollar canadien a favorisé un accroissement rapide des exportations de biens manufacturés, ce qui a contribué à compenser la diminution des recettes provenant des ventes à l'étranger de produits de base. Grâce à ce déplacement de l'activité économique du secteur des ressources naturelles vers le secteur manufacturier, le marché du travail ne s'est pas détérioré comme on aurait pu s'y attendre. En fait, le taux de chômage a poursuivi son recul au cours des douze derniers mois, passant de 8,3 à 7,8 %, son niveau actuel. Et malgré la perte d'emplois dans le secteur des ressources naturelles, près de 350 000 nouveaux emplois en chiffres nets ont été créés durant cette période.
Les trois facteurs que j'ai mentionnés plus tôt — une inflation basse, la réduction des déficits budgétaires et de l'endettement et la restructuration dans les entreprises — ont fourni à l'économie canadienne des assises saines sur lesquelles s'appuyer pendant la période d'instabilité. Ils ont aussi contribué à faciliter le processus d'ajustement du taux de change et de l'activité économique que je viens de décrire.
Les bons résultats que nous avons enregistrés au chapitre de l'inflation ces dernières années, obtenus grâce à l'engagement de la Banque envers la réalisation de cibles de maîtrise de l'inflation, ont permis à la hausse des prix de demeurer modérée, même pendant que notre devise perdait de la valeur et faisait grimper les prix des importations. La faible inflation et la nette amélioration de notre situation budgétaire ont également contribué à maintenir les taux d'intérêt à de bas niveaux. Parallèlement, à la faveur de la restructuration opérée, un nombre beaucoup plus important de sociétés canadiennes étaient à même de tirer parti de la dépréciation de notre monnaie pour accroître leurs exportations. De plus, les bas taux d'intérêt ont facilité le financement des investissements des entreprises désireuses d'augmenter leur capacité de production et leurs ventes à l'étranger.
Les perspectives d'évolution de l'économie canadienne
L'amélioration des facteurs fondamentaux de notre économie et la façon dont le Canada a pu faire face aux récentes difficultés financières externes nous donnent de bonnes raisons d'être optimistes face à l'avenir.
Depuis quelque temps déjà, l'économie canadienne tire une part importante de sa vitalité du secteur des exportations. Récemment, l'expansion a aussi été alimentée de façon croissante par les dépenses des ménages et des entreprises canadiennes. En effet, l'atténuation des tensions observées l'automne dernier à l'échelle mondiale a redonné confiance aux consommateurs qui se remettent à acheter de nouvelles voitures, des maisons ou des meubles. Les entreprises ont pour leur part relancé leurs plans d'investissement en machines et matériel (poursuivant notamment leurs dépenses élevées dans la mise à niveau de leur parc informatique, effectuée en partie dans le cadre de l'adaptation des systèmes à l'an 2000). L'amélioration de la confiance, les taux d'intérêt relativement bas et les gains réalisés au chapitre de l'emploi devraient concourir au maintien de ces tendances.
Comme on le sait, l'évolution de la conjoncture internationale influence grandement les perspectives économiques du Canada. Les prévisions de croissance pour l'Europe semblent meilleures maintenant qu'elles ne l'étaient il y a quelques mois. Même l'économie japonaise, qui éprouve des difficultés, devrait se redresser l'année prochaine. Les projections concernant plusieurs pays à marché émergent, particulièrement en Asie, ont également été révisées à la hausse. De plus, l'amélioration des perspectives économiques mondiales a provoqué une remontée des prix d'un bon nombre de nos principaux produits de base — particulièrement ceux de l'énergie, des métaux communs et des minerais.
Bien sûr, l'influence extérieure qui importe le plus pour le Canada est celle de l'économie américaine. La tenue de cette dernière a été spectaculaire au cours des sept dernières années : croissance robuste de la production, bas taux de chômage et faible inflation. Mais la vigueur persistante des dépenses des ménages et des entreprises aux États-Unis et la situation de plus en plus tendue sur les marchés du travail ont fait apparaître récemment certains signes de pressions sur les coûts. Cela a ravivé les craintes d'une accélération de l'inflation dans l'avenir et poussé la Réserve fédérale américaine à annuler une partie du relâchement des conditions monétaires opéré l'automne dernier. Celle-ci a donc relevé les taux d'intérêt à deux reprises au cours de l'été, cherchant ainsi à ramener l'expansion à un rythme plus soutenable et non inflationniste.
