Les turbulences sur les marchés financiers mondiaux et l'économie canadienne
L'économie mondiale et celle du Canada ont connu des moments difficiles au cours des deux dernières années. La nôtre s'en est assez bien sortie. Et compte tenu des turbulences que la crise financière asiatique a provoquées partout dans le monde, on peut dire qu'elle s'est comportée mieux cette fois-ci que dans le passé.
Comme l'incertitude planant sur la scène internationale est en train de se dissiper et que les bases de notre économie sont solides, nous avons de bonnes raisons de demeurer optimistes face à l'avenir.
Je vais vous parler aujourd'hui de l'évolution récente de l'économie canadienne et de ses perspectives d'évolution. Mais comme une bonne partie de ce que nous avons vécu ces derniers temps a été grandement influencé par ce qui s'est passé à l'étranger, j'aimerais aussi examiner avec vous le genre de mesures que la communauté internationale pense adopter pour prévenir d'autres crises financières ou en diminuer la gravité.
L'évolution récente de l'économie canadienne
La crise financière qui a débuté en Asie du Sud-Est au milieu de 1997 a été beaucoup plus tenace et bien plus grave qu'on ne l'avait d'abord cru. En 1998, l'agitation a gagné la Russie et le Brésil. Les marchés mondiaux sont alors devenus très nerveux et très volatils, ce qui a entraîné d'importantes sorties de capitaux dans de nombreux pays à marché émergent, une montée des taux d'intérêt, un resserrement des conditions du crédit et un ralentissement marqué de l'expansion économique mondiale.
La crise n'a pas épargné le Canada. Un grand nombre de nos entreprises, y compris celles établies au Québec, ont été durement touchées par ses retombées. Les plus directes ont été la diminution de la demande étrangère pour nos produits de base clés et la chute de 20 % qu'ont subie les prix de ces produits entre le milieu de 1997 et la fin de 1998. Tout cela s'est reflété dans la valeur de notre monnaie, qui a beaucoup baissé par rapport au dollar américain.
À la fin d'août 1998, l'agitation a fait place à une véritable tourmente sur les marchés par suite de la décision de la Russie d'imposer un moratoire sur le remboursement de sa dette. La Banque du Canada est alors intervenue pour empêcher une perte de confiance potentielle dans les placements en dollars canadiens en relevant le taux officiel d'escompte de un point de pourcentage. La confiance des entreprises et des ménages canadiens a été ébranlée par la nervosité et la volatilité des marchés, ce qui a eu pour effet de freiner la dépense intérieure. Par conséquent, le taux de croissance de notre économie a été de près de 3 % (d'un quatrième trimestre à l'autre) en 1998, alors qu'il avait été de plus de 4 % en 1997.
Il s'agit là d'un bon résultat si on considère la gravité des perturbations venues de l'étranger auxquelles nous avons dû faire face. Et cela, nous le devons à l'assainissement de nos finances publiques et à notre taux d'inflation bas et stable, qui nous ont permis de traverser plus facilement cette crise que les précédentes. C'est aussi grâce à ces facteurs et au retour au calme sur les marchés financiers que la Banque a pu abaisser le taux officiel d'escompte à quatre reprises depuis l'automne dernier (et renversant ainsi complètement la hausse opérée en août dernier) et reporter son attention sur son objectif à moyen terme, qui est de maintenir l'inflation à l'intérieur d'une fourchette de 1 à 3 %. À l'heure actuelle, l'inflation se trouve juste au-dessus de la limite inférieure de cette fourchette.
Les perspectives économiques
Comme je l'ai déjà signalé, l'incertitude qui régnait sur la scène internationale est en train de se dissiper. Les baisses de taux d'intérêt opérées un peu partout dans le monde — et tout récemment dans les pays de la zone euro —, ont contribué à restaurer la confiance des investisseurs et à apaiser les marchés financiers mondiaux, y compris les marchés de pays du Sud-Est asiatique touchés par la crise, où des réformes structurelles sont en cours et où les perspectives d'une reprise cette année et l'an prochain sont bonnes. C'est le cas surtout de la Corée du Sud, mais aussi de la Thaïlande et de la Malaisie. Des signes laissent croire que la situation financière du Brésil, qui semblait précaire vers la fin de 1998, est aussi en train de se stabiliser grâce à l'adoption de mesures visant à équilibrer le budget et la balance extérieure du pays.
Mais il est difficile de dire jusqu'à quel point les problèmes que vit le Brésil vont affaiblir à court terme l'économie de l'Amérique latine.
En Europe également l'expansion économique a décéléré. Cependant, l'assouplissement des conditions monétaires — c'est-à-dire la baisse des taux d'intérêt et du cours de l'euro — devrait aider à annuler une partie du ralentissement. De plus, cette baisse des taux d'intérêt est bénéfique pour l'économie mondiale dans son ensemble.