La réussite des efforts de la Réserve fédérale pour empêcher une surchauffe de l'économie américaine et amener celle-ci à « atterrir en douceur » revêt une importance capitale pour l'économie mondiale et en particulier pour le Canada. Le pire scénario pour nous aurait été que la Réserve fédérale retarde son intervention et risque que se produise une autre période d'expansion inflationniste. Dans un tel cas, non seulement la banque centrale américaine devrait-elle tôt ou tard resserrer de façon encore plus drastique sa politique monétaire, mais cela pourrait bien provoquer une récession — en somme, un autre épisode de surchauffe et de contraction.
La Banque du Canada n'a pas emboîté le pas à la Réserve fédérale lorsque celle-ci a relevé les taux d'intérêt à deux reprises cet été. Bien qu'il n'y ait pas de raison pour qu'une modification des taux d'intérêt aux États-Unis soit automatiquement accompagnée d'un mouvement similaire des taux canadiens, cela ne signifie pas que l'évolution des taux d'intérêt américains n'a aucune influence sur l'économie canadienne. Cette dernière est étroitement intégrée à l'économie mondiale et aux marchés financiers internationaux. La conjoncture aux États-Unis, première puissance économique, aura toujours une incidence mondiale majeure. C'est pourquoi, à la banque centrale, nous devons évaluer avec soin les situations économiques et financières aux États-Unis qui motivent les interventions de la Réserve fédérale et déterminer leurs répercussions probables sur l'économie de notre pays. C'est d'après cette évaluation que la Banque du Canada décide si elle réagira ou non à de telles interventions.
Les relèvements des taux d'intérêt opérés par la Réserve fédérale cet été améliorent les chances que les États-Unis continuent de connaître une expansion économique soutenue, non inflationniste. Il s'agit là d'une bonne nouvelle pour toutes les parties concernées. Mais cela signifie aussi que nous ne pouvons pas nous attendre à ce que le dynamisme de l'économie américaine contribue aussi fortement que ces dernières années à stimuler les exportations canadiennes. C'est pourquoi il y a lieu de se réjouir de l'embellie des perspectives économiques de l'Europe et du raffermissement de l'activité sur les marchés des produits de base. Ces facteurs externes, conjugués au niveau relativement bas des taux d'intérêt intérieurs et à l'amélioration des conditions de l'emploi que j'ai mentionnés plus tôt, laissent présager une expansion économique soutenue au Canada. Dans l'ensemble, notre économie devrait continuer de progresser à un bon rythme et d'absorber les capacités inutilisées de son appareil de production.
Le taux de l'inflation tendancielle devrait demeurer faible au cours de la prochaine année, à savoir dans la moitié inférieure de la fourchette de 1 à 3 % visée par la Banque. Mais à mesure que l'économie se rapprochera de la pleine utilisation de ses capacités de production, la politique monétaire devra être attentive au risque de pressions sur les prix.
Cependant, beaucoup d'incertitude et d'imprécision entachent nos estimations de la capacité de production de l'économie. Par exemple, nous ne savons pas dans quelle mesure les gros investissements effectués durant les années 1990 dans les nouvelles technologies et en machines et matériel ont accru la capacité de production. Par conséquent, la Banque accordera davantage d'importance à l'évolution d'un ensemble d'indicateurs susceptibles de la renseigner sur l'intensité des pressions qui s'exercent sur la capacité de production et sur l'inflation. L'interprétation de ces données constituera un défi de taille pour la politique monétaire dans les mois à venir et nécessitera une analyse approfondie.
Le passage à l'an 2000 au sein du secteur financier
À l'approche du nouveau millénaire, on ne peut examiner l'évolution économique à court terme sans parler des efforts déployés par les participants au secteur financier et les organismes publics, dont la Banque du Canada, en vue de parer aux conséquences du passage à l'an 2000.
La Banque s'est engagée à l'égard des Canadiens à promouvoir la fiabilité et la solidité du système financier. C'est pourquoi, depuis quelque temps déjà, elle travaille en étroite collaboration avec divers organismes nationaux et internationaux à limiter toute perturbation que pourrait provoquer le passage à l'an 2000 au sein de notre système financier.
Je peux vous assurer aujourd'hui que le secteur financier canadien a fait ses devoirs. Il a réussi les tests de conformité à l'an 2000 et élaboré des plans de contingence. La Banque s'attend donc à ce que l'activité au sein de ce secteur se déroule normalement lors du changement de date. Mais si jamais une difficulté devait survenir, nous serons en mesure d'y faire face.
Les efforts consacrés à l'identification et à la résolution des problèmes qui pourraient surgir lors du passage à l'an 2000 ont été mis en oeuvre il y a un bon moment et rien n'a été laissé au hasard. Les dépenses qu'ils ont entraînées se chiffrent en milliards de dollars.
Les exploitants d'importants systèmes partagés au sein du secteur financier y ont apporté les modifications nécessaires et les ont soumis à des essais complets. Par exemple, en juin dernier, l'Association canadienne des paiements et ses membres ont pris part aux essais du Global Payments Systems visant à vérifier la capacité des institutions financières à l'échelle du globe d'envoyer et de recevoir des paiements internationaux. Les systèmes de compensation et de règlement nationaux ont aussi été testés de même que tous les systèmes utilisés par les marchés pour le traitement des opérations sur titres de dette canadiens et autres valeurs. Ils sont donc prêts pour le passage à l'an 2000.
Parallèlement, les institutions financières ont pratiquement toutes terminé l'adaptation et les essais de leurs systèmes essentiels, notamment ceux utilisés dans le cadre des transactions effectuées par guichet automatique, par carte de crédit et de débit et par téléphone. De leur côté, les grandes institutions de dépôt canadiennes ont assuré à leurs clients que les problèmes informatiques éventuels liés au passage à l'an 2000 n'auraient aucune incidence sur leurs comptes et leurs dossiers. La Banque du Canada a donné la même garantie aux propriétaires d'obligations d'épargne du Canada.
Bien sûr, les systèmes essentiels de la Banque ont également été examinés, modifiés au besoin, puis testés. Ils sont eux aussi adaptés à l'an 2000.
L'état d'avancement des préparatifs des fournisseurs de services d'infrastructure (p. ex. électricité, télécommunications) constitue un élément important du problème pour le secteur financier. Or, les fournisseurs de ces services affirment être eux aussi fin prêts pour le passage à la nouvelle année.
Compte tenu des efforts, du temps et des ressources consacrés aux préparatifs, il n'est pas étonnant qu'un grand nombre d'observateurs compétents aient classé le secteur financier canadien, particulièrement le secteur bancaire, parmi les chefs de file mondiaux sur le plan de l'adaptation à l'an 2000. Il s'agit là d'un solide vote de confiance qui devrait contribuer à rassurer les Canadiens.
Malgré cela, nous ne devons pas pour autant cesser nos efforts. Les systèmes informatiques continueront d'être surveillés et testés jusqu'à la toute fin de l'année. Il faut également que soient diffusées régulièrement des communications claires et responsables sur le sujet afin que le public reste bien informé et demeure confiant dans le déroulement sans heurt de la transition. En même temps, on est justifié d'accorder une attention accrue à la préparation de plans de contingence.
À ce sujet, la Banque du Canada a annoncé récemment qu'elle a mis en place un certain nombre de mesures destinées à renforcer encore davantage la confiance des institutions financières et du public. Parmi celles-ci, on peut citer une ligne de crédit spéciale visant à garantir à ces institutions et aux utilisateurs de services financiers que les besoins exceptionnels de liquidités pouvant survenir vers la fin de l'année seront satisfaits. La Banque est disposée à accepter un plus large éventail de garanties qu'à l'accoutumée pour couvrir les prêts qu'elle consentira à des fins de liquidités. Elle a aussi pris des dispositions pour contrer toute pression inhabituelle sur les taux d'intérêt du marché monétaire au cours de cette période.
Toutes ces précautions devraient suffire à convaincre la grande majorité des Canadiens que c'est chez leur institution financière que leur argent sera le plus en sécurité. En fait, ils devraient se préparer pour la fin de semaine du passage à l'an 2000 comme ils le feraient pour toute autre longue fin de semaine.
Malgré tout, certaines personnes ressentiront tout de même le besoin de prendre des précautions additionnelles. Ceux et celles qui trouveront plus rassurant de posséder des espèces supplémentaires n'ont pas à s'en faire car ils pourront aisément s'en procurer. La Banque a accru considérablement ses stocks de billets de banque et travaille en collaboration avec les institutions financières pour faire en sorte que le système soit en mesure de répondre à une hausse de la demande de billets partout au pays. Mais, je le répète, les Canadiens n'ont aucune raison de croire qu'ils ne pourront utiliser que de l'argent liquide pour régler leurs achats de biens et de services durant la fin de semaine du Jour de l'an.
Dans l'ensemble, la Banque du Canada et les autres participants au secteur financier sont convaincus que les Canadiens peuvent compter sur un déroulement normal de l'activité au sein du secteur financier au début de l'an 2000 et par la suite.