Pour le moment, la principale inconnue demeure l'évolution de la situation au Japon, dont l'économie est en récession depuis la fin de 1997. Même si les autorités japonaises appliquent systématiquement des politiques macroéconomiques expansionnistes et que la réforme bancaire se poursuit, il est peu probable qu'une nette reprise s'amorce dans ce pays avant la fin de l'année.
À l'opposé, l'économie américaine continue de prospérer, surpassant constamment les prévisions et ne montrant aucun signe de pressions inflationnistes. À la fin de 1998, sa tenue était bien meilleure qu'on ne l'avait prévu. De plus, la vigueur fondamentale qu'elle a affichée durant les premiers mois de 1999 a été supérieure aux projections de la plupart des prévisionnistes. Pour le Canada, la robustesse de l'économie américaine constitue l'aspect le plus positif de la conjoncture économique internationale. Quiconque vend ses produits aux États-Unis pourra vous le confirmer.
Le dynamisme de la demande américaine de produits canadiens et la reprise qui a suivi la fin des importants conflits de travail survenus au pays ont donné un élan à l'économie canadienne au dernier trimestre de 1998; cet élan, qui semble bien s'être poursuivi au début de 1999, s'est accompagné d'une saine progression de l'emploi.
En ce qui concerne l'avenir, disons que le retour au calme sur les marchés financiers, la croissance de l'emploi et l'assouplissement des conditions monétaires devraient stimuler la dépense des entreprises et des ménages canadiens. Ces facteurs, conjugués à la demande soutenue aux États-Unis et à l'amélioration de notre compétitivité, devraient continuer d'alimenter l'expansion de l'économie canadienne.
Étant donné que la situation économique et financière mondiale est encore fragile et qu'on ne peut établir à quel moment exactement une reprise ferme des marchés des produits de base aura lieu, il m'est impossible d'être plus précis quant à la vigueur future de notre économie. Toutefois, nous sommes en présence d'un scénario plus encourageant que ce qui semblait possible l'automne passé, tant pour l'économie canadienne que pour l'économie mondiale.
Comment éviter d'autres crises?
Bien que nous soyons tous pressés de tourner la page sur les derniers bouleversements qui ont agité la scène financière internationale, j'espère qu'à certains égards au moins, on ne les oubliera pas de si tôt. Le fait que la situation s'améliore ne doit pas nous faire oublier l'importance d'élaborer des stratégies pour empêcher des crises semblables à l'avenir. Et, au cas où on ne pourrait les éviter, il nous faudra être mieux armés pour y faire face et réduire au maximum leurs répercussions sur l'économie.
Alors, voyons quelques-unes des difficultés que soulève une telle entreprise et ce qui est fait pour les résoudre.
Il serait très facile d'accuser la mondialisation, la mobilité des capitaux et l'ampleur des mouvements de capitaux d'être à l'origine de la récente crise, et de proposer comme solution que chacun se retranche derrière ses frontières et dresse des barrières à la libre circulation des capitaux. Adopter une pareille approche ne serait pas sage. Même si les mouvements de capitaux sont parfois difficiles à gérer, particulièrement dans le cas de petits pays, un accès à l'épargne mondiale comporte des avantages appréciables, à condition toutefois que cette épargne soit employée prudemment et à des fins productives. Nous devons donc trouver des façons de limiter les risques de la libre circulation des capitaux sans pour autant renoncer à ses avantages.
Actuellement, la communauté internationale fait des efforts dans trois domaines : elle tente de renforcer les systèmes financiers, elle veille à ce que les pays appliquent des politiques macroéconomiques et financières responsables, et elle tente de mettre au point des méthodes efficaces de gestion des crises.
Examinons ces trois domaines. Tout d'abord, il est impératif que soit accrue la solidité des systèmes financiers, aux niveaux national et international. Pour cela, on s'emploie à améliorer les conventions comptables et les normes concernant la divulgation de l'information, les cadres de réglementation et de supervision et les procédures de faillite. En voici les raisons.
Une entreprise qui applique des normes comptables généralement acceptées est en mesure de transmettre des données fiables sur sa santé financière et son mode de fonctionnement devient plus transparent. La divulgation de renseignements précis et à jour raffermit la confiance des marchés et les aide à porter des jugements plus éclairés sur les risques que présentent certains placements. Je vous rappelle que l'une des grandes causes de la crise récente est que des sommes d'argent colossales ont été investies dans des pays à marché émergent d'Asie par des conseillers financiers de pays industriels et leurs clients qui, de toute évidence, n'avaient pas une information suffisante sur les risques auxquels ils s'exposaient ni une évaluation adéquate à leur sujet. L'expérience montre que lorsque les investisseurs sont gagnés par l'inquiétude, le manque d'information leur fait craindre le pire et les pousse à se mettre à l'abri.
Il faut également améliorer la réglementation prudentielle ainsi que la surveillance des banques et d'autres institutions financières, notamment dans les économies à marché émergent. Les banques sont d'importants intermédiaires pour le déplacement de fonds, tant à l'échelle nationale qu'internationale. Et si elles sont bien supervisées et qu'elles ont des raisons de limiter leur exposition aux risques, elles rempliront ce rôle avec plus d'efficacité et de rigueur. Dans certains pays, les banques ont des liens très étroits avec le secteur privé ou l'État, ou même avec les deux; cela peut nuire à leur capacité de prendre des décisions objectives en matière de crédit. Il arrive même qu'il y ait en place des dispositions qui protègent ces banques contre la faillite et ne les encouragent pas à agir prudemment.
Les plans destinés à améliorer les règles financières internationales prévoient aussi un renforcement des procédures de faillite. Il est important que les codes qui régissent les faillites soient clairement définis afin que les débiteurs et les créditeurs comprennent bien les règles à suivre en cas de défaut de paiements et que le secteur privé continue de fonctionner, même si une crise financière survient.
Jusqu'à présent, je vous ai parlé des améliorations sur le plan institutionnel que des organismes internationaux, comme le Fonds monétaire international, aident à concevoir et à mettre en place en s'appuyant sur les « meilleures pratiques » qui existent. Voyons maintenant quelle contribution les politiques économiques peuvent apporter pour favoriser une plus grande stabilité des marchés financiers.
L'une des choses importantes que nous a enseignées l'expérience, y compris celle que nous avons vécue ici même au Canada, c'est qu'un pays doit d'abord et avant tout appliquer des politiques macroéconomiques saines et crédibles, c'est-à-dire une politique budgétaire ne laissant aucune place aux déficits et à l'endettement excessifs du secteur public, et une politique monétaire visant un taux d'inflation bas et stable.
Mais la politique de change qu'adopte un pays joue aussi un grand rôle. Les événements récents nous ont montré l'importance de faire en sorte que les marchés financiers internationaux soient incités à prendre des décisions judicieuses et à éviter les trop grands risques. Quand un pays fixe le taux de change de sa monnaie par rapport à celui d'une autre monnaie et qu'il est prêt à tout pour que cet arrimage tienne, les investisseurs nationaux et étrangers ont beaucoup tendance à sous-évaluer le risque de change tant que les choses vont bien.
L'inconvénient d'un taux de change fixe, mais ajustable, c'est qu'il ne constitue pas une garantie contre une éventuelle perte de valeur de la monnaie. Si le taux de change est soumis à des pressions, parce que les niveaux auxquels il avait été fixé sont devenus incompatibles avec l'évolution des facteurs fondamentaux de l'économie, et si les marchés commencent à douter de la volonté des autorités de maintenir la parité, alors on peut s'attendre à ce que les investisseurs locaux et étrangers cherchent des portes de sortie et provoquent ainsi une crise. Lorsqu'on pense aux perturbations qui ont secoué dernièrement l'Asie du Sud-Est et le Brésil, un élément nous frappe : les pays en cause avaient tous un régime de change fixe.
À mon avis, dans la plupart des cas, une plus grande flexibilité du taux de change aurait aidé les emprunteurs et les prêteurs à mieux prendre conscience des risques de change. Je trouve d'ailleurs encourageant que certains des pays touchés par la crise aient opté depuis pour un régime de change plus souple.
J'aimerais maintenant dire un mot sur la nécessité de trouver des moyens de gérer et de résoudre efficacement les crises qui pourraient se produire à l'avenir. En ce moment, l'aide d'urgence accordée aux pays qui éprouvent des difficultés financières vient principalement du Fonds monétaire international; les bailleurs de fonds privés n'interviennent pas toujours. En fait, l'objectif principal recherché, lequel soulève d'ailleurs une certaine controverse, est de mettre en place des mesures qui incitent les prêteurs du secteur privé à participer à la prévention des crises et à faire en sorte que ceux-ci portent une juste part du fardeau financier associé à de telles crises.
Les progrès dans ce sens sont plutôt lents, mais je peux vous assurer qu'on étudie actuellement des propositions destinées à encourager les pays débiteurs et leurs créanciers à résoudre les problèmes financiers dans un esprit de concertation.
Permettez-moi maintenant de conclure. L'économie canadienne s'est relativement bien comportée jusqu'à présent face à la volatilité des marchés financiers et au ralentissement de l'économie mondiale enregistrés ces deux dernières années, et ce, grâce aux bases plus solides sur lesquelles elle repose maintenant. De plus, les bons résultats obtenus au début de l'année m'amènent à dire que l'économie canadienne devrait connaître une expansion soutenue en 1999.
La situation s'est redressée sur la scène financière mondiale. Et la communauté internationale fait de grands efforts pour que soit renforcé le système financier mondial. Il n'existe pas de solution simple pour empêcher les crises. Aujourd'hui, je vous ai parlé de quelques-unes des mesures envisagées dans le but d'atténuer les inquiétudes à cet égard. Aucune d'elles n'est spectaculaire en soi, et il reste encore beaucoup à faire. Toutefois, je crois que ces mesures vont contribuer à réduire les risques pour l'avenir. Le Canada a tout intérêt à ce qu'un système financier international plus fort et plus stable soit en place, et il appuie fermement toutes les initiatives qui tendent vers cet objectif.